« De l’arme à l’art !  » C’était le slogan de l’exposition éphémère présentée samedi 19 avril au domaine des Gueules Cassées, du côté de La Valette. Là, dans un salon riche d’une centaine d’œuvres, dix-neuf militaires blessés ont pu présenter au public leur toute première exposition: « L’Art Résilience ».

Fruit d’un travail de longue haleine, ce projet a été porté par la jeune association Solda’rtiste, qui réunit d’anciens militaires des quatre coins du pays afin de mettre en lumière leur art et son importance sur le chemin de la guérison. Les visiteurs ont ainsi pu découvrir une exposition variée, rassemblant à la fois sculpture, écriture, dessin, film ou encore peinture.

« Ces artistes sont pour la plupart des blessés psychiques, expliquait Julien, président du collectif. C’est une grande première pour nous mais, si ça se passe bien, peut-être que la prochaine fois, on la fera sur deux jours. »

« L’art m’a sauvé »

En passant les portes de l’expo, les curieux sont longtemps restés plantés devant les massives sculptures de Jonathan. Âgé de 37 ans, cet ancien militaire a notamment servi au Tchad, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire et en Centrafrique. Là-bas, alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme, la perte de plusieurs camarades, le rythme des opérations et l’intensité des combats lui ont laissé de profondes séquelles psychiques.

« J’ai quitté l’armée en 2013 et j’ai commencé une longue descente aux enfers. Je suis tombé dans la boisson, les drogues… Ça m’a entraîné au fond du trou, raconte le Varois d’origine. Un jour, à cause de l’alcool, j’ai eu un grave accident de voiture. Et lors de mon hospitalisation, l’art est venu à moi. » C’est dans un petit atelier que Jonathan a commencé à souder, reprenant petit à petit confiance en lui. « J’ai pu me reconstruire grâce à ça, poursuit-il. J’avais essayé le sport, la méditation… Mais je retombais toujours. L’art, lui, m’a sauvé. »

Après plus de trois ans passés à sculpter à partir de vieux métaux recyclés, le père de famille s’est donc présenté à La Valette avec une quinzaine d’œuvres, parmi lesquelles un petit robot baptisé « 15 août » ayant particulièrement fait son effet. « C’est la date où les talibans ont repris le contrôle de l’Afghanistan en 2021, présente Jonathan. Il y avait de la colère en moi. Mais au lieu de resombrer, je me suis assis dans l’atelier pendant une semaine, et il y a ça qui est sorti. »

Aller de l’avant, effacer les traumatismes, c’était aussi la volonté de Jean-Louis, ancien chef de section dans l’armée de Terre. Son premier livre, Des mots pour des maux, fut pour lui une sorte de thérapie. « L’écriture de poèmes et les dessins ont été un exutoire, un médicament, assure ce septuagénaire. En 2011, on ne parlait pas de stress post-traumatique. J’ai voulu me soigner tout seul… » Le deuxième recueil, paru quelques années plus tard, sera malheureusement bien moins épais. « Il n’est pas fini, car il m’a fait replonger dans des souvenirs dans lesquels il ne fallait pas que je replonge. »

Pris de culpabilité à la suite de cet épisode, le « solda’rtiste » s’est néanmoins lancé un ultime défi récemment: parcourir 5.000km à pied à travers tout l’Hexagone, avec comme objectif de faire sortir de l’ombre tous ces « blessés pour la France », qu’ils aient été militaires, pompiers ou policiers. Des rencontres qui feront l’objet d’un troisième ouvrage, aujourd’hui en cours d’écriture.

Crayons et pinceaux comme armes

Des histoires aussi folles que terribles, ils étaient nombreux à pouvoir en raconter ce samedi. Ancien membre des forces spéciales, le Six-Fournais Ghislain a servi de longues années malgré un stress post-traumatique contracté en mission. C’est finalement en 2020 qu’il a décidé de se retirer. « C’était devenu impossible pour moi, rembobine-t-il. Ma conjointe, qui savait que je dessinais étant enfant, m’a ensuite poussé à reprendre le crayon. J’ai réussi à intégrer les Beaux-Arts de Toulon, mais elle a développé un cancer rare et handicapant, donc j’ai dû arrêter plus tôt que prévu. »

C’est malgré tout armé d’une forte résilience que Ghislain a pu, tout en s’occupant de sa femme et de leur enfant, poursuivre son développement pour avoir aujourd’hui la chance d’exposer. Neuf de ses œuvres ornaient ainsi le fond de la salle. « L’idée est de me réapproprier mes souvenirs positifs pour ne pas ressasser les moments qui s’imposaient à moi. C’est un travail transitoire pour reprendre confiance. » Crayons, feutres et pinceaux sont désormais ses plus belles armes.