Partir de chez soi, sac au dos, et se laisser porter par les chemins. La marche séduit de plus en plus de jeunes voyageurs, désireux de renouer avec la lenteur, la rencontre et la simplicité. De Chartres au Puy-en-Velay, des sentiers corses jusqu’aux chemins de Compostelle, tour d’une France redécouverte pas à pas.

«Voyager à pied, c’est l’éloge de la lenteur.» Alexandre Ori, journaliste de 23 ans, est récemment devenu un amateur de ce type de voyage. «Quand tu rentres en train après ton périple et que la campagne défile à 300 km/h, tu te dis que tu passes à côté d’une aventure», songe-t-il. Avec un ami, il s’est lancé en juin dernier sur les routes entre Chartres et le Puy-en-Velay. «À pied, on a vu défiler la France rurale dont les paysages changent selon l’agriculture. On est passé des champs de blé à perte de vue de la Beauce aux profondes forêts, lacs, rivières et châteaux de la Sologne », se souvient-il émerveillé.

Se sentir ancré

De plus en plus de jeunes tentent de renouer avec ce mode de déplacement plus simple, plus lent. «Quand on avance à 4 km/h, on réalise vraiment les distances, on a tout le temps de contempler, de s’émerveiller…», raconte Astrid, 38 ans. Le but premier : «Se sentir ancré à l’endroit où l’on est.» C’est en Asie, lors de son tour du monde qu’elle expérimente pour la première fois la marche. De retour en France, elle s’élance d’Orléans à Compostelle. Trois itinéraires spirituels qu’elle raconte dans son blog et son livre, À pied sur les chemins de Compostelle, publié chez Lonely Planet. «Au départ, je n’attendais rien, et c’était magique. La deuxième fois, j’avais peur d’être déçue, mais c’était tout aussi fort.» La jeune femme insiste sur le «luxe du temps», qui bouleverse aussi le rapport au corps : «À pied, on se réapproprie ses sensations corporelles mises de côté dans nos routines quotidiennes cadrées : manger quand on a faim, s’arrêter quand on est fatigué.»


Passer la publicité

C’est aussi cette «reconnexion au corps» qui pousse chaque mois Léa à réserver un week-end de marche sur les sentiers de randonnée. «Vivre une aventure ou une expérience, de découverte d’un lieu, d’une région à travers un effort physique», précise-t-elle. Pyrénées, Corse… Pour l’enseignante-chercheure, la randonnée permet aussi de profiter d’un espace naturel sans avoir d’impact dévastateur sur la biodiversité. «Les vacances en avion ou en van  nous font survoler les paysages. La randonnée, au contraire, permet de moins consommer les espaces. Ça crée une connexion directe avec le lieu, tes pieds touchent le sol, tu le ressens à travers tes sens.»

La marche, un chemin vers l’autre

Si Léa apprécie les moments de solitude que lui offre la marche en pleine nature, pour les autres voyageurs, marcher permet de se rendre disponible aux autres. Mehdi, alias Debbraahworld sur les réseaux sociaux, en a fait son credo. Le trentenaire cumule environ 1,6 million d’abonnés depuis qu’il a relié Paris à Alger à pied en 2022 et prépare déjà son prochain challenge prévu le 5 octobre. Enthousiaste, joyeux et avide d’aventures, il partage ses longues marches en vidéo dans le but de lever des fonds pour plusieurs projets associatifs. «Mon premier voyage en 2015 a été mon préféré. J’ai dit à mes parents que j’allais chez un ami à Marseille. En réalité, j’ai marché depuis Paris.» 

Dix-sept jours plus tard, il s’écroule en larmes devant le panneau de la cité phocéenne. «J’ai ressenti une libération. Quand tu dis « j’ai marché jusqu’à Marseille », ça change ton regard sur toi-même.» Mais aussi sur les autres. Depuis, Mehdi a parcouru plus de 17.000 kilomètres vers Venise, Lisbonne ou Alger. Et au-delà de la performance, il retient surtout les visages qu’il a croisés. «J’ai découvert l’hospitalité des gens qui ne venaient pas du même environnement que moi. À deux reprises, des femmes m’ont ouvert leur porte pour dormir. Elles m’ont fait confiance», se souvient-il, touché. S’il a connu des mésaventures, comme une nuit obscure passée auprès d’une secte à Saint-Sébastien, il n’en garde pas d’amertume. «La marche m’a appris à faire le deuil de mes émotions. » Aujourd’hui, il continue d’avancer, toujours avec cette certitude : «Il y a plus de gens bien que de gens mauvais.»

«Tu peux enchaîner des heures de refus, mais il suffit d’une personne qui te fait confiance pour retrouver une énergie incroyable», confirme Alexandre. À Montluçon, le jeune homme et son ami ont fait face au frein social. «Mon cœur vous dit oui mais ma tête vous dit non», leur a avoué une dame alors qu’ils cherchaient un hébergement. Plus tard sur la route, «un homme nous a interpellés alors qu’on faisait du stop. Il nous a tendu un bouquet de roses en nous disant “voilà, maintenant les gens vont s’arrêter”», raconte le journaliste. «On a fini par boire un verre chez lui. On lui a prêté une oreille attentive. Les gens se livrent plus facilement aux inconnus.»

De leurs pas, ces jeunes voyageurs tracent un autre rapport au voyage : moins consumériste, plus humain, plus attentif. «Les plus grandes aventures peuvent commencer au pas de notre porte, sourit Astrid. Il suffit de se lancer.»