l’essentiel
Dans un livre enquête sur Cyril Hanouna intitulé « T’es une merde, frère, Signé Hanouna » qui sort le 18 septembre chez Robert Laffont, le journaliste Jean-Michel Aphatie revient sur l’ascension médiatique de l’animateur « qui a créé la Trump télé française ». Entretien.
Le titre de votre livre est tiré d’un SMS que vous avez reçu de Cyril Hanouna alors que vous cherchiez à le contacter pour lui poser des questions. Pourquoi ce choix de la provoc’ ?
C’est exactement une manière de dire ce qu’on va y retrouver à l’intérieur. C’est vraiment un livre sur Cyril Hanouna. L’insulte, l’humiliation et la violence verbale font partie de son quotidien. Donc, la couverture, elle est pour lui.
La couverture du livre.
Robert Laffont
Vous décrivez un animateur devenu la parfaite illustration d’un « trumpisme médiatique » qu’il n’était pas à ses débuts, comment expliquez-vous ce changement au fil des ans ?
C’est une évolution assez naturelle. Il y a des années, quand il était proche de « Ni putes, ni soumises » ou de « SOS racisme », l’homme était imprégné de la réalité de ce qu’il a vécu dans la ville de banlieue qui était la sienne. Puis au fil du temps, il se construit, voit d’autres gens, acquiert un patrimoine, une notoriété.
Il donne alors le sentiment, me semble-t-il, parce que je n’ai pas parlé avec lui de tout ça, de rejoindre la cohorte des gens qui ont l’impression que leur monde est menacé. Il parle beaucoup de la France, de ce qu’il lui doit, et il a une mentalité inquiète, loin de l’insouciance de ses débuts. Il prête désormais attention aux propos que peuvent tenir Eric Zemmour, Jordan Bardella, ou Bruno Retailleau.
« Dans le groupe Canal, la ligne est tellement directe entre Vincent Bolloré et lui que plus personne n’ose rien lui dire »
Quel est le moment charnière de ce parcours selon vous ?
En 2015, Cyril Hanouna est déjà installé sur D8 depuis plusieurs saisons. À cette époque, Vincent Bolloré devient propriétaire du groupe Canal et il lui signe un contrat qui a estomaqué alors tous les producteurs de télé : 50 millions d’euros par an sur cinq ans pour sa société H2O. Ça déverrouille beaucoup de choses chez Cyril Hanouna. Tous ceux qui sont autour de lui, dans la hiérarchie de Canal, voient que la ligne est tellement directe entre Vincent Bolloré et lui que plus personne n’ose rien lui dire.
Jean-Michel Aphatie, journaliste politique et chroniqueur dans l’émission Quotidien sur TMC.
Robert Laffont – Astrid di Crollalanza
Jusque-là TPMP, c’était de la rigolade, « que de la télé ». Mais comme Cyril Hanouna est seul à décider de tout, puisqu’il a reçu ce chèque, l’animateur se sent à l’étroit sur son plateau à ne parler que des émissions télés. Il se dirige alors vers ce qui l’a toujours attiré : la politique, les sujets de société, pour démontrer que c’est un type sérieux. Mais il le fait avec un bagage culturel trop mince. Ça donne par exemple en 2018 un débat qu’il organise en plateau « pour ou contre l’avortement ».
Comment interprétez-vous le fait que peu de gens ont voulu vous répondre pour parler du personnage ?
Pour certaines personnes, la peur. Je ne pense pas que Cyril Hanouna soit dangereux au point que quelqu’un risque quelque chose physiquement. Mais il y a cette crainte d’être insulté publiquement, d’être menacé. Beaucoup de gens le vivent très mal. Ensuite, il y a la honte pour ceux qui ont couvert ou promu Cyril Hanouna, ses actions, ses dérapages en direct à l’antenne avec plusieurs condamnations de l’Arcom.
Même David Larramendy, patron du groupe M6, ne semble pas assumer pleinement son embauche sur W9 et Fun Radio. Il dit que Cyril Hanouna a commis des choses inacceptables, et qu’il n’ira jamais sur M6 ou RTL, les deux joyaux de la couronne du groupe. Ça en dit un peu, quand même, sur l’idée qu’il se fait du personnage.
Est-ce que vous avez regardé sa nouvelle émission sur W9 ?
Les consignes sont de ne plus parler de politique à l’antenne, de ne plus être agressif. Sur la longueur, j’ai vu deux émissions. Il a la voix blanche je trouve. Le jour où Sébastien Lecornu est nommé Premier ministre, il s’intéresse à Chantal Goya. Il n’est plus du tout motivé là !
« Il a clairement envie d’être candidat, dire ce qu’il pense de l’état du pays »
Ce livre sous forme d’enquête, n’est-ce pas une manière de régler aussi vos comptes après plusieurs différends avec lui ?
Si c’était ma vraie motivation, tout le monde la verrait. Ce que j’ai voulu faire avec ce livre, c’est décrire un phénomène politique qui est à l’œuvre dans d’autres pays. À savoir : comment transformer un capital télévisuel en influence politique ? C’est ce qu’a réussi à faire Cyril Hanouna à la manière d’un Donald Trump. L’insulte, les scènes d’humiliation, c’est du Trump. Nos sociétés ont tellement de problèmes et l’inquiétude des gens si grande qu’aujourd’hui, une forme de violence, de virilisme, le gourou, le chef, ça séduit une partie de la population. C’est un jeu dangereux.
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Cyril Hanouna candidat à la présidentielle, vous y croyez ?
Il a clairement envie de se présenter devant le suffrage universel un jour. Je ne pense pas qu’il veuille être président de la République, mais de participer à une campagne électorale, dire ce qu’il pense de l’état du pays, ça oui. Pour 2027, il y a apparemment renoncé puisqu’il a choisi ce contrat avec le groupe M6 qui lui serre un peu la vis sur l’aspect politique.
« C’est compliqué d’avoir une discussion sérieuse entre adultes avec lui »
Si en privé, Cyril Hanouna cherchait finalement à vous rencontrer pour discuter de votre livre, vous accepteriez ?
On s’est côtoyé par le passé sans avoir de relation personnelle. Mais s’il me dit : « allons prendre un verre, promis je ne t’insulte pas », et que c’est pour avoir une discussion entre adultes, peut-être oui alors. Mais c’est compliqué d’avoir une discussion sérieuse entre adultes avec Cyril Hanouna, même en privé.
Est-ce que vous reconnaissez des qualités à Cyril Hanouna ? Vous a-t-il déjà fait rire de bon cœur ?
J’ai regardé beaucoup de vidéos. Je ne dirais pas qu’il est drôle, mais parfois il peut être vraiment très sympathique, empathique, mais à la moindre contrariété, ça peut basculer. On voit bien tout son potentiel dans ce registre plutôt que dans un tempérament comique. C’est un animateur, avec beaucoup d’instinct, c’est une évidence. Mais il n’a que ça.