C’est un nom oublié, tiré des archives du bloc de l’Est, que Moscou remet aujourd’hui au goût du jour. Le retour du concours marque la résurrection d’un projet né dans les années 1960, à l’ombre du rideau de fer, comme “alternative socialiste à l’Eurovision”, selon Kommersant, quotidien moscovite modéré. À l’époque, il réunissait les pays alliés du camp soviétique.
Cette fois, Lenta.ru se félicite de la diversité des 23 pays participants, situés sur “quatre continents”, dont la Chine, l’Inde, la Serbie, le Venezuela, l’Égypte, les pays d’Asie centrale, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, et même les États-Unis.
La participation de ce dernier pays a créé la surprise, selon la BBC Russie. En outre, leur représentant, Brandon Howard, s’est désisté quelques jours avant le concours pour “raisons familiales”, et a été remplacé par la chanteuse australienne Vassy, écrit le service en langue russe du radiodiffuseur britannique.
Intervision, qui se tiendra le 20 septembre, revendique dans son programme un ancrage dans les “valeurs traditionnelles”. Dans un entretien accordé à l’agence de presse russe Tass, le compositeur Igor Matvienko, membre du jury russe, affirme que le concours met en avant “les valeurs familiales et l’identité nationale”, à rebours d’un Eurovision accusé de se plier “aux tendances mondiales”.
Les chansons, note encore Lenta.ru, devront mêler pop et “folklore reflétant la culture nationale”. Le site d’information russe en profite pour rappeler que la “première victoire de l’URSS dans l’histoire du concours” a été remportée en 1978 par la chanteuse soviétique Alla Pougatcheva, qui a mis en ligne une vidéo d’archive sur sa chaîne YouTube.

Le règlement promet un prix de 30 millions de roubles (300 000 euros) au vainqueur, et un trophée en cristal censé symboliser “la pureté des intentions”, dit Mikhaïl Chvydkoï, émissaire culturel du Kremlin, cité par Lenta.ru.
“Lorsque les gens se mettent à chanter, bien des choses s’effacent. En chantant, ils sont unis et oublient la haine. Il y aura un seul gagnant, mais pas de perdants.”
Des figurants grimés en spectateurs enthousiastes
Même la cérémonie de tirage au sort a été scénarisée dans un esprit folklorique. Une semaine avant l’événement, le quotidien économique Vedomosti rapportait que les artistes choisissaient une tasse, qu’ils remplissaient à l’aide d’un samovar, et qui révélait leur numéro de passage sous l’effet de la chaleur.
La mise en scène du concours a fait l’objet d’une préparation poussée. MSK1.ru, média régional de Moscou, révèle qu’environ 1 500 figurants ont été recrutés deux semaines plus tôt pour jouer les spectateurs. Étudiants, lycéens et adultes “ont été déguisés en étrangers pour faire croire à un public international”, raconte l’un d’eux. “Et après, c’est huit heures debout : danser, agiter les drapeaux, et surtout sourire et sourire.” Sur place, les médiateurs de l’événement encourageaient cette “foule enthousiaste” : “Avec les candidats sur scène, vous êtes les principaux acteurs.”
Grâce à une production calculée, Moscou entend bien se doter de sa propre vitrine culturelle, vue par certains critiques interrogés par Radio Svoboda comme une tentative “de relancer un outil géopolitique pour amuser ceux qui rêvent du retour de l’influence russe, comme à l’époque soviétique”.
“Cette relance d’un concours datant de la guerre froide est une preuve de plus, analyse le critique musical en exil Artemi Troitski, interviewé dans le programme Current Time, affilié à Radio Svoboda : la Russie de Poutine est retombée dans le sovok [terme péjoratif pour désigner l’URSS], cet état d’esprit soviétique.”