Par

Fabien Binacchi

Publié le

17 sept. 2025 à 18h33

EXCLUSIF. Les vacances en Laponie « pour voir le père Noël » sont tombées à l’eau. Les séjours à Disney ont été annulés. Depuis plusieurs mois, la justice enquête sur l’activité d’une société des Bouches-du-Rhône qui aurait vendu des voyages à prix défiant toute concurrence sans qu’ils aient finalement lieu. Ni qu’ils soient remboursés. Comme le révèle l’émission Arnaques ! diffusée ce jeudi 18 septembre sur M6, 300 plaintes ont déjà été déposées et le préjudice pourrait dépasser 1,5 million d’euros, selon un avocat de ces victimes. Des chiffres contestés par la gérante qui répond en exclusivité à actu Marseille.

« Un CE pour ceux qui n’en ont pas »

Aujourd’hui, Annabelle Guimmara ne décolère pas. Cette Marseillaise de 47 ans était pourtant sûre d’avoir déniché la parfaite affaire pour voyager à moindres frais. « C’est par le bouche-à-oreille, par des mamans d’élèves, que j’ai appris l’existence de cette société », raconte la mère de famille. L’entreprise en question, lancée à mai 2019 selon ses statuts et domicilié à Ensuès-la-Redonne, à quelques minutes de la cité phocéenne, a été imaginée « comme un CE [comité d’entreprise] pour ceux qui n’en ont pas », résumé la quadragénaire.

Parfait pour cette infirmière libérale et pour les nounous auxquelles la structure était d’abord dédiée. Deux assistantes maternelles sont d’ailleurs aux commandes. « Elles ont fini par ouvrir à toutes les professions », poursuit Annabelle.

Des réductions imbattables

Une aubaine pour cette dernière et sa famille. Contre une adhésion annuelle à 34 euros, les réductions sont alléchantes. Mieux, elles sont imbattables.

« Au début, j’étais dubitative. Elles proposaient des voyages en Laponie, à moitié prix, des vacances au ski pour 4 et tout compris à moins de 2000 euros. Mais j’ai eu le témoignage de clients ravis et j’ai fait faire plusieurs devis. »

« J’ai adhéré en novembre 2023 et réservé pour des projets sur l’année 2024. Plus on réservait à l’avance et plus les tarifs étaient attractifs. En plus, on pouvait régler en deux, trois ou quatre fois. Sur le papier, c’était super. »

Annabelle Guimarra

Premier départ prévu en avril 2024 pour le parc Disneyland Paris : 750 euros pour trois jours et deux nuits, à 4, avec son conjoint et ses deux enfants de 5 et 7 ans. Ils sont surexcités. Mais c’est la douche froide. Il y a un problème avec la réservation, selon la gérante.

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« Ça a été annulé ou reporté, m’a-t-elle dit. J’ai fini par lui demander de réinjecter l’argent dans l’autre voyage prévu l’hiver dernier en Laponie. Entre-temps, un séjour en camping en juillet qui s’est passé sans accroc m’avait redonné confiance », raconte encore Annabelle.

« Il y a toujours un problème »

Mais la désillusion continue. À quelques jours seulement du départ pour la Finlande, « tout redevient vague ». « On change de vol, il y a une nouvelle escale. Des changements dus à ses partenaires, soi-disant. Elle essaie de modifier les dates. Il y a toujours un problème. » Jusqu’à ne plus avoir de nouvelles du tout. À date, la fameuse société doit toujours rembourser à Annabelle 3600 euros pour les vacances tombées à l’eau.

« C’est déjà énorme, mais j’ai vite découvert que je n’étais pas la seule et que pour d’autres, c’était encore plus ». Désormais certains d’avoir affaire à une « arnaque géante », la Marseillaise décide d’enquêter. Sur Facebook, elle tombe sur un groupe où sont partagés les « retours d’expérience » des clients de ce fameux CE aux remises extraordinaires.

Un préjudice de 26000 euros pour Christelle

Il y a du bon et du beaucoup moins bon. Dans le département voisin du Var, Christelle Long, également infirmière libérale, déplore un préjudice de… 26000 euros. « J’ai réservé dès 2023 et au début tout se passait bien. J’ai pu partir 3 ou 4 fois en l’espace d’un an et demi », raconte également cette habitante du Beausset, 41 ans.

