La révolution est en route –
Comment la Formule 1 veut emboutir 75 ans de tradition
La société américaine qui détient les droits de la F1 compte s’asseoir sur 75 ans de tradition. En inversant les grilles de départ et en raccourcissant les Grands Prix.
Luc Domenjoz
Publié aujourd’hui à 09h13
Bientôt, tout ira encore plus vite: les courses dureront au maximum une heure.
EPA
En bref:
- Liberty Media cherche à révolutionner la Formule 1 avec des courses plus courtes.
- Les courses sprint remplaceront les essais libres sur la majorité des Grands Prix.
- L’entreprise américaine a refusé une offre de 20 milliards du fonds saoudien.
- Les écuries de F1 génèrent désormais d’importants bénéfices grâce aux sponsors.
La Formule 1, jusque dans les années 80, consistait en un regroupement d’artisans assemblant des monoplaces dans leurs ateliers. Les écuries comptaient quelques mécaniciens, puis quelques dizaines de personnes au plus. On était resté entre adversaires et amis, passionnés de boulons et de rondelles.
Bernie Ecclestone, au début des années 70, a commencé à gérer un championnat qui ne l’était guère jusque-là. Il a regroupé les écuries et négocié en leur nom les droits télévisés, jusque-là discutés séparément par chaque circuit. Il a commencé à extorquer de plus en plus d’argent aux organisateurs locaux pour faire venir les Grands Prix, au point qu’il les surnommait les «victimes».
L’affaire du siècle pour Bernie Ecclestone
Lorsque la Fédération internationale de l’automobile (FIA), en sérieux manque d’argent, a vendu les droits commerciaux de la Formule 1 pour cent ans, soit jusqu’en 2107, seul Bernie Ecclestone, encore lui, a formulé une offre: 340 millions de dollars. Offre acceptée. Le Britannique a donc payé 3,4 millions par année pour des droits dont le bénéfice se montait alors à 800 millions par an. L’affaire du siècle, c’est le cas de le dire.
Près de vingt ans après l’acquisition de ces droits, Bernie Ecclestone les a revendus 8 milliards de dollars.
Liberty Media, la société en ayant fait l’acquisition – regroupant des radios locales américaines et les Atlanta Braves, un club de baseball –, s’est ainsi retrouvée avec une discipline à laquelle elle ne comprenait pas grand-chose. Elle avait toutefois une vision, celle d’en faire un spectacle mondial, un show à suspense, dont les acteurs deviendraient des héros encensés par des séries Netflix et par des réseaux sociaux inondés d’infos. Tout ce que Bernie Ecclestone détestait.
Liberty Media a plus que réussi son pari. Le nombre de Grands Prix par année a été poussé de 19 à 24, un record. Le public qui se bouscule autour des circuits n’a jamais été aussi nombreux, et les écuries croulent sous les sponsors, dont elles ne savent que faire, puisque leurs budgets annuels sont plafonnés. Désormais, les dix équipes dégagent toutes d’importants bénéfices annuels.
Une affaire qui roule
Le mois dernier, l’écurie Aston Martin (actuellement sixième du championnat) a vendu une partie de ses actions pour 110 millions de dollars, ce qui la valorise au total à plus de 3 milliards.
À l’évidence, l’affaire tourne bien. Mais Liberty voit plus grand. Plus grand que nos écrans. La société a mené plusieurs études de marché auprès du jeune public, celui qui s’est intéressé à la discipline après la série «Pilotes de leur destin» (sept saisons sur Netflix) ou grâce au film «F1», sorti en juin, avec Brad Pitt.
Ses études pointent une constante: les jeunes veulent surtout du spectacle. Efficace. Pas trop long. Une heure et puis c’est tout.
Liberty a donc décidé de bouleverser totalement le format des Grands Prix tels qu’on les pratique depuis des dizaines d’années. Consultées, les écuries ont accepté, dans l’espoir d’intéresser davantage de public, donc d’augmenter les profits tirés des droits télévisés, des sponsors et des ventes de produits dérivés – casquettes ou encore t-shirts à leurs couleurs.
«Nous pensons que les vendredis des Grands Prix et leurs séances d’essais libres n’ont aucun intérêt pour le public», plaide Stefano Domenicali, le patron de Liberty Media. «Cela ne passionne que les ingénieurs. Et désormais, leurs simulateurs permettent de régler les voitures directement à l’usine, sans même boucler un tour de circuit.»
Inverser la grille de départ
Il souhaite que ces essais libres soient remplacés par davantage de courses «sprint», ces mini-Grands Prix de 100 kilomètres qui ont lieu sur six épreuves cette saison. «Quand elles ont été introduites en 2021, les courses sprint n’étaient pas très appréciées des pilotes, poursuit-il. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. Ils en aimeraient plus. Et quasi tous les organisateurs nous les demandent.»
Le souhait de Stefano Domenicali, c’est que chaque Grand Prix – ou presque – ait sa course sprint, un peu comme pour la moto. Mais pour pimenter le spectacle, il pense en inverser la grille de départ, au moins pour les huit premières places.
Une décision contraire à l’ADN de la F1, à en croire les passionnés de longue date. «Cela se pratique avec succès depuis des années en Formule 2, rappelle l’Italien. Les équipes étaient d’abord réticentes, mais elles ont maintenant accepté l’idée. Sans cette inversion, les courses sprint n’auraient pas de sens.»
Pour couronner ces changements, les Grands Prix eux-mêmes, le dimanche, seront plus brefs. «Plus personne ne veut voir de courses qui durent deux heures», conclut Stefano Domenicali. La durée des Grands Prix, outrage suprême aux yeux des fans de longue date, pourrait être plafonnée à une heure et quart. Ou même une heure.
Dans les années 50, les Grands Prix duraient parfois près de quatre heures, avec des vainqueurs tournant plus d’un tour devant leurs suivants. À l’époque, les retransmissions télévisées n’existaient pas. Une telle durée serait impensable aujourd’hui, même aux yeux des puristes. Le sens de l’histoire pointe donc en effet vers des durées plus courtes.
Générer du profit, et bientôt revendre
Liberty Media veut augmenter rapidement les audiences, surtout parce que son intention est de vendre prochainement les droits acquis pour 8 milliards en 2016.
Il y a deux ans, Liberty a ainsi refusé de vendre la Formule 1 au PIF, le fonds souverain d’Arabie saoudite, qui lui offrait 20 milliards de dollars. Liberty vise plus haut. «On vendra si nous trouvons le bon acheteur», a lâché, début septembre, John Malone, le propriétaire historique de la société américaine.
Il ne fait aucun doute que Liberty va se débarrasser prochainement de son activité en Formule 1, après avoir fait exploser ses bénéfices et maximisé sa valeur. Après tout, c’est ainsi que procèdent toutes les sociétés capitalistes: acheter, valoriser puis revendre.
Dans ce seul but, Liberty Media est en passe de modifier la Formule 1 au profit du profit. On est très loin des petits artisans affairés autour de leurs boulons et de leurs rondelles.
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