REPORTAGE – Chaque vendredi soir, à Talence, près de Bordeaux, un club associatif accueille une vingtaine de passionnés de l’émission mythique «Questions pour un Champion». Parmi eux, des suiveurs de l’émission aguerris, mais aussi et surtout des jeunes, pour qui le jeu télévisé n’a pas pris une ride.
À Talence, une salle associative, sobre mais lumineuse, accueille chaque vendredi soir un spectacle inattendu. De 19h à 23h, le chalet des Malerettes devient un mini-studio télé : c’est l’heure de «Questions pour un Champion». Animateur, boîtier de points, buzzers rouges… tout y est. Les «Neuf points gagnants», le «Quatre à la suite», puis le «Face à face»… Les manches s’enchaînent dans une ambiance bon enfant. Les questions fusent, les réponses claquent, comme sur un vrai plateau : «Utilisé le temps d’une rééducation, quel bâton… Une béquille !», « Un chanteur né à Narbonne en 1913… Charles Trenet !, «Quel club a remporté le plus de titres de champion de France consécutif… L’Olympique Lyonnais !» Entre deux parties, les joueurs s’encouragent, se charrient gentiment, et vérifient même quelques réponses sur leur téléphone.
Si «Questions pour un Champion» traîne l’image d’un jeu pour seniors, ce sont désormais les jeunes qui s’y adonnent. Anne-Marie, 85 ans et secrétaire du club, a parfois du mal à suivre le rythme : «Il y a un très bon niveau. Certains répondent tellement vite, ce n’est pas facile», nous sourit-elle. Évelyne Léonet, présidente du club depuis 2020, confirme l’attraction des nouvelles générations pour le jeu. «Depuis deux ans, on constate une explosion des demandes, et ce sont souvent des moins de 30 ans», explique-t-elle. L’association compte aujourd’hui 36 adhérents. «On en est au point où on a une liste d’attente pour rentrer dans le club. Avant, les jeunes partaient car le niveau était trop élevé… Mais maintenant, ils restent et ils s’accrochent», raconte celle qui a déjà participé à l’émission télévisée.
«Un jeu toute génération»
Comment expliquer cet engouement ? Il y a d’abord les mordus des jeux télévisés. Oren, 31 ans, est technicien en laboratoire de recherche, et a déjà participé à «Slam» ou «Tout le monde veut prendre sa place». «J’adore les jeux de société et les jeux télévisés depuis tout petit… Le vendredi soir, mes amis savent que je ne suis pas disponible ! Je viens ici, et je joue toute la soirée au club. C’est vraiment un jeu toute génération, et le niveau est beaucoup plus relevé ici qu’à la télé, c’est certain. Au-delà du jeu, il y a aussi l’aspect social. Avant de venir, je n’étais pas spécialement à l’aise à l’oral et ça m’a permis de débloquer cela», raconte-t-il. «Ici, personne ne juge, on est là pour apprendre, on joue et on s’amuse», résume Nicolas, 20 ans, qui passe actuellement son CAP conducteur routier à Blanquefort (Gironde). «Au départ, mon objectif était de m’entraîner pour participer à l’émission. Depuis, j’ai appris beaucoup de choses, notamment en histoire et géographie», confie-t-il, sourire aux lèvres.
Le rajeunissement du public de «Questions pour un Champion» s’explique aussi par l’influence d’internet et des streamers. D’un côté, Samuel Étienne a repris la présentation après Julien Lepers, en 2016, attirant un nouveau public. De l’autre, le streamer français Étoiles, figure emblématique de Twitch suivie par des centaines de milliers d’abonnés, a contribué à cet engouement en jouant et en commentant l’émission sur sa chaîne, avant d’y participer lui-même en mars dernier. «Je regardais souvent ses streams, puis j’ai fini par voir qu’il y avait un club à côté de chez moi. Ce jeu, c’est beaucoup de souvenirs avec ma grand-mère. J’ai même fini par ramener mon père au club, qui est encore plus à fond que moi», sourit Marius, 25 ans, archéologue de formation.
Le 28 juin dernier, pour tous ces fans, la nouvelle a fait l’effet d’un électrochoc : depuis la rentrée, «Questions pour un champion» n’est plus diffusé en semaine. Une décision prise par France Télévisions, en raison de contraintes budgétaires croissantes, et qui bouscule profondément les clubs de passionnés à travers l’Hexagone. Plus de 150 associations locales, organisant des quiz et des tournois inspirés de l’émission, se sentent concernées. «C’est l’incompréhension totale !», fustige Evelyne Léonet. «Le niveau culturel des programmes est en baisse et les jeux qui sont à la place sont davantage du divertissement. “Questions pour un Champion” élève le niveau. Et nous, on continue à faire vivre cet esprit», selon la présidente du QPUC Talence. Nicolas, le plus jeune du groupe, regrette lui aussi la disparition du rendez-vous quotidien à la télévision. «Il faut le dire : Questions pour un Champion, c’est une institution. C’est LE jeu de culture générale en France», martèle-t-il. Oren partage ce sentiment. «Je trouve ça déplorable, pour la culture et pour nos méninges. Il n’existe plus d’émissions comme celle-ci. Je souhaitais même tenter ma chance pour y participer, mais ça ne me donne plus envie. Ça rebute de savoir qu’on va enregistrer l’émission et que ça va être diffusé 6 ou 9 mois après. On perd le charme de l’émission»
À 23h, les buzzers s’éteignent et les tables se replient, mais les liens restent. Le petit club talençais fait de la résistance, et prouve que l’émission continue de vivre, hors des écrans.