Un écran en panne depuis des semaines, un couloir de correspondance à la propreté plus que douteuse, un arrêt de bus mal positionné, des messages d’information-voyageur approximatifs voire carrément faux… Voilà quelques-uns des dizaines de milliers de signalements que les usagers des transports en commun d’Ile-de-France ont adressés à leurs opérateurs de transport depuis le lancement du dispositif « témoins de ligne ».

C’était en l’an 2000. La fédération des usagers des transports franciliens (Fnaut-IDF) et la RATP avaient mis en place conjointement ce système censé permettre aux habitués des lignes de la régie de « râler constructif », en faisant remonter – par formulaire papier à l’époque – leurs remarques sur les petits ou grands dysfonctionnements constatés lors de leurs déplacements quotidiens. L’opérateur concerné s’engageant à apporter une réponse détaillée aux témoins de ligne dans le mois suivant leurs signalements.

Financé et coordonné par le Stif – l’ancêtre d’Ile-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports – à partir de 2012, le dispositif a pris de l’ampleur depuis. Les opérateurs Transdev (gestionnaire de lignes de bus en grande couronne) et RATP Cap IDF (la filiale de droit privé de la RATP créée dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des réseaux) l’ont rejoint en 2020 et 2021. Et Kéolis ainsi que le groupe LacroixSavac viennent tous deux de signer une convention pour ouvrir leurs réseaux respectifs aux remarques et critiques des « témoins de ligne » dès le mois prochain.

Les transporteurs « à portée de réclamation »

« L’an dernier, il y avait en moyenne 107 contributions de témoins de ligne par mois. Sur les 6 premiers mois de 2025, la moyenne est passée à 147 témoignages mensuels. Soit une progression de 37 % », se félicite-t-on à IDFM, qui a organisé cette semaine une réunion plénière des témoins de ligne, au conseil régional, pour célébrer les 25 ans du dispositif.

L’occasion pour Valérie Pécresse, présidente (Libres) de la région et d’IDFM, de remercier les usagers mobilisés pour leur engagement bénévole mais surtout de les féliciter pour la « finesse » de leurs observations. « Elles ont déjà contribué à la mise en place de plusieurs améliorations de la qualité de service sur le réseau : l’installation de QR codes renvoyant sur des informations horaires détaillées aux arrêts de bus, la rénovation des bornes d’information-voyageur, l’amélioration des annonces sonores sur le réseau… » énumère-t-elle.

Même satisfecit du côté des opérateurs de transports partenaires, pourtant souvent « malmenés » par les témoins de ligne. Tous ont insisté sur l’importance des remontées de terrain des usagers. « C’est un formidable outil d’amélioration continue de notre qualité de service », souligne ainsi Jimmy Brun, le porte-parole de la RATP… en reconnaissant que les temps de réponse de la régie aux témoins de ligne méritent d’être raccourcis.

« On est à portée de réclamation. Ça nous oblige à être humbles », enchaîne Pierre Talgorn, directeur régional de Transdev. « Nous sommes impatients d’avoir les premiers témoins de ligne sur notre réseau », s’impatientait ainsi Géric Bigot, directeur général de LacroixSavac.

En dépit de ce concert de louanges, de remerciements et de félicitations, l’assemblée plénière des témoins de ligne n’a cependant pas tourné à l’exercice d’autosatisfaction généralisé. En témoigne la séance de questions-réponses qui a suivi les discours.

« Je suis venu ici par la ligne 14. J’ai été surprise de constater que le supplément aéroport qui s’applique quand on l’emprunte jusqu’à Orly n’est annoncé nulle part », attaque une participante, témoin de ligne en Seine-et-Marne. « Qui va gérer l’entretien des BIV (bornes d’information-voyageur) des arrêts de bus après l’ouverture à la concurrence ? » interroge son voisin. « Depuis le début de l’année, j’ai envoyé 25 questions au service cartographie de la RATP. Sans réponse pour l’instant… » ajoute un troisième intervenant.

Pas de sentiment de frustration

« J’ai quand même l’impression que nos témoignages servent à quelque chose », tempère Ghiles, 21 ans, témoin de ligne sur la branche sud du RER B et les réseaux de bus de la vallée de Chevreuse qu’il emprunte quotidiennement. Le jeune habitant de Fontenay-aux-Roses, qui a été séduit par un dispositif qui « donne la parole aux usagers », envoie 2 à 3 témoignages par mois. « Pas pour dénoncer le mauvais fonctionnement général du RER mais pour signaler des petits problèmes très concrets. Et dans plus de la moitié des cas, ma contribution a été prise en compte », souligne-t-il.

Le dispositif Témoins de ligne n'est pas un "défouloir" pour usagers en colère. "L'énorme majorité des témoignages que nous recevons sont précis, pertinents et justifiés", estime Gilles Durand, qui participe à l'opération depuis 19 ans au sein de l'association des défense de usagers. LP/B.H.Le dispositif Témoins de ligne n’est pas un « défouloir » pour usagers en colère. « L’énorme majorité des témoignages que nous recevons sont précis, pertinents et justifiés », estime Gilles Durand, qui participe à l’opération depuis 19 ans au sein de l’association des défense de usagers. LP/B.H.

« L’an passé, la RATP a répondu à plus de 80 % des témoignages que nous lui avons adressés », note de son côté Gilles Durand, l’un des responsables du dispositif témoins de ligne au sein de la Fnaut-IDF, qui reçoit, synthétise et renvoie aux opérateurs les contributions des voyageurs… depuis 19 ans. « Du coup, les gens ont plutôt l’impression d’être écoutés. Il n’y a pas de sentiment de frustration. » Surtout que l’opérateur est de loin le plus sollicité par les témoins de ligne.

« L’efficacité de l’opération réside dans le fait qu’on demande aux usagers de faire des témoignages précis mais surtout sur des thèmes sur lesquels les opérateurs (ou IDFM) ont des leviers d’action », conclut Marc Pélissier, président de la Fnaut-IDF, en espérant que le dispositif va encore prendre de l’ampleur.

Pour y participer, rien de plus simple. Pas besoin d’être adhérent de la Fnaut ou de s’inscrire sur une liste de témoins « officiels ». Il suffit d’aller sur le site de l’association de défense des usagers et de cliquer sur l’onglet « Témoins de ligne » pour accéder au formulaire numérique de dépôt de témoignages.