Réalisé par Sylvie Boulloud, proche de l’artiste et habituée à filmer les figures de l’École de Nice, le film dévoile les nombreuses facettes d’un homme pionnier de l’Avant-garde artistique postmoderne, disparu il y a un peu plus d’un an.

Mais, qui est Ben ? Benjamin Vautier de son nom complet, simplement Ben pour son nom d’artiste ; l’homme derrière ces écritures blanches sur fond noir qui habillent d’humour et de poésie la ville de Nice et ses arrêts de tram en déclinaison de ses pensées ; la clef de voûte d’un art moderne dont il n’a eu de cesse de modifier les règles. Mais, qui est Ben, c’est aussi le titre que Sylvie Boulloud a choisi pour son film documentaire et biographique, projeté pour la première fois vendredi soir, à L’Artistique à Nice.

L’Artistique est le lieu où, dans les années 1960, Ben investit la scène de théâtre installée dans l’espace culturel avec le mouvement Fluxus, à l’origine d’une série de performances filmées par Jean Ferrero. Assise au bord d’un des fauteuils noirs réservés aux spectateurs, la réalisatrice Sylvie Boulloud retrace sa rencontre avec l’artiste, au début des années 90, lorsqu’elle se rend dans «une Fiac (foire internationale d’art contemporain) un peu comme dans une brocante. C’était à Bastille, à Paris. Ben était présent, avec une réédition de ses Blagues art, c’était deux livres énormes ! On commence à discuter, je lui parle d’un ami que je dois rejoindre à Nice. Et il me dit de passer le voir et que je pourrai le filmer, si je le souhaite !»


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«Replacer Ben dans l’histoire de l’art»

Elle commence à filmer Ben à partir de 1994, accumule les rushs, jusqu’à ce qu’il lui intime de «faire un film à la Agnès Varda». Un premier film – «six heures et demie au total en comptant l’intégralité des archives» – intitulé Ben par Ben, sort en 2010 ; une autre partie des archives «sur cassettes VHS» est confiée au Centre Pompidou. En 2023, Ben met en relation la réalisatrice avec les éditions Montparnasse, à la recherche d’un projet de film sur «le processus de la vie de Ben». Sylvie Boulloud accepte de relever le défi, renumérise l’ensemble de ses archives à Paris, englobe une trentaine d’années de captations, d’entretiens et photos qu’elle compile sur un disque dur… «Sauf que le jour où j’apprends la mort de Ben, le 5 juin 2024 , je lâche le disque dur sous le choc. J’ai dû tout recommencer, c’était un cauchemar», évoque-t-elle avec un rire nerveux.

Sylvie Boulloud livre aujourd’hui 1 heure 20 de récit à travers l’histoire de l’art et en son centre : Ben. «Il fallait l’y replacer», insiste-t-elle, «car ce n’est pas tant le processus de création qui intéresse, ni l’artiste au travail», balaye-t-elle. Et de raconter : «Dès le début, Ben a transformé sa vie en œuvre d’art. À la fin des années 1950, son magasin de disques d’occasion à Nice est le lieu de rencontre de la jeunesse dont les artistes de l’École de Nice : Yves Klein, Arman, César, Martial Raysse…» Un seul mot d’ordre : ne pas faire comme les autres.

Réinvention permanente

Face caméra, Ben livre sa vision de l’art, de son art, ses anecdotes : celle de Marcel Duchamp, qui s’arrête devant son magasin mais qu’il préfère traiter de «clochard» et de pâle sosie plutôt que de l’aborder en passant pour un vulgaire fan ; ou encore son idée d’exploiter la forme de la banane, «bien avant Andy Warhol». Et ce, avant que ce ne soit Yves Klein qui, le premier, lui suggère l’écriture.

«Ses écritures ne sont que la conclusion de tout ce qu’il a fait avant – y compris ses débats d’idées», achève Sylvie Boulloud. «Ben n’a eu de cesse de vouloir quelque chose dans le monde et l’amener dans l’art», de se réinventer «tous les six mois pour ne pas s’enfermer dans un art qu’il pourrait reproduire à foison». Un documentaire passionnant, instructif et teinté d’humour, duquel on retient la phrase fétiche de Ben : «tout est art».