LE MONDE QUI BOUGE. La Cour des comptes allemande vient de tirer la sonnette d’alarme: la dépense publique est hors de contrôle et le gouvernement fédéral « est loin d’avoir un système financier solide ».

Les députés allemands ont adopté hier, avec plusieurs mois de retard, le budget fédéral pour 2025. Mais désormais c’est le budget 2026 qui concentre toutes les inquiétudes. La Cour des comptes allemande vient de tirer la sonnette d’alarme : la dépense publique serait en train de glisser hors de contrôle.

« Les finances de l’Allemagne sont au bord du gouffre », titrait le journal Bild — une formule sans doute excessive, mais qui illustre bien le climat de nervosité outre-Rhin. Selon le rapport, près d’un euro sur trois du budget 2026 sera financé à crédit : sur 520 milliards d’euros de dépenses prévues, 174 milliards proviendraient de nouvelles dettes.

La Cour n’hésite pas à qualifier la situation de « structurellement dangereuse », estimant que « le gouvernement fédéral vit au-dessus de ses moyens » et qu’il est « loin d’avoir un système financier solide ».

Selon les auditeurs, les dépenses de l’Allemagne ont déjà fortement augmenté ces dernières années de près de 75% entre 2019 et 2026.

Face à ces critiques, le ministre des Finances, Lars Klingbeil, assume sa stratégie. Pour lui, pour renouer avec la croissance après des années de recession, il faut dépenser massivement. Mais ce qui inquiète les spécialistes allemands est davantage la philosophie derrière ces dépenses, plus que leur volume. En effet, ces nouvelles dettes vont surtut servir à financer des dépenses courantes.

Une pratique qui rompt avec la tradition d’équilibre budgétaire typique de l’Allemagne, qui est allée jusqu’à inscrire le « frein à l’endettement » dans sa Constitution. Cette limite désormais levée, les allemands peuvent désormais s’endetter davantage, surtout pour les dépenses liées aux infrastructures, vieillissantes dans le pays, et à l’armement, avec l’objectif de dépenser l’équivalent de 2,4% du PIB pour la défense.

Faire comme la Grèce?

Mais les perspectives inquiètent davantage encore. La dette publique allemande, qui s’élevait à environ 1.300 milliards d’euros en 2020, a déjà grimpé à près de 1.900 milliards aujourd’hui. Un chiffre qui semble tout de même « dérisoire » par rapport aux 3.400 milliards français…

Une comparaison surprenante commence à s’insinuer dans le débat budgétaire allemand. Treize ans après la crise de la dette souveraine, pendant laquelle les allemands avaient été très critiques vis-à-vis des Grecs, considérés comme des « fainéants », Athènes est citée en exemple par une partie de la classe politique et des commentateurs allemands.

Il est vrai que la Grèce se porte plutôt bien: longtemps stigmatisée pour sa gestion laxiste, Athènes affiche aujourd’hui une croissance prévue de 2,3% en 2025, bien supérieure à la moyenne de la zone euro, des excédents budgétaires primaires et une trajectoire de désendettement rapide. Sa dette, qui était encore à près de 210% du PIB en 2020, est passée à environ 150% en 2024.

De quoi susciter l’admiration des allemands, qui craignent la dette par dessus tout. Alors qu’Athènes fait figure de modèle de rigueur retrouvée, Berlin redoute d’être aspirée dans une spirale de déficits structurels — un paradoxe qui met en lumière la fragilité des finances publiques européennes.