REPORTAGE – Dans les coulisses du C2RMF au Palais du Louvre, les restaurateurs utilisent des instruments de pointe empruntés à l’industrie de la beauté tels les lasers Infinito acquis grâce au mécénat du groupe L’Oréal. Vieillissement, pollution, «encrassement»… Les correspondances sont nombreuses entre l’art et l’épiderme.

Il y a quelques mois, lorsque cet Ecce Homo est arrivé du Musée national de la Renaissance d’Écouen, une épaisse couche noire cachait ses yeux en amande, son nez fin et sa chevelure bouclée. « Cette sculpture typique de la région de Troyes et de ce que l’on a appelé le “beau XVIe siècle” a été exposée, toute une partie de sa vie, sous la chapelle dans le jardin du musée de Cluny , explique Laetitia Barragué-Zouita, conservatrice du patrimoine de la filière sculpture du C2RMF (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France). En extérieur et donc soumise à la pollution du XIXe mais à l’abri des intempéries et, de fait, non lessivée par les eaux de pluie. Les poussières et pollutions ont fini par se cristalliser en surface et créer une croûte noire plus dure que la pierre en dessous. » Accueilli dans les ateliers de restauration du pavillon de Flore, dans le Palais du Louvre, il a révélé son véritable aspect au bout de trois mois grâce à un laser appelé Infinito, qui est parvenu à retirer cette croûte, sans endommager le matériau original, et à retrouver l’aspect crayeux du calcaire, ses reliefs et sa polychromie.

«C’est un des deux lasers que nous avons pu acquérir grâce au mécénat du groupe L’Oréal . Il fonctionne sur le principe de la photoablation, exactement de la même manière que les lasers employés par les dermatologues pour effacer les taches pigmentaires et les tatouages mais aussi pour l’épilation. Seules la lumière et la chaleur disloquent l’encrassement et il n’y a aucune action mécanique ce qui convient parfaitement aux matériaux les plus fragiles comme, ici, le calcaire mais aussi le plâtre, le bois et même les textiles archéologiques ou les plumes. » Alors que L’Oréal s’est déjà associé au Musée du Louvre avec le parcours « De toutes beautés » inauguré il y a quelques mois dans les différentes ailes du musée, le géant de la cosmétique continue d’explorer les multiples facettes de l’art et de la beauté à travers l’histoire en soutenant le C2RMF dans l’utilisation de techniques innovantes.


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« On peut voir de nombreuses correspondances entre l’art et la peau, indique Barbara Lavernos, la directrice générale adjointe en charge de la Recherche, de l’Innovation et de la Technologie de L’Oréal Groupe. Par exemple, un tableau peut craqueler, fendiller, présenter plusieurs couches… comme l’épiderme.» Une vision que partage Mireille Klein, conservatrice du patrimoine et cheffe du département restauration du C2RMF : « Pour préserver la beauté de la peau et ralentir son processus de vieillissement, on sait désormais qu’il y a quelques règles à respecter comme se protéger de l’exposition solaire et de la pollution, éviter les changements brusques de température et les chocs hygrométriques. Pour les œuvres d’art c’est exactement la même chose. Dans ce que l’on appelle la “conservation préventive” qui permet de retarder la dégradation des objets, il convient là aussi d’éviter poussières et polluants, variations brutales de température et fortes chaleurs qui accentuent les phénomènes d’altération mais aussi les rayonnements lumineux et notamment les rayons solaires qui peuvent, eux, dessécher certaines œuvres et abîmer les pigments. Lorsque cette conservation préventive ne peut plus rien et que les œuvres sont altérées, on passe alors un cran au-dessus avec la restauration. Nous sommes, à la fois, un musée en constant renouvellement et un hôpital pour le patrimoine. »

Le Ecce Homo venu du Musée national de la Renaissance d’Écouen, a été révélé grâce à trois mois de restauration à l’aide du laser Infinito
Antoine Merlet

Respecter la matérialité de l’œuvre 
La momie du musée d’Amiens, le triptyque de la cathédrale de Moulins, une toile du Greco issue du musée Bonnat-Helleu de Bayonne, la Vierge et l’Enfant au chancelier Rolin de Van Eyck du musée du Louvre, le microscope Louis XV du château de Versailles… Toutes ces œuvres, provenant des « musées de France » et des collections publiques, se côtoient de façon exceptionnelle et temporaire dans les locaux du C2RMF, afin d’y être analysées scientifiquement et, pour certaines, restaurées. Les instruments d’analyse dont est aujourd’hui doté le C2RMF permettent ainsi de voir l’invisible, d’identifier des composants, de définir leur provenance, de dater les œuvres, de mieux comprendre les techniques de création et de fabrication.

