Savez-vous que la Coudoulière fut, au début du XXe siècle, l’un des pôles industriels phares de la côte varoise? Ses fours, ses briques et ses cargaisons exportées par tartanes faisaient vivre des centaines de familles six-fournaises.

Aujourd’hui, seule subsiste la maison du directeur devenue la Maison du Cygne.

De l’artisanat à l’industrie

Si la tuilerie s’est implantée en ces lieux, ce n’était pas un hasard. Le sous-sol abritait un riche gisement d’argile de qualité, les forêts voisines fournissaient le bois pour alimenter les fours, et la présence d’une nappe phréatique facilitait le façonnage de la terre.

Au départ, l’exploitation restait artisanale et saisonnière: en 1812, quatorze ouvriers n’y travaillaient qu’une centaine de jours par an.

Mais le véritable essor intervient en 1900, lorsque l’entrepreneur Étienne Boyer fonde une société qui va transformer l’activité. Au début du siècle, une seule ligne de fours permet déjà de produire près de 45 tonnes de tuiles et de briques par jour.

Les cargaisons partaient de Marseille pour rejoindre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Dans les années 1930, l’usine atteint son apogée: 320 ouvriers y sont employés et la production dépasse les 20.000 tonnes annuelles.

Mais dans les années 1960, les gisements s’épuisent, les installations vieillissent et les coûts de production s’envolent. En 1967, l’usine ferme définitivement ses portes.

Rencontre avec un chercheur

Ce passé, Claude Majastre s’attache à le faire revivre. Chercheur bénévole et membre de l’association Les Amis du Patrimoine de Six-Fours et de ses environs, il animera samedi une visite guidée sur place dans le cadre des Journées européennes du patrimoine. « Ce lieu n’est pas seulement une usine disparue, souligne-t-il. C’est une histoire sociale, ouvrière, humaine. Derrière les chiffres de production et les murs de briques, il y a des visages, des gestes, une communauté soudée. »

Les visites donnent aussi la parole à ceux qui ont grandi à l’ombre de l’usine. Une année, l’un d’eux se souvenait: « À l’époque, il y avait beaucoup de fatalisme, lorsqu’on avait mal quelque part, on faisait avec et on retournait s’abîmer le lendemain. Ma mère avait toujours les mains douloureuses à cause de la chaleur du four et de la fraîcheur du reste des locaux car bon nombre de vitres étaient brisées. Elle se frottait constamment les mains. Je me souviens des caresses de ma mère sur mon visage qui me faisaient toujours mal. Et lorsqu’elle nous embrassait le matin, elle avait déjà l’odeur de la tuile et de la sueur. Le labeur était extrêmement difficile pour nos aînés, mais il y avait une solidarité incroyable entre eux. »

Difficiles conditions de travail

Avant de s’éteindre, Fernande Tornato, ancienne employée des tuileries, s’était confiée sur les conditions de travail aux Amis du patrimoine. Ils ont retranscrit ses dires dans leur ouvrage Cahier du patrimoine ouest varois n°11.

Voici ses mots: « La tuilerie était la seule activité qui embauchait. Ce n’était pas difficile, quelqu’un qui ne travaillait pas bien à l’école allait à l’usine. La loi disait qu’à 14 ans, on pouvait y travailler. Les jeunes allaient en bas commencer à « percer » puis à « brouetter ». Beaucoup de femmes partaient ensuite se marier. Nous sommes quatre à être restées pendant 23 – 24 ans. Les autres sont restées 3, 12 ou 15 ans. Maintenant, on dit que ce n’est pas un travail de femmes mais c’était vraiment un travail de forçat que l’on faisait… La poussière, c’était notre élément. Il fallait travailler en espadrilles car on ne pouvait pas supporter autre chose aux pieds ».

Pratique

Maison du Cygne, ce samedi de 14h30 à 17h. La rencontre débutera par la projection d’un diaporama.

Souvenirs d’une mère ouvrière

À quelques pas de l’ancienne usine des tuileries de Romain Boyer, Josyane Tornato veille à ne pas laisser s’effacer l’histoire. Fille d’ouvrière, elle a grandi au rythme des fours et du labeur de sa mère. Aujourd’hui, elle a créé un collectif qui réunit chaque année les enfants d’anciens employés dans les bois de la Coudoulière. « C’est tout un pan de l’histoire locale qui disparaîtrait si on n’y prend pas garde. J’aime me souvenir de ma mère, raconter son histoire, apprendre de nouvelles choses sur elle. »

Sa mère, Fernande Tornato, décédée à 91 ans, incarne ce courage quotidien. Adolescente pendant la guerre, envoyée au chantier naval de La Seyne, elle servait la soupe sous la surveillance des Allemands et cachait parfois du beurre dans ses poches pour nourrir les siens.

À 17 ans, Fernande entre aux tuileries comme brouetteuse, puis dérayonneuse. Elle débute à 6 h 30 le matin pour quitter son poste lorsqu’elle a fini toutes ses tâches en fin de matinée. Elle ne s’octroie alors qu’une pause, vers les 8 h, pour rejoindre sa demeure d’un pas rapide. « Elle voulait s’assurer tous les matins que, lorsque mon père nous emmenait à l’école, nous avions le ventre plein et que notre tenue était convenable (rires) ».

Le reste de la journée, Fernande prenait des cours de couture et finissait par se rendre aux champs pour cueillir les légumes du jour et s’occuper de la terre. Josyane reprend: « Ma mère nous a toujours dit qu’on s’était faits seuls, mon frère et moi. Mais lorsque vous avez un modèle comme elle… comment voulez-vous pousser autrement que comme il faut? »