La peau de chagrin pourrait être la nouvelle fiction radiophonique de la saison 2025-2026 de Radio France. Une fiction en service minimum sur la grille des programmes, laissant sur le carreau des milliers d’auteurs et d’autrices, de comédiennes et comédiens, de réalisatrices et réalisateurs. C’est tout un savoir-faire unique acquis depuis des décennies – des créations sonores jouées et interprétées uniquement par les voix des comédiens, accompagnées de bruitages (réalisés en direct) et de musique – qui est appelé à disparaître.
Sur France Inter, malgré ses scores élevés et une audience fidèle depuis dix ans, l’ultime émission de fiction qui subsistait à l’antenne – Autant en emporte l’histoire, diffusée chaque dimanche soir – a connu en juin le couperet final. Après l’arrêt des fictions sur Affaires sensibles, c’est un nouveau coup dur, brutal, sans alternative. Et pourtant, imaginerait-on France 2 sans fictions ?
Sur France Culture, l’un des principaux employeurs de comédiens et comédiennes en France, la situation est à peine meilleure. La chaîne a été amputée de la moitié de ses emplois d’artistes ces dix dernières années, et l’heure de fiction du samedi soir passe à un rythme mensuel. Cette année, la grille d’été ne comprenait aucune nouvelle fiction.
Après un siècle d’existence qui a fait les grandes heures de ses antennes et lui a valu une reconnaissance internationale (nombreux prix Italia), la fiction à la radio publique française est menacée dans sa nature même. On lui demande d’être «rentable», on la trouve trop chère à fabriquer, on néglige même sa vocation d’œuvre originale. On lui préfère formats courts, archives, narrations à une voix et «récits documentaires», sans comédiens ni comédiennes. Dernière étape avant une fiction sonore déshumanisée, générée par IA ?
Cette situation est d’autant plus inconcevable que des studios de fiction flambant neufs ont été inaugurés en début d’année dans la Maison Ronde, qu’une nouvelle génération de professionnels apporte depuis quelques années un nouveau souffle pour une fiction inventive et contemporaine. Outre-Manche, la BBC a fait le choix inverse, en investissant dans des fictions de qualité.
La radio publique est l’un des derniers refuges où la création d’œuvres sonores peut s’exercer, libre et sans contrainte, accessible à tous et toutes gratuitement. C’est un formidable vivier de dramaturges, de scénaristes, d’interprètes voix, de réalisateurs et réalisatrices radio. Et une source de revenus indispensable face à la précarité grandissante de nos métiers.
La fiction doit rester une composante importante du service public, car elle fait vivre la littérature, le théâtre, les écritures et créations contemporaines auprès d’un large public, tout en offrant un espace d’expression essentiel aux créateurs, antidote à une culture de masse standardisée. C’est un moyen efficace d’éloigner les enfants des écrans. Sa présence dans une tranche horaire fixe chaque semaine génère une identité et assure une spécificité éditoriale que la seule diffusion en podcast sur les plateformes ne permet pas. Cette programmation en ligne l’accompagne mais ne saurait la remplacer.
C’est pourquoi nous, artistes-interprètes, réalisateurs et réalisatrices, auteurs et autrices, compositeurs et compositrices, créateurs et créatrices sonores, demandons aux directions de Radio France, de France Inter et de France Culture :
– De maintenir un véritable volume de production de fictions originales et élaborées, produites par les équipes de Radio France, sur la grille des programmes des chaînes ;
– De préserver la place et la vitalité de la fiction radiophonique par des créations originales sur le service public ;
– D’envoyer sans tarder des signaux concrets sur leur politique de création et de diffusion dotée d’un budget de financement clair.
Et au ministère de tutelle :
– D’inclure dans le cahier des charges et dans la Convention d’objectifs et de moyens (COM) de Radio France une obligation de production et de diffusion de fictions radiophoniques originales, à l’image de celle qui existe déjà pour France Télévisions pour la création audiovisuelle et cinématographique.
Ce n’est qu’à ces conditions qu’il sera possible de garantir la pérennité de notre art radiophonique centenaire, de préserver l’avenir de nos métiers et de continuer à enrichir l’imaginaire des auditrices et des auditeurs.
Premiers signataires : Marion Aubert Autrice, écrivaine Mehdi Bayad Auteur Arnaud Bedouët Comédien, auteur Mariannick Bellot Autrice, réalisatrice Brigitte Buc Autrice, présidente de la SACD Lemmy Constantine Acteur, chanteur Enzo Cormann Ecrivain Catherine Corsini Cinéaste Pascal Deux Auteur, réalisateur Marc-Olivier Dupin Compositeur Jacques Fansten Scénariste, réalisateur Samuel Gallet Ecrivain, dramaturge François Luciani Scénariste Koffi Kwahulé Comédien, dramaturge et romancier Anne-Claire Lainé Directrice du festival Longueur d’ondes Stéphane Michaka Auteur François Morel Acteur, chanteur, metteur en scène Marie Nimier Ecrivaine Jean-Benoît Patricot Auteur, président des EAT Florence Philipponnat Scénariste Claire Richard Autrice Michel Sidoroff Réalisateur Anne Villacèque Réalisatrice.
La liste complète des signataires.
Avec le soutien de : La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Les Ecrivaines et écrivains Associés du Théâtre (EAT), La Guilde des Scénaristes, L’Association professionnelle des comédiens artistes interprètes de la voix enregistrée (Les Voix), L’Union des Réalisateurs et Réalisatrices (U2R), Longueur d’Ondes (le festival de la radio et de l’écoute à Brest), le Conseil Permanent des Ecrivains (CPE), la Société des gens de lettres (SGDL), le PEN Club Français, L’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF), le Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs (SNAC), le Syndicat français des artistes-interprètes (SFA-CGT), la CGT-Radio France, le Syndicat National Libre des Artistes (SNLA-FO).