FRANCOIS GUILLOT / AFP
Affaire Legrand-Cohen : les patronnes de France TV (Sibyle Veil, au milieu) et de Radio France (Delphine Ernotte Cunci, à gauche) ripostent contre les médias Bolloré. (photo d’illustration)
MÉDIAS – Des « fous », qui « complotent » ou qui « donnent des leçons ». Les médias de la galaxie Bolloré n’y sont pas allés de main morte dans leur critique de l’audiovisuel public, dans le sillage de l’affaire Legrand-Cohen. Face à ces attaques répétées, les patronnes de France Télévisions et de Radio France sont montées au créneau ce mercredi 17 septembre.
Dans un courrier adressé à l’Arcom et consulté par l’AFP, Delphine Ernotte Cunci et Sibyle Veil dénoncent la « compagne de dénigrement systématique et quotidienne » dont fait l’objet l’audiovisuel public de la part d’« un autre groupe de médias, en particulier les antennes de la chaîne de télévision CNews et de la station de radio Europe 1 ». Sollicités par l’AFP pour réagir à ces accusations, aucun de ces deux médias n’a répondu dans l’immédiat.
Deux camps médiatiques se font face. D’un côté les médias privés dans le giron du milliardaire conservateur Vincent Bolloré, qui accusent l’audiovisuel public de parti pris pour la gauche. De l’autre les deux groupes de médias publics qui contre-attaquent et font appel au régulateur de l’audiovisuel. À un an et demi de la présidentielle de 2027, une telle opposition est inédite dans l’histoire médiatique française.
Des attaques qui « fragilisent le débat démocratique »
Le déclencheur des hostilités a été une vidéo diffusée début septembre par le média d’extrême droite L’Incorrect, fondé par un proche de Marion Maréchal, et qui a suscité une vive polémique politico-médiatique. Filmée en juillet dans un restaurant parisien, la vidéo montre Thomas Legrand, chroniqueur à Libération et France Inter, et Patrick Cohen, qui intervient sur France Inter et sur France 5, échanger avec deux responsables du Parti socialiste.
Au cours de cette discussion, Thomas Legrand déclare : « Nous, on fait ce qu’il faut pour [Rachida] Dati, Patrick [Cohen] et moi ». Des propos qui ont valu aux deux journalistes des accusations de connivence avec le PS et de parti pris à l’encontre de la ministre de la Culture sortante. Les deux hommes ont demandé par huissier à L’Incorrect l’intégralité des images vidéo, sans montage. Le média d’extrême droite a indiqué mercredi soir avoir fait constater par huissier que les images brutes étaient « conformes aux propos » publiés. « Il n’y a pas de propos qu’on leur fait dire qu’ils ne disent pas », a déclaré à l’AFP le directeur de la rédaction, Arthur de Watrigant.
Thomas Legrand a renoncé à son émission dominicale sur France Inter, mais continuera d’intervenir à l’antenne. Cette affaire a été amplement commentée sur CNews, Europe 1 et le Journal du dimanche (JDD) – tous dans le giron de M. Bolloré –, qui y ont vu un signe de parti pris politique du service public. Mais pour Delphine Ernotte Cunci et Sibyle Veil, « le caractère outrancier et déséquilibré de cette campagne dépasse désormais le simple débat d’opinions ».
Les deux femmes, qui devaient être entendues ce mercredi après-midi par l’Arcom au sujet de l’affaire Legrand-Cohen, ont estimé que la campagne des médias Bolloré « contribue à miner la confiance dans l’information de service public, à relativiser la responsabilité de l’acte d’informer – qui suppose honnêteté et rigueur – et […] à fragiliser la qualité du débat démocratique ».
Pascal Praud fustige l’« offensive » des « bien-pensants »
« La liberté d’expression ne saurait être instrumentalisée dans l’objectif d’affaiblir le service public audiovisuel », insistent-elles. Elles pointent le « temps d’antenne très significatif » consacré par CNews et Europe 1 à des « propos dénigrants ». « Nous aimerions connaître votre position sur le sujet », concluent les dirigeantes, en interpellant le président de l’Arcom, Martin Ajdari.
Bien avant cette affaire, les médias dans le giron de Vincent Bolloré ont fréquemment accusé l’audiovisuel public de pencher à gauche, notamment dans son traitement des questions d’immigration et d’insécurité. Jusqu’à ces derniers jours, les groupes publics n’avaient jamais directement répondu. Radio France a été le premier à changer de braquet. Samedi, deux hauts responsables sont publiquement montés au créneau pour réfuter les accusations.
Ce n’était pas assez pour calmer les médias bolloréens. « Ces gens deviennent fous », a asséné lundi la vedette de CNews, Pascal Praud, en ouverture de son émission L’heure des pros. S’insurgeant contre l’« offensive tous azimuts » des « bien-pensants », il a assuré que « la presse Bolloré » est « une presse libre et indépendante ».
L’homme d’affaires breton est devenu une figure sulfureuse, de nombreux médias n’hésitant plus à affirmer qu’il impose une ligne éditoriale stricte et très politique à son empire médiatique. Télérama l’a notamment décrit comme un « rouleau compresseur managérial et idéologique » promouvant « des idées conservatrices et réactionnaires », quand France 24 a carrément affirmé que ses médias ont été « au service de l’extrême droite » lors de la campagne des législatives.