Selon le rapport d’une commission d’enquête mandatée par l’ONU, Israël commet un génocide à Gaza.

HANI ALSHAER / Anadolu via AFP

Selon le rapport d’une commission d’enquête mandatée par l’ONU, Israël commet un génocide à Gaza.

GAZA – Tabou il y a encore quelques mois, le mot s’est imposé jusqu’aux plus hautes instances internationales. Pour la première fois depuis le début de l’offensive à Gaza, une commission d’enquête mandatée par l’ONU a rendu ce mardi 16 septembre un rapport accusant Israël de commettre un génocide à Gaza, avec l’intention de « détruire les Palestiniens ». Une accusation rejetée en bloc par l’État hébreu.

Concrètement, la commission d’enquête a conclu que les autorités et les forces de sécurité israéliennes avaient commis « quatre des cinq actes génocidaires » définis par la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime du génocide. À savoir : « meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ».

Pour parvenir à ces résultats, la commission d’enquête de l’ONU, « dont les membres sont des experts particulièrement qualifiés », s’est appuyée sur « des critères publics, qui se rapprochent le plus possible d’une méthodologie judiciaire », souligne auprès du HuffPost Pascal Turlan, juriste international et ancien conseiller au Bureau du procureur de la Cour Pénale internationale (CPI).

Bien que la commission ne s’exprime pas au nom de l’ONU, cette nouvelle accusation – qui intervient au moment même où Israël entame son offensive terrestre pour la prise de contrôle de la ville de Gaza – sonne comme un nouveau cap franchi dans les accusations de génocide formulées contre Israël depuis près de deux ans.

Un mot « inflammable »

En effet, les premières accusations de génocide sont formulées par les organisations de défenses de droits humains seulement quelques semaines après l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre 2023. En décembre de la même année, une résolution de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) indique que « les conditions de vie » des Palestiniens « deviennent jour après jour, inexorablement, celles d’une population dont l’élimination est programmée ».

À ce moment-là, le mot est complètement « inflammable », décrit Alban Perrin, historien, spécialiste des génocides du XXe siècle, chargé de cours à Sciences Po Bordeaux. « Au lendemain du 7-Octobre, l’emploi du mot génocide générait des réactions très violentes » car il donnait l’impression de « nier ou minimiser les violences subies par les Israéliens », poursuit celui qui est aussi formateur au Mémorial de la Shoah. À l’inverse du côté de ceux qui l’emploient, il y a « une peur d’être en retard sur la découverte d’un génocide, comme cela a pu être le cas pour le Rwanda », pointe Pascal Turlan.

Après une année de guerre particulièrement meurtrière pour les Palestiniens, d’autres ONG se saisissent du sujet. En décembre 2024, une enquête d’Amnesty conclut qu’« Israël a commis et continue de commettre un génocide contre les Palestiniens et les Palestiniennes sur la bande de Gaza ». Dans la foulée, Human Rights Watch accuse les autorités israéliennes de « crime d’extermination et d’actes de génocide à Gaza ».

Progressivement, intellectuels, et artistes emboîtent le pas. En mai dernier, 300 écrivains affirment dans une tribune dans le journal Libération que le mot génocide ne doit plus faire débat pour parler du sort des Gazaouis.

Du côté de la sphère politique, les lignes bougent aussi. Début septembre, le gouvernement espagnol lui-même a parlé de génocide, et annoncé prendre des mesures de sanction contre Israël pour y mettre fin. En France aussi, certains membres de la classe politique française ont évolué sur leur position.

Au sein même de la société israélienne, l’accusation de génocide à Gaza gagne du terrain. Certains historiens israéliens, notamment Omer Bartov et Amas Goldberg, plaident depuis plusieurs mois pour qualifier la situation à Gaza de génocide. Fin juillet 2025, les ONG israéliennes Physicians for Human Rights et B’Tselem ont elles aussi accusé l’État hébreu de commettre un génocide à Gaza. Dans les manifestations contre le gouvernement Netanyahou, des pancartes « arrêtez le génocide » ou « refusez de bombarder » ont également commencé à émerger.

Le fruit d’une politique jusqu’au-boutiste

D’après les observateurs, cette accélération de l’accusation de génocide est en partie le résultat de la politique jusqu’au-boutiste menée par l’exécutif israélien. « Les informations alarmantes sur le bilan humain d’une offensive militaire, dont les observateurs les plus modérés peinent à percevoir le sens, apportent des arguments en faveur de l’emploi du terme », explique Alban Perrin. De la même manière, la rupture du cessez-le-feu par Israël en février dernier, l’état de famine déclaré par l’ONU ou encore le lancement du plan de conquête de la ville de Gaza ont nourri les inquiétudes.

À tel point que le terme de génocide occupe aujourd’hui une place inédite dans le débat public. Le mot « ressurgit régulièrement dans l’actualité à l’occasion de procès ou de crises majeures comme en Syrie avec la population Yézidis, ou pour les Rohingya, mais jamais avec la même ampleur » que pour la situation actuelle à Gaza, affirme l’historien.

Mais alors qu’Israël ignore les mises en garde de la communauté internationales, quels effets peuvent ces accusations répétées de génocide ? Pour le spécialiste du droit international Pascal Turlan, il est « fondamental de soulever la question du génocide afin d’établir les faits pour le futur, et faire en sorte que la situation cesse ». Selon lui, cela répond notamment aux exigences de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Par ailleurs, les rapports tels que celui produit par la commission d’enquête mandatée par l’ONU peuvent présenter un intérêt pour les juridictions internationales. « Ce ne sont pas des éléments de preuve en tant que tels, mais des éléments de contexte et d’informations qui peuvent amener à d’autres preuves », fait savoir Pascal Turlan. Cela pourra notamment être le cas dans le cadre du recours déposé en décembre 2023 par l’Afrique du Sud devant la Cour de Justice Internationale (CIJ), et dont les conclusions ne seront rendues que dans plusieurs années.

Cependant, « l’utilisation tous azimuts » du terme de génocide peut, selon le juriste, « créer de la confusion » et présenter le risque de « cacher la réalité de la situation à Gaza », en occultant le détail des différents crimes de guerre.

Pascal Turlan rappelle d’ailleurs que la qualification continue de faire « débat » chez les historiens et les juristes. Et pour cause, « la définition du génocide est très pointue et difficile à remplir », dit-il. Pour parler de génocide il faut non seulement que les crimes cités dans la Convention de 1948 soient commis, mais aussi être en mesure de prouver l’intention de l’auteur à « détruire tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel ». Un temps de la recherche et du droit en complet décalage avec l’urgence de la situation humanitaire à Gaza.