Dans les régions ukrainiennes occupées par la Russie, ceux qui refusent le passeport russe sont désormais considérés comme des étrangers sur leur propre sol. Un décret signé par Vladimir Poutine, récemment entré en vigueur, impose aux habitants de « régulariser leur situation ou partir ».
Ceux qui refusent la nationalité de l’occupant doivent faire face à toutes sortes de restrictions en termes d’accès à l’emploi ou de prestations sociales. Depuis peu, ils n’ont pas le droit de séjourner plus de 90 jours sur le territoire.
S’il n’existe aucun chiffre fiable sur le nombre d’habitants des régions annexés par la Russie qui sont devenus, de gré ou de force, citoyens russes, plusieurs ONG s’accordent à dire que cela concernerait une grande majorité des citoyens. Le décret entré en vigueur le 10 septembre ne fait qu’officialiser une réalité déjà bien installée: dès le début de l’occupation, les autorités russes ont tout fait pour rendre la vie quotidienne presque impossible sans passeport russe.
Plus de trois millions deux cent mille habitants de Zaporijia et Kherson ont déjà reçu des passeports de citoyens russes. J’appelle […] à poursuivre ce travail avec constance
Vladimir Poutine, président russe
Il y a un an, le président russe Vladimir Poutine affirmait déjà qu’une grande majorité des habitants des territoires annexés étaient devenus citoyens russes. Selon lui, cette russification n’avait rien de coercitif: « Plus de trois millions deux cent mille habitants des régions de Donetsk, Lougansk, Zaporijia et Kherson ont déjà reçu des passeports de citoyens russes. J’appelle les services du Ministère de l’Intérieur à poursuivre ce travail avec constance, et approcher avec la plus grande attention et le plus grand soin chaque personne, chaque famille, […] tous ceux qui demandent un passeport russe. »
Le prix du refus: « Préparez-vous à devenir un étranger »
« Si vous refusez le passeport russe, vous devez vous préparer à devenir un étranger dans votre propre pays, vous pouvez être expulsé pour non-respect des règles migratoires », explique Yulia Gorbunova, chercheuse pour l’Ukraine à l’ONG Human Rights Watch, jeudi dans l’émission Tout un Monde.
« Dans la partie occupée de la région de Kherson, d’ici la fin de l’année, on promet de confisquer les biens immobiliers des personnes qui n’ont pas de passeport russe », ajoute Serhiy Nikitenko, habitant de Kherson, journaliste pour un média local.
Certains Ukrainiens sont pris en otage, ils sont restés à l’arrivée des Russes faute de moyens pour s’enfuir ou parce qu’ils devaient s’occuper de proches âgés. Pour les plus modestes, leur logement, dont ils sont devenus propriétaires après la chute de l’URSS, constitue leur seul bien.
Ils restent, parce que ceux qui ont fui l’agression russe il y a trois ans ont vu leur appartement être exproprié par l’Etat
Viacheslav Likhachev, expert à l’ONG Centre pour les libertés civiles, à Kiev
Selon Viacheslav Likhachev, expert à l’ONG Centre pour les libertés civiles, à Kiev: « Ils comprennent qu’ils ne pourront jamais avoir assez d’argent pour s’acheter un petit appartement à Kiev ou Lviv, même s’ils travaillent très dur jusqu’à leur retraite. Ils restent, parce que ceux qui ont fui l’agression russe il y a trois ans ont vu leur appartement être exproprié par l’Etat russe dès les premiers mois d’occupation. Ils ne veulent pas perdre leur seul bien qui a de la valeur. »
L’accès aux soins est aussi devenu un enjeu. Les Ukrainiens ne sont pas formellement exclus des hôpitaux, mais sans passeport russe, il leur est impossible d’obtenir l’assurance médicale exigée pour être pris en charge.
Des pratiques contraires au droit international
Cette politique imposée par la Russie viole le droit international. « En tant que puissance occupante, la Russie a des obligations strictes en vertu du droit international humanitaire. Elle doit respecter la législation préexistante et protéger les civils, quel que soit leur statut de citoyenneté. Le droit international interdit également très clairement à la Russie de modifier la démographie des zones occupées ou de forcer les habitants à partir », rappelle Yulia Gorbunova, de Human Rights Watch.
La Russie contraindra — comme elle le fait déjà — les habitants des zones occupées à rejoindre les forces armées russes et à combattre l’Ukraine
Yulia Gorbunova, de Human Rights Watch
Autre conséquence inquiétante: les jeunes des régions occupées, une fois reçu le passeport russe, pourront être appelés à faire le service militaire. « La Russie contraindra — comme elle le fait déjà — les habitants des zones occupées à rejoindre les forces armées russes et à combattre l’Ukraine », ajoute Yulia Gorbunova qui souligne que cela « constitue un crime de guerre ».
Il n’est pas facile non plus de conserver sa nationalité ukrainienne. « Si on fouille vos affaires personnelles et qu’on trouve votre ancienne carte d’identité, ça peut être dangereux pour vous », explique Viacheslav Likhachev. « Mais la plupart des habitants ont perdu, physiquement, ces documents. Lorsqu’ils ont été forcés de prendre la nationalité russe, ils ont dû donner leur passeport ukrainien ».
Par ailleurs, le pouvoir russe tente de convaincre les citoyens des régions occupées que l’Ukraine n’est plus leur pays. « Il y a une grande propagande, côté russe, qui dit que l’Etat ukrainien considérera […] tous ceux qui ont désormais des passeports russes comme des criminels, qu’ils seront arrêtés s’ils vont en Ukraine non occupée. On leur dit, en substance: vous n’avez nulle part où aller, la Russie est là pour toujours », conclut Viacheslav Likhachev.
Sujet radio: Isabelle Cornaz
Adaptation web: Miroslav Mares