La lettre était prête quand François Bayrou a quitté Matignon. C’est Sébastien Lecornu qui recevra le courrier conjoint des maires écologistes de Bordeaux et Lyon, qui demandent l’autorisation du Premier ministre d’expérimenter l’encadrement des loyers commerciaux – comme la métropole bordelaise teste l’encadrement des loyers d’habitation, depuis 2022. Trois ans après une même demande, inaboutie, de Martine Aubry, la maire de Lille, les deux maires verts y voient un moyen de lutter contre la crise commerciale qui frappe les centres-villes en « redonnant de l’oxygène aux commerçants et favorisant la diversité » des boutiques locales. Pierre Hurmic explique les enjeux pour Bordeaux, où les loyers peuvent varier de 100 euros par an et par m² dans les secteurs les moins commerçants hors du centre à plus de 2 000 euros, cours de l’Intendance par exemple (1).

Pourquoi vouloir faire de Bordeaux et Lyon des villes test pour un « encadrement des loyers des baux commerciaux » ?

Nous partons du même constat : nos commerces de centre-ville connaissent de sérieuses difficultés. Ils sont exposés à la concurrence très forte du commerce en ligne – en France, 29 % des ventes d’habillement se font sur Internet, c’est énorme –, à une augmentation générale des charges et, donc, à la part de plus en plus importante que prennent les loyers commerciaux : parfois jusqu’à 30 %. Une commerçante bordelaise me racontait encore vendredi que son propriétaire multiplie son loyer par trois. Il ne s’agit pas seulement de limiter les indices d’augmentation, mais d’encadrer aussi les loyers initiaux. L’enjeu est aussi de remettre sur le marché des locaux vacants, un phénomène qui est aussi lié à des propriétaires qui demandent trop cher.

Grégory Doucet, Pierre Hurmic et Jeanne Barseghian, les maires écologistes de Lyon, Bordeaux et Strasbourg, en avril 2023.

Grégory Doucet, Pierre Hurmic et Jeanne Barseghian, les maires écologistes de Lyon, Bordeaux et Strasbourg, en avril 2023.

JEFF PACHOUD / AFP

Concrètement, quel serait le mécanisme ?

Cette politique d’encadrement s’appuiera sur des valeurs de références établies par les pouvoirs publics, en lien avec un observatoire indépendant. Il y aura de la souplesse, un examen au cas par cas, en fonction des quartiers : il est évident que les chiffres ne sont pas les mêmes selon où l’on se trouve en ville et qu’il faudra coller au plus près des réalités commerçantes. Nous agirons avec pragmatisme. On a besoin de cet outil. Et il est temps que l’État fasse confiance aux territoires pour expérimenter des outils innovants.

Vous dites vouloir soutenir « les petits commerçants indépendants »… Qui est concerné à Bordeaux ?

Nous sommes attachés à cette diversité commerciale, la plus forte en France avec Lille : à Bordeaux, 70 % des commerçants sont indépendants. Ils ne sont pas les mieux armés pour répondre aux augmentations de loyers. C’est plus facile quand on est une grande chaîne.

La rue Sainte-Catherine, piétonnisée en 1976 : « Personne ne demande que les voitures reviennent. »

La rue Sainte-Catherine, piétonnisée en 1976 : « Personne ne demande que les voitures reviennent. »

Thierry David / SO

L’association des commerçants de Saint-Paul / Grosse Cloche a déjà fait savoir ses « doutes », en évoquant un risque de report des baisses de loyer sur les montants des droits au bail ou de spéculation accrue sur les fonds de commerce…

Nous veillerons à tout cela. On demande à expérimenter. Si l’on se rend compte que cet encadrement engendre des effets pervers, il n’y aura aucune raison de s’acharner. Que ce soit clair : on le fait pour les commerçants. S’ils n’en tirent aucun bénéfice, naturellement, nous arrêterons. En 2022, au début de l’encadrement des loyers d’habitation, on nous prédisait qu’on trouverait moins de logements sur le marché : ça ne s’est pas produit, il y en a autant. Et c’est une demande qui émane de beaucoup de commerçants : par exemple, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) s’est clairement positionnée pour.

« Que ce soit clair : on le fait pour les commerçants. S’ils n’en tirent aucun bénéfice, naturellement, nous arrêterons »

La fréquentation de la ville est-elle en cause ?

En juillet, la fréquentation des rues du centre-ville a augmenté de 22 % par rapport à la moyenne des mêmes semaines sur les trois dernières années. Certains disent qu’on n’accède plus dans Bordeaux : c’est faux. Les passants sont là, les gens sont à Bordeaux. Mais dans la crise du commerce, il y a aussi celle du pouvoir d’achat.

Vos opposants lancés dans la campagne des municipales vous reprochent pourtant cette politique « anti voitures »…

Notre parti pris est de dire que rendre les centres-villes agréables et apaisés, cela amène de la clientèle. La légende « no parking, no business » est contredite par les faits : c’est plutôt « no walking, no business » qui prédomine. 74 % des clients des commerces de centre-ville dans les grandes agglomérations s’y rendent à pied, à vélo ou en transports collectifs. La plupart des gens préfèrent consommer dans des espaces apaisés, c’est un facteur de commercialité important. Nous avons largement augmenté la surface piétonne de Bordeaux : jusqu’à 50 % de plus d’ici à la fin du mandat. La réduction de la place de la voiture est une politique déjà ancienne dans toutes les villes, et qui ne pénalise pas le commerce. Bordeaux a été pionnière, quand Jacques Chaban-Delmas a décidé de faire de la rue Sainte-Catherine l’une des plus longues rues commerçantes piétonnes de France à partir de 1976 – elle fait 1,2 kilomètre. Aujourd’hui, personne ne demande que les voitures reviennent ! On continue d’innover.

Vers un Office du commerce
Bordeaux compte environ 9 000 commerces pour un taux de vacance commerciale de 7,6 % – contre 8,8 % à Lyon, 10 % à Lille, 8,4 % à Toulouse ou encore 9 % à Montpellier. D’après le diagnostic de l’agence LA ! Lestoux & Associés, les boutiques et restos bordelais sont récents : 47 % des commerces de Bordeaux ont été créés depuis 2019. Fin juin, la Ville et la CCI ont lancé le projet d’un Office du commerce, dans le cadre d’un « plan d’actions commercial » de 30 propositions (aide à la transmission, logistique, etc.) Élus et techniciens travaillent à lui donner un cadre et une forme juridique, pour une création effective en janvier 2026. Objectif : relancer la dynamique et faire de Bordeaux « une destination commerciale ».

(1) Hors taxe et hors charges. Dans le centre-ville, de nombreux loyers sont de l’ordre de 300 à 400 euros par m² et par an, et d’environ 200-250 euros dans les nouveaux quartiers (jusqu’à 300-350 euros pour la restauration).