Par

Emilie Dudon-Fournier

Publié le

19 sept. 2025 à 17h15

Le tribunal judiciaire de Rouen a reconnu le suicide de Jordan Michallet le 18 janvier 2022 comme « accident de travail ». Le tribunal a établi que le geste de l’ouvreur rouennais de 29 ans était survenu par le « fait du travail ». La CPAM Rouen-Elbeuf-Dieppe a été condamnée à prendre en charge cet accident du travail mortel. Le président de Provale Malik Hamadache nous explique ce que cela signifie et change.

Actu : La santé mentale a été déterminée « grande cause nationale 2025 » par le Gouvernement. Cette décision du Tribunal de Rouen constitue-t-elle une vraie avancée pour la reconnaissance de cette question dans le rugby ?

Malik Hamadache : Totalement. Un jugement a été rendu, qui prend en compte la fatigue mentale, continuelle et psychologique des joueurs. Les risques psycho-sociaux qu’engendre notre sport sont aujourd’hui reconnus par la justice. C’est un grand tournant, très important pour les joueurs afin qu’ils puissent exercer leur métier dans les meilleures conditions et avec le plus d’apaisement possible.

Cette décision de justice responsabilise-t-elle « officiellement » les clubs sur ces questions ?

M.L. : Ça le doit. C’est pour ça qu’aujourd’hui, notre syndicat accompagne les joueurs mais reste aussi à l’écoute des clubs sur ces sujets-là, pour pouvoir au mieux comprendre leurs fonctionnements et au mieux soutenir les rugbymen.

C’est une première dans le sport professionnel français. Fait-elle jurisprudence ?

M.L. : Oui. Cela permettra aux salariés d’être mieux protégés sur cet aspect.

Y a-t-il un plus grand nombre de joueurs qui s’adresse à Provale sur ces questions de santé mentale aujourd’hui ?

M.L. : Oui. Ils nous expliquent comme c’est compliqué de devoir être au top chaque week-end avec une concurrence de plus en plus rude, les matchs qui s’accumulent etc. J’irai même plus loin : on parle beaucoup de la santé mentale durant la carrière, mais après, c’est une hécatombe. Ça me désole qu’on ne s’y intéresse pas. S’en occuper pendant la carrière est primordial et c’est une priorité. Mais on ne peut pas laisser errer les joueurs durant leur après-carrière comme c’est le cas aujourd’hui.

Santé mentale : Des langues qui se délient

Quelles actions mettez-vous en place ?

M.L. : Nous avons recruté Pierrick Gunther pour faire un recensement de tous les anciens joueurs afin de pouvoir leur proposer la totalité des services de Provale, qu’il s’agisse d’accompagnement médical, psychologique, bien-être, autour de la formation ou la reconversion. Notre travail sur ces questions a déjà permis de dénouer certaines langues… Aujourd’hui, le rugbyman, s’il se sent un peu moins bien, peut se sentir plus libre d’en parler. Il n’est pas du tout considéré comme plus faible.

Vous parlez de langues qui se délient… Quels sont les retours que vous font les joueurs ?

M.L. : Ils parlent de fatigue physique, d’une accumulation de fatigue mentale… On peut mieux supporter au début mais elle pèse de plus en plus au fil des ans, des déconvenues, de la pression qui augmente. Aujourd’hui, la moindre action peut être décryptée et la pression est présente continuellement. Quand vous savez que votre sort est à la main d’un seul manager ou d’un président, la vie est plus compliquée. Surtout quand vous avez un CDD qui arrive à son terme, alors que vous êtes marié, avec des enfants, que vous avez 30 ou 32 ans et que vous commencez à rater un ou deux matchs… Vous vous mettez à gamberger… Cette pression continuelle peut se payer cash.

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Des campagnes de prévention dans les clubs et les centres de formation

D’autres types d’actions sont-ils envisagés sur ces sujets, que vous n’avez pas déjà mis en place ?

M.L. : Nous allons continuer comme ça et encore plus. Nous avons une ligne téléphonique dédiée pour ça. Lors de nos visites dans les clubs, nous posons la question et incitons les joueurs à nous appeler s’ils voient un coéquipier pas bien et nous faisons les démarches derrière. C’est une campagne de prévention qui est nécessaire, dès les centres de formation. Mais il faut qu’on ait les ressources nécessaires pour continuer à défendre les joueurs.

De quelles ressources avez-vous besoin ?

M.L. : Il faut qu’on continue à avoir l’accès aux joueurs comme on l’a aujourd’hui, pour pouvoir garder notre proximité avec eux. C’est primordial. A Provale, il y a une cellule bien-être avec un psychologue qui est là pour leur venir en aide concernant ces risques psycho-sociaux. L’intérêt supérieur étant évidemment la vie des joueurs, que ce soit pendant leur carrière ou après la carrière. Il n’est pas possible de revivre des drames comme celui de Jordan… Ce n’est pas normal de rien pouvoir faire pour aider quelqu’un qui vit de telles difficultés.

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