La tomographie permet de détecter, grâce à des algorithmes, l’âge de la peau et son état, exactement comme le C2RMF le fait pour déterminer l’histoire d’une œuvre à travers le temps.

Thomas Bornschlögl, responsable de groupe imagerie chez L’Oréal

« Il s’agit en priorité de procéder à des analyses non invasives, à des interventions avec un impact minimal. Imagerie, radiographie, tomographie et autres prélèvements permettent de retranscrire l’histoire complète d’une œuvre », précise Victor Etgens, directeur de recherche et chef du département recherche du C2RMF. « Nous utilisons nous aussi, la tomographie pour analyser la peau en 3D et rentrer à travers toutes ses couches, observer les cellules et les fibres. Cela permet de détecter, grâce à des algorithmes, l’âge de la peau et son état, exactement comme le C2RMF le fait pour déterminer l’histoire d’une œuvre à travers le temps, poursuit Thomas Bornschlögl, responsable de groupe imagerie chez L’Oréal. Non seulement nous partageons les mêmes techniques et méthodes de travail mais aussi le même vocabulaire. » Après diagnostic, les restaurateurs utiliseront ainsi des instruments issus de l’univers cosmétique voire médical : lasers qui permettent de traiter des zones fragiles et d’éviter les solvants de nettoyage agressifs, mais aussi scalpels à ultrasons d’habitude réservés aux dentistes et, ici, utilisés pour dégager certaines résines très indurées ; aiguilles courbes de chirurgiens pour la restauration de textiles ; pinces d’oculistes…

Sculpture restaurée selon la méthode de photoablation, qu’on utilise en dermatologie pour effacer les taches pigmentaires et les tatouages.
Antoine Merlet

« Exactement comme en médecine, nous partons toujours du plus simple et du moins invasif, continue la conservatrice Mireille Klein. La déontologie nous impose surtout de respecter l’œuvre et sa matérialité. Il est hors de question de faire disparaître son âge et son histoire. S’il y a des craquelures sur un tableau, nous les respectons à moins qu’elles ne soient extrêmement gênantes. » Il s’agit donc là de rétablir la lisibilité de l’œuvre, en tenant compte de son histoire et de son évolution, plutôt que de la lisser comme si elle sortait tout droit de l’atelier. Un équilibre subtil à trouver qui, en tirant le fil, pourrait évoquer cette même harmonie que doivent respecter les médecins esthétiques. Notamment en France, où les femmes préfèrent souvent les interventions discrètes et imperceptibles quitte à laisser quelques « défauts » ici et là. À un traitement qui ferait perdre cinq ans immédiatement, nombreuses sont celles qui préfèrent des injections régulières pour continuer à prendre de l’âge mais plus lentement et sans se faner.

Il existe de nombreuses correspondances en termes de prévention comme de restauration entre l’art et l’épiderme.
Antoine Merlet

« L’idée reste de retrouver l’unité esthétique de l’œuvre afin que le regard du spectateur ne se focalise pas sur les altérations. On ne restaure pas de la même manière un objet archéologique et une peinture de Van Hecke. Au-delà de son aspect esthétique, technique, scientifique, nous prenons en compte également son histoire matérielle. Par exemple, une œuvre décapitée à la révolution française fait aussi sens parce qu’elle a, précisément, été malmenée à ce moment-là, continue Laetitia Barragué-Zouita. L’œuvre que l’on veut montrer n’est certainement pas celle sortie de l’atelier mais un objet interprété. Et c’est là tout le paradoxe, car l’on aime voir des œuvres en très bon état et en même temps y distinguer le temps qui passe. »