«C’est un sujet de préoccupation central : il y a des aimants permanents partout, pas que dans le moteur de traction, mais aussi dans les capteurs, les antennes… On suit tous les projets liés à nos dépendances, et aujourd’hui c’est l’endroit où il faut être», témoigne un industriel du secteur automobile, qui note que les projets se multiplient en Europe, que le recyclage peut servir de vecteur d’indépendance et de souveraineté dans les matières premières.


C’est avec cette conviction que le CEA, qui s’est emparé du sujet suite à un premier simili-embargo de la Chine envers le Japon en 2009, travaille avec Orano depuis 2020, et a lancé un projet de recherche en 2022, baptisé Magnolia (auquel collabore aussi l’équipementier Valeo, et les recycleurs Paprec et Daimantel), pour passer à l’échelle industrielle. Leur ligne pilote qui en découle peut produire 4 tonnes d’aimants permanents aux terres rares par an, avec 25% de contenu recyclé. Elle se centre sur les aimants NdFeB (pour néodyme-fer-bore). Comme leur nom ne l’indique que partiellement, ceux-ci contiennent quatre terres rares : du néodyme et du praséodyme en majorité mais aussi deux éléments «lourds» que sont le dysprosium et le terbium… Surtout, ce sont les aimants les plus performants, au point qu’ils représentent, à eux seuls, la majorité des débouchés du marché mondial des terres rares !


Un pilote axé haute-performance


«Ces aimants permanents sont indispensables au quotidien. On en trouve, de différentes qualités, dans les écouteurs, les disques durs, les pompes industrielles, les compresseurs… Les plus techniques servent dans les moteurs de traction de véhicules électriques et les turbines d’éoliennes offshore [en mer]. Ce sont eux que l’on cherche à produire», précise Benoît Richebé, directeur du projet chez Orano. Pour expliquer ce qu’il fait ici, l’industriel français argue de «son expérience acquise depuis 40 ans dans l’usine Melox [à Marcoule] qui recycle du combustible nucléaire usé dans le Gard via un procédé de métallurgie des poudres très proche de celui dont on a besoin pour recycler les aimants».


Dans le détail, deux méthodes de recyclage en «boucle courte» seront explorées. Réutiliser directement la poudre issue des vieux aimants. Ou repasser par une étape de fusion pour produire de nouveaux alliages. Un positionnement proche de celui de la start-up MagReesource, issue de l’institut Néel du CNRS, un voisin grenoblois, qui a déjà commencé à industrialiser la voie poudre et commence à s’intéresser à la fusion, sur laquelle le CEA a de l’avance. Le laboratoire a une forte expertise sur le magnétisme et avait acheté un four strip-casting (trempe sur roue) dédié aux aimants permanents en 2015.


Dans les laboratoires du CEA, trois nouvelles machines à l’échelle ont été installées, pour un montant d’investissement non communiqué venu d’Orano et de l’ordre de 3 millions d’euros de subventions publiques, dans le cadre de France 2030. Deux d’entre elles, une presse sous champ magnétique et un four de frittage de marque chinoise, ont été «occidentalisées», soit mises au normes européennes et transformées selon les standards industriels d’Orano. La dernière, un four d’hydruration sous vide, qui permet de réduire des aimants usagés ou des alliages en poudre sous une atmosphère d’hydrogène à 3 bars, a été produite en France. Des boîtes à gants mobiles permettent de transporter les produits sans contamination.


Economiser le dysprosium


De quoi tester en conditions réelles toute la chaîne de recyclage et de production de nouveaux aimants permanents – formation de l’alliage, réduction en poudre, mise en forme et aimantation dans une presse, frittage… – dans laquelle «chaque étape est cruciale et déterminante pour la performance finale», raconte la directrice du laboratoire du CEA, Celine Delafosse.


«Fabriquer de bons aimants NdFeB n’est pas simple : il y a des centaines de fabricants d’aimants dans le monde, mais une quinzaine qui font des aimants performants, en grande partie en Asie», décrypte Benoît Richebé, qui reconnaît qu’une partie du travail des partenaires depuis 2020 consiste à «rattraper le retard». Par exemple pour assurer le confinement de la matière, ou maîtriser le frittage (l’étape qui permet de solidifier l’aimant à partir de poudres) où «tout peut se jouer à 10°C près lors d’une chauffe à 1000°C pendant plusieurs heures».


Face aux tensions sur le dysprosium, les chercheurs du CEA et d’Orano ont aussi fait œuvre de créativité. «Nous utilisons mieux les terres rares lourdes présentes dans les aimants usagés, afin de diminuer la pression sur cet élément critique», dévoile Christophe Branly, directeur de la plateforme Poudr’Innov du CEA. Ils travaillent aussi sur la substitution du dysprosium par du cérium (une terre rare moins critique), et sur la production d’aimants sans terres rares lourdes, voire sans terres rares tout court (qui seraient remplacées par du fer nitré). Un point sur lequel «notre recherche commence tout juste», précise-t-il.


Faire un «livre de recettes»


A défaut d’alternatives, peut-on compter sur une production dans l’Hexagone pour bientôt ? D’ici fin 2026, «la ligne pilote permettra de poursuivre le développement de procédés innovants, et de valider la robustesse et la reproductibilité du procédé», explique Benoit Richebé alors que 150 kilos d’aimants ont déjà été produits en laboratoire. Mais Orano a les mains pleines avec ses autres projets, et ne devrait pas construire d’usine.


«Notre objectif est d’établir un livre des procédés, une super recette de haute gastronomie pour fabriquer ces aimants, et à terme le valoriser auprès d’autres industriels». Reste à voir qui pourrait s’en charger, et convaincre les industriels en aval – préoccupés par le prix de leurs propres produits – de payer le prix du made in France.