Il n’est pas fréquent, dans l’esprit du public, que la littérature soit associée au monde militaire. Les écrivains français ressemblent à leur propre caricature (peu compatible avec le parcours du combattant), tandis que les militaires semblent se complaire dans une version castratrice, démesurément amplifiée, du devoir de réserve qui les a privés, entre autres attributs, de la parole. Et pourtant, chaque année, le prix littéraire de l’armée de terre, qui porte le nom d’Erwan Bergot, est remis à un ouvrage qui célèbre les valeurs de l’armée. Et il y a du sérieux, dans la liste.

Avant de parler du vainqueur de l’édition de cette année, disons un mot d’Erwan Bergot, écrivain combattant injustement oublié. Doué pour la littérature et amoureux de sa patrie, Bergot fut officier parachutiste pendant dix ans (dans les troupes de choc, puis sous les ordres de Bigeard, puis dans la Légion étrangère), blessé trois fois, cité sept fois pour son comportement sous le feu. Une grave blessure à l’œil mit un terme à sa carrière. Il devint alors écrivain, couvert de prix (dont celui de l’Académie française), cherchant à retranscrire, par un style vivant et imagé, la vérité des combats. On peut lire, par exemple, son premier roman, Deuxième classe à Dien Bien Phu.

Cette année, le prix Erwan Bergot a été remis à Jean-Louis Thiériot, éphémère ministre délégué aux Anciens Combattants dans le non moins éphémère gouvernement de Michel Barnier, auteur d’une biographie du général de Castelnau (1851-1944), sous-titrée « le maréchal escamoté ». M. Thiériot est « fana-mili » depuis bien longtemps, bien avant qu’il ne fût nommé ministre. Il a déjà signé plusieurs biographies saluées par la critique. De la part des armées, toutefois, couronner une biographie de Castelnau, c’est accepter de panser les plaies de l’Histoire. Castelnau, en effet, était un officier brillant, un chef de guerre naturel, adoré de ses soldats, mais qui fut d’abord écarté des plus hautes responsabilités car, dans une IIIe République rongée par le cancer de la franc-maçonnerie, il était bien trop catholique, bien trop royaliste. Clemenceau l’appelait « le capucin botté ». Le ministre de la Guerre, André, celui de l’affaire des fiches, essaya de le faire renvoyer parce qu’il n’était pas assez progressiste… mais il était trop efficace.

En 1914, on sait qu’un bon tiers des officiers généraux furent relevés de leur commandement et, bien souvent, mutés à Limoges (d’où le verbe « limoger ») : le choc de la guerre avait fait voler en éclats les coteries politiques et les petits renvois d’ascenseur méprisables. On valorisa les profils atypiques. « Quand ça tourne mal, on appelle les connards », dira, plus tard, l’Américain Patton, qui savait de quoi il parlait. Castelnau commanda en second les armées françaises, recommandé par Joffre. Il fut à l’origine, contre l’avis de tout l’état-major, de la dernière offensive de Verdun, celle qui fit de la bataille une victoire. Viré par Poincaré, qui ne l’aime pas, il est envoyé en Russie peu avant la révolution communiste. Malgré la ferveur populaire, malgré ses victoires que l’on compare aux Thermopyles, Castelnau ne sera pas fait maréchal. Trop à droite, trop aristocrate, trop catholique.

Député de l’Aveyron, journaliste brillant, responsable d’une fédération catholique de deux millions d’adhérents, Castelnau a été oublié. Escamoté, dit avec justesse M. Thiériot. Joffre et Pétain se sont vu attribuer, jusqu’à nos jours, le succès des décisions tactiques qu’il avait prises. Il n’a rien fait pour corriger la version officielle : la gloriole l’indifférait. Il était adoré et admiré de ses hommes, dont il était proche, dont il partageait les efforts et auprès de qui il se portait « jusqu’aux obus », avec un grand courage physique. Les soldats savaient aussi que Castelnau avait perdu trois fils en 1914 et 1915, morts pour la France dans les tranchées. Le général a donné son nom à la promotion 2011-2014 de Saint-Cyr. Puisse, désormais, le grand public découvrir la vie de ce héros.


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