Un futur équipement rendu nécessaire par la fin de l’enfouissement des déchets. Il va coûter dans le prochain mandat au moins 200 M€, sept fois le prix du fameux projet de patinoire placé au congélateur, voire à la morgue. Cet incinérateur – une « Unité de Traitement et de Valorisation Energétique » (UTVE) – ne concerne pas que Saint-Etienne Métropole mais les deux tiers sud Loire, soit jusqu’à 630 000 habitants, ceux de cinq intercommunalités via leur syndicat « Sydemer* ». Le processus suit son cours pour une mise en service espérée en 2032. Il pourrait provoquer la remontée de compétence du traitement des déchets au Sydemer. Enfin, quatre lieux d’implantation possibles, tous sur la Métropole, vont devoir être départagés.
Le projet d’incinérateur du sud Loire devrait ressembler à l’UTVE de Bourgoin-Jallieu mis en service en 2008 et rénové ces deux dernières années. Capture Google view
« Pour avoir une idée de ce que nous allons construire, il faut aller voir du côté de Bourgoin-Jallieu. » : l’Unité de Traitement et de Valorisation Energétique » (UTVE) du Sitom Nord-Isère confiée à Veolia a une capacité de traitement 176 000 t par an. Il traite les déchets ménagers résiduels et plus globalement, « ultimes » de plus de 405 000 habitants (199 communes réparties sur quatre départements). Il a été mis en service en 2008 pour remplacer une usine plus ancienne, datant de 1986 et vient, déjà, de faire l’objet de travaux majeurs de mise à jour : 22,5 M€ pour augmenter sa capacité en tonnage, ses performances de valorisation (électricité, réseau de chaleur) ainsi qu’environnementales. Une modernisation jugée nécessaire au bout de 15 ans malgré un équipement de qualité nettement supérieure à ce qui se faisait comme incinérateurs dans les années 1970/1980.
« Nous avons été sur place y avons rencontré, entre autres, une association de riverains qui, par rapport aux rejets, n’en avait pas à se plaindre (le site est à l’entrée ouest de Bourgoin-Jallieu, Ndlr). Les normes sont devenues drastiques, la technologie s’est améliorée. Un incinérateur en fonctionnement en 2025, ce n’est pas la même chose qu’il y a 40 ans. On a le recul : il y en a 120 en service en France », assure François Driol. En 2025 toujours, ces « garanties » de modernité réclament un « billet » estimé à 200 M€, minimum, pour les besoins du Sud Loire. Le maire d’Andrézieux-Bouthéon François Driol est vice-président de Saint-Etienne Métropole en charge des déchets, une des principales raisons d’être de l’intercommunalité avec les transports, l’eau et les routes. Il est aussi président du Sydemer*, syndicat, à ce stade, « d’entente » d’abord destiné à co-financer et concevoir des projets d’équipements majeurs (et non la collecte déléguée ou non aux entreprises ou les contrats de « traitement » avec le privé) entre la Métropole, Loire Forez, Forez Est, le Pilat Rhodanien et les Monts du Lyonnais. Comme récemment pour la création/extension du centre de tri TrivalLoire à Firminy.
Encore 110 000 t à brûler en 2032
Parallèlement, le sujet brûlant d’une solution de remplacement de l’enfouissement des déchets ultimes – condamné à terme par la loi, bien que la vieille décharge de Borde Matin à Roche-la-Molière ait obtenu un prolongement d’exercice jusqu’en 2053 – occupe ponctuellement le Sydemer depuis le début des années 2010. Un temps sur la table, la piste du tri biomécanique avait été éliminée lors du mandat 2014/2020. Désormais, il faut s’y atteler à fond : les évolutions de la législation obligent ses intercommunalités à viser, d’ici 5 ans, une réduction drastique de leur part de déchets encore enfouis. Mais l’extension et la mise au jour historiques des consignes tri élargies et simplifiées et donc de l’équipement allant avec à Firminy (plus de 30 M€ investis), la nouvelle prise en charge des déchets bio, la prévention ou encore la mise en place d’une facturation du particulier par quantité produite dans certaines intercommunalités comme à Loire Forez ne suffiront pas : à l’orée 2030, il restera à ce Sud Loire, tous compris, au meilleur de la réalisation des objectifs, plus de 110 000 t par an (ordures ménagères résiduelles, rejets du tri et « tout venant » des déchetteries compris) à obligatoirement « éliminer » autrement qu’en les recouvrant de terre sur le site historique de Roche-la-Molière aux mains du délégataire Suez. Actuellement, encore 160 000 t de déchets ultimes y sont annuellement acheminées par le Sud Loire.
