Surnommé « Chat Control », un règlement européen contre les contenus pédopornographiques fait craindre une surveillance de masse.

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Surnommé « Chat Control », un règlement européen contre les contenus pédopornographiques fait craindre une surveillance de masse.

TECH – L’Union européenne va-t-elle bientôt pouvoir lire toutes vos communications, y compris celles que vous échangez sur les messageries cryptées comme WhatsApp, Telegram ou Signal ? Depuis plusieurs jours, cette polémique enfle sur les réseaux sociaux autour du projet de directive CSAM (Child Sexual Abuse Material) qui a vocation à lutter contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants.

En cause, cette pétition contre le projet de loi européen, surnommé ici « Chat Control », qui a déjà recueilli plus de 37 000 signatures. Derrière le site qui l’héberge : Christophe Boutry, alias « Haurus », un ancien agent de la DGSI devenu youtubeur après une condamnation pour avoir vendu sur le darknet des informations confidentielles. La pétition déclare s’opposer à une « surveillance totale » que permettrait l’adoption de cette loi visant à s’attaquer aux contenus pédopornographiques.

Pour comprendre comment en est-on arrivé là, il faut revenir quelques années en arrière, en 2022, lorsque les premiers jalons de la loi CSAM ont été posés avec cette « proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants ». L’objectif : détecter, signaler puis retirer ces contenus illégaux.

Une dangereuse banalisation de la surveillance

Pour y parvenir, la première version du « Chat Control » proposait d’utiliser la méthode du client-side scanning (CSS). Concrètement, cela signifie qu’un dispositif automatisé serait imposé aux plateformes, et analyserait tous les messages, images, vidéos et autres fichiers qui y sont échangés au moment même de leur envoi – y compris ceux partagés par le biais de messageries cryptées.

Malgré une modification radicale de cette première version par le Parlement européen, le problème lié à l’utilisation du CSS reste aujourd’hui inchangé, estime la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) contactée par Le HuffPost :

« À ce jour, le texte prévoit toujours, notamment, l’obligation pour les services de communications interpersonnelles de permettre l’introduction d’un dispositif de surveillance dans leurs systèmes (y compris pour les communications chiffrées de bout en bout, par le biais d’un dispositif installé sur le terminal des utilisateurs) ». L’organisme alerte également sur les risques de « faux positifs » qu’entraînerait l’utilisation d’un tel dispositif.

« Chat Control participe à la banalisation de mesures de surveillance particulièrement intrusives et dangereuses dans une démocratie », résume de son côté Bastien Le Querrec, juriste à la Quadrature du Net. Selon l’association de défense des libertés à l’ère du numérique, la portée du texte sera d’ailleurs « très certainement étendue », « parce qu’avant de pouvoir dire qu’un contenu relève ou non d’une catégorie recherchée, il faut bien surveiller tous les contenus ».

Un texte controversé toujours en négociation

Face à la viralité de la pétition pour stopper « Chat Control », partagée en masse sur les réseaux sociaux et notamment par le Parti Pirate, il est néanmoins important de rappeler que le contenu du projet est encore débattu, et ce depuis plus de trois ans. « La panique virale à propos de l’Union Européenne qui “va scanner immédiatement les messages de tout le monde” est trompeuse, car le projet est encore un brouillon », rappelle ainsi Euronews.

La prochaine étape pour « Chat Control », qui est désormais entre les mains du Conseil européen, c’est un potentiel vote le 13 octobre. Mais il y a une grande probabilité qu’il « ne se passe rien du tout » ce jour-là, car « il existe toujours une minorité bloquante qui fait que le Conseil n’adoptera probablement pas sa position, qui pour l’instant penche vers l’une des pires versions du texte », précise Bastien Le Querrec. En effet, comme l’indique Radio France, les États membres restent divisés : 15 d’entre eux, dont la France, soutiennent le projet de loi, mais des pays comme la Pologne, l’Allemagne ou les Pays-Bas y sont opposés.

Si le 13 octobre, les États arrivent néanmoins à se mettre d’accord sur cette version du texte, ce sera la phase des trilogues qui commencera, « des réunions de travail complètement opaques pour essayer de trouver une version commune du texte qui fait plaisir à la fois au Parlement européen et au Conseil », décrit Bastien Le Querrec. « S’il est adopté, il y aura d’autres manières de continuer le combat », assure cependant le juriste. « Mais si on peut le faire stopper dès maintenant, c’est une bonne chose ».