En 2008, une
découverte troublante bouleversait notre compréhension des maladies neurodégénératives. Une
chercheuse canadienne avait observé quelque chose d’inexplicable
dans le cerveau de patients décédés de la SLA (sclérose
latérale amyotrophique) : des protéines
virales, alors qu’aucun virus connu n’avait infecté ces personnes.
Quinze ans plus tard, cette observation apparemment anodine ouvre
des perspectives révolutionnaires pour le traitement d’Alzheimer,
de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres pathologies qui
détruisent progressivement notre système nerveux.
L’héritage
viral caché de l’humanité
Notre ADN raconte
l’histoire tumultueuse de l’évolution humaine, et cette histoire
inclut des chapitres surprenants. Plus de 40% de notre génome
provient en réalité d’anciennes infections virales, survenues il y
a des millions d’années. Ces fragments d’ADN viral, appelés
rétrotransposons, sont comme des fossiles génétiques qui témoignent
des batailles ancestrales entre nos ancêtres et leurs envahisseurs
microscopiques.
Contrairement aux virus
actuels, ces séquences génétiques se sont intégrées de manière
permanente dans nos chromosomes. La plupart du temps, elles
demeurent parfaitement inoffensives, soigneusement maintenues dans
un état de dormance par les mécanismes cellulaires. Certaines ont
même développé des fonctions utiles, participant au développement
embryonnaire ou au maintien des cellules souches.
Mais cette coexistence
pacifique peut parfois basculer dans le chaos.
Quand les
gardiens défaillent
Le maintien du silence de
ces séquences virales dépend de protéines spécialisées qui agissent
comme des gardiens cellulaires. Deux d’entre elles jouent des rôles
particulièrement cruciaux : TDP-43, associée à la sclérose latérale
amyotrophique, et la protéine tau, impliquée dans la maladie
d’Alzheimer.
Dans des conditions
normales, TDP-43 opère depuis le noyau cellulaire, où elle régule
l’expression génétique et maintient les rétrotransposons sous
contrôle. Cependant, dans la SLA et la démence frontotemporale,
cette protéine abandonne son poste. Elle quitte le noyau pour
former des agrégats toxiques dans le cytoplasme, laissant derrière
elle un vide réglementaire.
La protéine tau suit un
schéma différent mais tout aussi destructeur. Associée au squelette
interne de la cellule, elle contribue indirectement au maintien de
l’ADN dans une configuration compacte qui empêche l’activation des
rétrotransposons. Quand tau se dégrade et forme les enchevêtrements
caractéristiques d’Alzheimer, cette architecture cellulaire
s’effondre.
Crédits : ThitareeSarmkasat/iStockLa tempête
parfaite
Une fois libérés de leurs
contraintes, les rétrotransposons entrent dans une phase d’activité
frénétique que les chercheurs qualifient de « tempête
rétrotransposonale ». Ces séquences commencent à produire
des ARN et des protéines qui ressemblent étrangement à ceux des
virus actuels.
Cette ressemblance n’est
pas anodine : elle déclenche une réaction immunitaire défensive de
la part de la cellule, qui interprète ces signaux comme une
infection virale. S’ensuit une cascade inflammatoire qui endommage
les neurones et peut se propager aux cellules voisines.
Plus pernicieux encore,
cette activation crée un cercle vicieux. Les protéines produites
par les rétrotransposons perturbent davantage les gardiens
cellulaires comme TDP-43, accentuant leur dysfonctionnement. Plus
ces protéines régulatrices défaillent, plus les rétrotransposons
s’activent, alimentant une spirale destructrice qui peut expliquer
la progression inexorable de ces maladies.
Des
indices dans le sang
Les recherches récentes
révèlent que cette activation rétrotransposonale ne se limite pas
au cerveau et peut être détectée dans le sang des patients. Plus
fascinant encore, cette « signature virale » apparaît
avant même que les symptômes cliniques ne deviennent évidents,
suggérant son utilité potentielle comme marqueur précoce de la
maladie.
Chez environ 20% des
personnes atteintes de SLA, les chercheurs observent des niveaux
élevés d’activation de ces séquences ancestrales, accompagnés d’un
dysfonctionnement caractéristique de TDP-43. Cette proportion
suggère que les rétrotransposons ne causent pas tous les cas de
neurodégénérescence, mais qu’ils constituent néanmoins un mécanisme
pathologique significatif.
L’espoir
thérapeutique détourné
Cette découverte ouvre des
perspectives thérapeutiques inattendues. Puisque les
rétrotransposons activés ressemblent fonctionnellement aux
rétrovirus comme le VIH, les chercheurs explorent l’utilisation de
médicaments antirétroviraux existants pour traiter les maladies
neurodégénératives.
Les premiers essais
cliniques donnent des résultats encourageants. Chez des patients
atteints de SLA traités pendant 24 semaines avec des inhibiteurs de
transcriptase inverse, les chercheurs ont observé une diminution
des marqueurs viraux dans le sang et un ralentissement apparent de
la progression symptomatique.
Des résultats similaires
émergent des études sur la maladie d’Alzheimer, où ces traitements
semblent réduire l’inflammation du système nerveux central. Bien
que ces essais restent de petite envergure et se concentrent
principalement sur l’innocuité, ils suggèrent qu’une approche
antivirale pourrait compléter les stratégies thérapeutiques
existantes.
Vers une
nouvelle compréhension
Cette théorie
révolutionnaire s’étend désormais au-delà d’Alzheimer et de la SLA.
Des indices suggèrent que les rétrotransposons pourraient également
contribuer à la maladie de Parkinson et à la sclérose en plaques,
élargissant potentiellement le champ d’application de cette
approche thérapeutique.
Cependant, les chercheurs
restent prudents. Les médicaments antirétroviraux ne ciblent que
des enzymes spécifiques et n’agissent pas sur l’ensemble des
mécanismes rétrotransposonaux. Une compréhension plus approfondie
de ces processus complexes sera nécessaire pour développer des
thérapies véritablement efficaces.
Cette recherche illustre
parfaitement comment notre passé évolutionnaire continue
d’influencer notre présent médical, transformant d’anciens
envahisseurs en complices silencieux de nos maladies les plus
redoutables.