Si le site de Borde Matin pourra continuer à enfouir jusqu’en 2053, les tonnages expédiés sont censés y être considérablement réduits au début de la décennie 2030. Scène datant de 2022. ©If Média/Xavier Alix
En cas d’absence d’un équipement se substituant à cet enfouissement, des pénalités – au rythme corrosif d’1 M€ par… mois pour la seule intercommunalité Saint-Etienne Métropole – seraient dès lors infligées par l’Etat ! « Plus nous nous approchons de 2030, plus la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à laquelle nous sommes soumis avec l’enfouissement augmente. C’est exponentiel. A partir de 2030, ce rythme va exploser et cela correspondra pour nous, à 1 M€ par mois tant que notre alternative ne sera pas prête », nous expliquait François Driol en mars 2025. Un mois et demi plus tôt, une délibération par Métropole, le 6 février, avait été votée – moins six voix contre – pour acter son accord quant à la proposition du Sydemer de créer un incinérateur (soumise aux votes, aussi, des quatre autres intercommunalités membres) et donc déclencher la suite d’études lancées il y a 3 ans dites d’opportunité. Cela, vers 23 h, à l’issue d’une séance fleuve de plus de 8 heures un énième fois vampirisée par des débats tendus et attendus, cette fois-là sur la communication mutualisée avec le chantage à la mairie stéphanoise en toile de fond. Puis le budget 2025.
La « solution » lyonnaise 15 à 20 % plus chère
Enjeu majeur donc tranché dans l’opacité et sans réel débat démocratique, estimaient avec un sentiment proche de la colère les élus écologistes stéphanois il y a six mois. Sa visibilité et sa communication ne sont pas non plus facilitées par le fait que tout s’envisage à cinq. Cinq contributeurs à ce coût faramineux réparti au ratio de leur population respective : même si Métropole est moteur, le syndicat n’a pas l’habitude de communiquer à la presse directement et trop prendre la parole pour les autres pourrait vite passer comme un manque de respect des partenaires. Selon le Sydemer, il n’y avait de toute façon guère d’autres choix : la proposition du Grand Lyon (nos tentatives répétées, sur plusieurs mois, d’obtenir la version de son exécutif sur le sujet en 2023 avaient été piteusement vaines) de faire venir les déchets ligériens dans son incinérateur de Gerland en proie à un risque de pénurie de matières premières (il chauffe 20 000 foyers), se heurtait entre autres aux exigences de véhiculer uniquement par le train les déchets ligériens à brûler. Ce qui complique considérablement la donne puisque faisant rentrer dans l’équation la SNCF.
Recourir à l’incinérateur de Gerland ; option définitivement écartée depuis bientôt un an par les Ligériens. Capture Google view.
Pas pour une question de place. « Ajouter un train spécifique entre Saint-Etienne et Lyon, c’était possible mais il aurait fallu créer un quai de transfert – nous l’avions envisagé le Pont de l’Âne à Saint-Etienne -, créer une coordination pour tout acheminer : tout cela, nous l’avons étudié et finalement, le coût aura été supérieur de 15 à 20 % pour nous en devenant dépendant de la collectivité hôte alors même qu’elle nous indiquait qu’elle ne pourrait pas non plus capter 100 % de notre volume. Enfin nous ne serions pas propriétaires de la solution pouvant devenir caduque à l’aboutissement de l’accord initial, et donc pas maître de notre destin. » Ce serait, d’autre part, se priver chez soit d’un site permettant de « valoriser » même relativement, l’incinération de ces ordures : un peu – le rendement serait assez faible – de production d’électricité oui mais, surtout, de la chaleur pour alimenter les réseaux collectifs de chauffage urbain en hiver (voir une énergie de refroidissement). Comme à Lyon.
La difficile étape du choix d’implantation
Une troisième option existait : un équipement transformant les déchets en « CSR », combustible solide de récupération. Une alternative au pétrole ou au gaz dont les rejets liés à sa production sont de nos jours mieux gérés par les filtres, la technologie. Mais dont l’utilisation derrière par incinération – au sein d’industries, cimenteries, de chaufferies, pour une production électrique, etc. – est en revanche émettrice de CO2. Trouver des ou un industriel (s) en Sud Loire puisqu’il aurait été absurde écologiquement d’exporter hors du département ces CSR, suffisamment costauds et intéressés – le géant SNF par exemple ne l’était pas – relevait de la mission impossible, assure François Driol. Et là aussi, aurait lié le traitement public des déchets au devenir d’une ou plusieurs entreprises privées, donc à leur risque de les voir disparaitre en l’espace de quelques mois entre l’alerte économique et la liquidation. Autant dire du jour au lendemain à l’échelle temporelle des collectivités locales. Le choix de se doter d’un incinérateur, d’un UTVE plus exactement, est donc acquis depuis plus de 7 mois pour le sud Loire.
Pour réaliser cet investissement, les candidats potentiels ne risquent pas de manquer.
