Aux États-Unis, le marché du travail connaît un retournement inattendu : après le temps du job hopping, place au job hugging. Autrement dit, on ne passe plus d’un emploi à un autre, mais on s’accroche à celui qu’on a. The Wall Street Journal décrit comment les salariés, mécontents et désengagés, préfèrent désormais s’agripper à leur poste plutôt que de risquer un saut incertain.

“Ils n’ont pas l’air heureux, ils ne se donnent pas à 100 % – et ils ne démissionnent pas. Des travailleurs grincheux s’accrochent à l’emploi qu’ils ont au lieu d’aller voir ailleurs car, eh bien, quel autre choix ont-ils dans la situation économique actuelle ?”

Le contraste culturel avec l’époque récente est frappant. L’auteur rappelle que “démissionner sans plan paraissait moins imprudent pendant la période bénie (2021). À l’époque, vous pouviez vivre de vos économies de pandémie et des chèques de relance, adopter la #vanlife un moment, puis voir votre boîte mail se remplir de demandes d’entretien.” Cette culture de la mobilité, nourrie par un marché de l’emploi en surchauffe, a laissé place à une frilosité nouvelle. Les données fédérales montrent que les démissions comme les offres d’emploi déclinent simultanément.

Le job hugging façonne aussi la vie quotidienne dans les bureaux. Certains cadres dynamiques se sentent bloqués par des collègues qui refusent de libérer l’échelon supérieur. D’autres, au contraire, trouvent dans cette inertie un équilibre de vie. Le quotidien new-yorkais cite ainsi un salarié du secteur technologique : il n’espère plus progresser, n’apprécie pas la politique de son entreprise, mais conserve un “super emploi du temps hybride” qui lui laisse du temps pour ses loisirs. Sa stratégie : en faire juste assez pour que le poste, insatisfaisant, continue néanmoins à “remplir sa fonction dans sa vie”.

Cette culture du maintien à tout prix ne se limite pas aux employés moyens. Certains “type-A job huggers”, brillants mais désillusionnés, s’enferment aussi dans des carrières qu’ils n’osent quitter. Une coach en ressources humaines raconte : “Je travaille avec quelqu’un qui déteste être avocat mais qui est incroyable dans ce métier. Elle pleure dans sa voiture chaque matin avant d’aller travailler, puis elle entre et fait son job parce qu’elle ne sait pas quoi faire d’autre.”

Manageurs et économistes s’interrogent sur ce climat inédit, où la loyauté forcée devient un frein culturel. Et quand les directions veulent inciter ces salariés à partir, elles recourent parfois à des méthodes détournées, comme l’“amélioration des performances”, qui masque en réalité une mise à l’écart. Reste une arme plus subtile encore : la réflexion. Une étude menée par l’université de Chicago a montré que des exercices autour du “sens de la vie et du travail” suffisaient à pousser certains salariés à se réorienter ou à démissionner. La nouvelle culture du travail américain n’est donc plus celle du grand départ, mais de la résignation inquiète — une révolution silencieuse.