Mais, voilà, les autres vacances « payées en totalité » pour plusieurs parcs d’attractions mais aussi la Crète, la Laponie ou encore Tenerife n’auront jamais eu lieu. « Le plus dur, c’est que j’ai embarqué d’autres gens avec moi dans cette arnaque. Des personnes ont adhéré sur mes conseils », souffle-t-elle auprès d’actu Marseille.

Des victimes, il y en aurait dans toute la France. Et pour elle pas de doute, elles ont bien eu affaire à une arnaque organisée, « à une pyramide de Ponzi ». Pour Me Nicolas Berthier, qui représente une soixantaine des 300 plaignants, « l’enquête devra le déterminer ». « Mais des gens partaient en voyage à des tarifs très avantageux qui ne correspondaient pas à la réalité du marché et on doit bien se demander qui a financé la différence. Et si ce ne sont pas les nouveaux entrants qui ont payé les séjours des membres plus anciens. »

« Tout cet argent est dans la nature »

La justice prend en tout cas l’affaire très au sérieux. La gendarmerie nationale confirme à actu Marseille qu’« une procédure est en cours avec un recueil de plaintes ». L’afflux de clients s’estimant floués est tel qu’une lettre type a été rédigée pour faciliter leur enregistrement à Istres, où les investigations sont centralisées.

« On est a minima sur des faits d’abus de confiance, mais aussi d’escroquerie et de faux et usages de faux, appuie Me Nicolas Berthier. On a notamment la trace de numéros de réservation frauduleux. Le préjudice est estimé à 1,5 million d’euros. Il y a eu quelques remboursements à la marge. L’enquête devra déterminer s’il y a eu un enrichissement des responsables. Mais, en attendant, tout cet argent est dans la nature. »

« Au-delà, cette affaire touche à des voyages et des vacances gâchées, pour des familles et des enfants, donc à des rêves brisés. Tout ça pour le plaisir égoïste de quelques-uns. »

Me Nicolas Berthier

« J’ai été dépassée »

Des chiffres et des accusations que la gérante de la société, une femme de 38, conteste fermement auprès d’actu Marseille. « Il n’y a pas d’escroquerie, il n’y a jamais eu d’intention malveillante et certainement pas d’enrichissement de notre part », affirme-t-elle par téléphone ce mardi 16 septembre. « On n’a jamais profité de l’argent de qui que ce soit. J’ai rencontré des gros problèmes de gestion et j’ai fait des erreurs. Il y a des partenaires à qui j’ai fait confiance et je n’aurais pas dû. »

Dans de longs messages publiés en début d’année sur la page Facebook de sa société (rendue invisible depuis ces dernières heures), elle expliquait les difficultés rencontrées, évoquait aussi ses graves problèmes de santé, dont elle a tenu à envoyer des preuves à notre rédaction. « J’ai été dépassée », assure-t-elle encore.

« Il y a eu un enchaînement de choses et de mauvaises décisions de ma part, je le reconnais. Mais en aucun cas la volonté d’arnaquer qui que ce soit. »

La gérante de la société

Elle assure pour sa part avoir déjà effectué plusieurs remboursements et estime le reliquat entre 400000 et 500000 euros. « Les chiffres communiqués sont évidemment gonflés », dit-elle « sans vouloir se dédouaner de quoi que ce soit ».

Une « arnaque » ou un « lynchage » ?

Du côté des 300 plaignants déjà connus, on explique pourtant qu’« il pourrait y en avoir beaucoup plus », l’entreprise ayant fédéré jusqu’à 850 adhérents. « Il est important que tout le monde se manifeste, appuie l’avocat Nicolas Berthier. Car même s’il va être très compliqué d’obtenir des remboursements en intégralité et pour toutes les parties, ne rien faire équivaudrait à accepter que les mis en cause ne soient pas punis. »

La gérante, elle, s’estime victime d’un véritable « lynchage ».

Elle explique même avoir été victime de menaces de mort et d’attaques physiques la visant personnellement, mais aussi son mari et l’un de ses six enfants. Des plaintes, dont elle a transmis la copie à notre rédaction, ont été déposées.

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