L’actualité du dossier n’est plus là même si les territoires à sa « marge géographique » que sont les Monts du Lyonnais ou le Pilat Rhodanien, tournés vers les départements voisins, peuvent encore opter pour une solution autre, isolement, le cadre du Sydemer ne les obligeant actuellement à rien. L’actualité concerne davantage les lieux d’implantation visés. Etant donné les volumes respectifs à véhiculer depuis les intercommunalités, et enfin le positionnement géographique de Saint-Etienne Métropole, il a été très vite acté que c’est le territoire de cette dernière qui à l’évidence devait accueillir le futur équipement. Aussi parce qu’un tissu urbain dense doit se trouver à proximité pour diffuser la chaleur dans les réseaux. François Driol a beau rappeler que les émissions de ce type d’équipements sont aujourd’hui infiniment mieux maîtrisés, moins polluants, qu’autrefois, que le bâtiment construit de nos jours aura une emprise assez limitée de 2 ha, analogue à celle du bâtiment de TrivalLoire (6 500 m2), avec des cheminées ne dépassant la toiture que de quelques mètres, il le sait : le sujet est potentiellement dévastateur pour la mairie qui devra l’accueillir.
La compétence traitement mutualisée ?
Les emplois et les relatifs revenus communaux créés risquent de peser peu face au ballet de camions (qui n’iront cependant plus à Borde Matin) à venir et à la crainte fantasmée ou bien réelle de nuisances. D’autant plus, en pleine campagnes électorales des Municipales prêtes à se télescoper avec un dossier qu’une mairie ne peut pas maîtriser à 100 %. Même si difficilement – à défaut d’être impossible – imposable par son intercommunalité au nom de l’intérêt commun. Il faudra pourtant bien une commune d’accueil, quelles que soient les ambitions d’un candidat, sortant ou non, confrontées aux intérêts de riverains électeurs prêts à en découdre… du moins si l’équipement dont 600 000 personnes ont besoin se crée près de chez eux… Des six lieux envisagés ce printemps, il n’en reste déjà plus que quatre qui seront départagés selon une batterie de critères – une soixantaine ! – comparatifs d’ici 2027 au plus tard. Impossible d’obtenir de l’exécutif de la Métropole, malgré nos demandes, la situation exacte de ces quatre lieux d’implantations potentiels à l’étude sélectionnés par le Sydemer.
Selon nos informations toutefois, ils se cantonneraient sur des terrains du côté de l’Ondaine, sinon à la limite ouest de Saint-Etienne et dans Saint-Etienne même. Ils seront de toute façon probablement connus lors d’une séance de l’assemblée communautaire qui risque d’en débattre en novembre ou décembre. Ce ne sera pourtant pas l’objet de la délibération présentée de ce jour-là. Elle consistera à dire oui ou non à l’évolution du champ d’actions du Sydemer qui pourrait se voir fortement élargi. François Driol : « Pour réaliser cet investissement, les candidats potentiels ne risquent pas de manquer (des acteurs rodés à ces incinérateurs comme proches de la Loire Tredi, Paprec et bien sûr Suez et Veolia, ces deux derniers étant désormais du même groupe mais peuvent être concurrents en France sur ce sujet, Ndlr). On peut constituer un « regroupement d’autorité concédante avec une gestion confiée au privé ou en partenariat public privé qui ne nous donne pas la main sur la propriété du bâtiment. Ou carrément faire remonter, chacun (les cinq intercommunalités, Ndlr), nos compétences traitement des déchets à l’échelle du seul Sydemer pour une maitrise plus complète de l’équipement à venir pouvant être confié en DSP. »
« C’est la solution la plus pragmatique »
Cette option reste à discuter sur ses modalités mais ne soulève pas, à ce stade, l’expression d’un blocage par un des membres, précise François Driol. « Personnellement, j’estime que cette remontée est le choix de la raison, pas du cœur certes. Je comprends l’angoisse de perte de maîtrise que cela peut inspirer mais vu le contexte, c’est la solution la plus pragmatique. » Position pour l’instant suivi par les instances de Saint-Etienne Métropole dont le bureau (les 53 maires, les vice-présidents et quelques autres élus stéphanois et saint-chamonais, Ndlr) réuni hier, a très majoritairement acté de proposer à l’assemblée cette remontée de compétence d’ici la fin de l’année. Si elle est confirmée elle pourrait être effective au 1er juillet 2027. La collecte – déléguée au privé ou non – resterait aux mains des intercommunalités et des communes.
A ce stade, il est espéré une mise en service début 2032 pour une durée de vie de 35 ans. En espérant donc qu’en 2030, l’avancée du processus – avant la construction, il y aura le parcours administratif habituel avec ses recours potentiels – soit suffisante pour donner lieu à une tolérance quant aux sévères amendes susceptibles de toucher les cinq partenaires. Un objectif temporel communiqué toutefois avec une pointe de scepticisme…
* Syndicat mixte d’étude pour le traitement des déchets ménagers et assimilés résiduels du Stéphanois et du Monbrisonnais (Sydemer) composé de Saint-Etienne Métropole, Loire Forez Agglomération, les communautés de communes de Forez Est, des Monts du Lyonnais et du Pilat Rhodanien.