Par
Yann Rivallan
Publié le
22 sept. 2025 à 8h16
L’affaire est plus complexe qu’elle n’en a l’air. Jeudi 18 septembre 2025, un ancien ostéopathe animalier de la métropole de Rouen (Seine-Maritime) comparaissait devant le tribunal judiciaire pour pratique illégale de la médecine vétérinaire. Des actes commis du 1ᵉʳ janvier 2020 au 13 août 2024. Si les faits ne sont pas vraiment contestés par le prévenu, un gros débat s’est ouvert sur cette profession en crise.
Un examen d’aptitude obligatoire
Gabriel*, 38 ans, exerce le métier d’ostéopathe animalier depuis 2015. Il a embrassé cette profession après un Master au NIAO (National Institute of Animal Osteopathy), un centre de formation basé à Bois-Guillaume.
À l’époque de son obtention, la profession n’est pas encore reconnue et bénéficie d’un certain flou juridique. Gabriel commence à exercer dans un village de la métropole rouennaise. Mais après seulement deux ans d’activité, la réglementation évolue.
En 2017, il est décidé d’imposer aux ostéopathes animaliers de suivre un examen d’aptitude dispensé par l’Ordre national des vétérinaires pour pouvoir continuer d’exercer.
Sans ça, l’Ordre ne reconnaît pas le professionnel. Il est donc considéré comme exerçant illégalement la médecine sur des animaux.
Une réglementation en constante évolution
Mais face au grand nombre de demandes d’ostéopathes pour se mettre en conformité et aux longs délais d’attente, « un moratoire [une suspension temporaire de l’obligation de passer un examen, NDLR] est voté jusqu’en 2020 », rappelle l’avocate de Gabriel. De quoi permettre aux professionnels de continuer à exercer le temps de passer l’examen.
En début d’année 2020, Gabriel passe enfin l’examen. Mais il le rate à 3 reprises entre 2020 et 2021. Pourtant, pendant ce temps, il continue à ausculter et manipuler des chiens, des chats ou encore des chevaux.
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C’est là que les choses se corsent pour le professionnel. Sa pratique est désormais considérée comme illégale. L’Ordre lui adresse plusieurs courriers pour qu’il se mette en conformité. En mars 2023, Gabriel se prépare à passer une nouvelle fois l’examen. Mais il doit être hospitalisé pour une maladie rénale. L’Ordre lui propose une date en juin, puis une autre en juillet. À chaque fois, il décline : « J’étais en vacances à Saint-Pierre-et-Miquelon puis à La Réunion », justifie-t-il à la barre.
De nombreux rappels à l’ordre
Avec son lourd traitement pour sa maladie, il explique aux juges avoir décidé de stopper son activité en avril 2024. « Mais vous continuez quand même d’exercer ? », l’interroge la présidente du tribunal. « Oui, mais beaucoup moins qu’avant », admet-il.
C’est finalement au mois de mai 2025 qu’il arrête tout. « L’Ordre vous a tout de même rappelé plusieurs fois à l’ordre », s’agace la présidente.
« Qu’est-ce que vous pensez de vos clients qui ont eu confiance en vous, qui sont venus vous voir en tant qu’ostéopathe professionnel, alors que ce n’était pas le cas ? », poursuit la présidente.
Que diriez-vous si aujourd’hui vous étiez jugé par un magistrat qui n’a pas fait l’école de magistrature et a un faux diplôme ? Vous seriez content ?
La présidente du tribunal
« S’il y a des formations, c’est que ça sert à quelque chose », enchaîne la magistrate. « Je ne sais pas quoi vous dire », déclare, penaud, Gabriel.
Une peine amende requise
Pour l’avocat de l’Ordre des vétérinaires, maître Stanislas Panon, les faits sont « très clairs ». « Au début, il a laissé les courriers pourrir, rappelle l’avocat. Et ne venez pas me dire que l’Ordre n’a pas cherché à régler la situation. Il lui a proposé deux nouvelles dates pour repasser l’examen et il s’en est lavé les mains. Il a continué à exercer en espérant que les choses se tassent. »
Il le rappelle : « Ce n’est pas parce qu’il a suivi des formations [des diplômes d’ostéopathe animaliers non reconnus, NDLR] qu’il est en droit d’exercer. » Ainsi, maître Panon sollicite un dédommagement de 5 000 euros en réparation du préjudice subi par l’ordre. Un montant qu’il justifie par « la durée de l’infraction et l’attitude [du prévenu] durant cette période ».
Le procureur de la République requiert de son côté une peine amende de 3 000 euros pour Gabriel. Selon lui, l’ostéopathe « même s’il a un casier vierge, a commis des faits graves qui ont mis en danger les êtres qu’il a manipulés ».
« C’est un homme diplômé »
Maître Duval-Dussaux, l’avocate de l’ostéopathe, relativise : « C’est un homme diplômé qui a cru qu’il exerçait dans les règles de l’art. » Au moment de l’obtention de son diplôme, en 2015, « il était reconnu par le ministère du Travail, mais pas celui de l’agriculture. Aujourd’hui, on lui dit que son diplôme ne vaut rien. »
« Il est plein de colère et d’incompréhension, poursuit le conseil de Gabriel. Il a l’impression qu’il y a une main mise des vétérinaires sur sa profession. C’est quelqu’un de résigné. C’est pour ça qu’il a cessé son activité. »
« Il faisait plus du magnétisme »
Maître Duval-Dussaux relève aussi « quelques lacunes dans le dossier ». À commencer par les actes pratiqués. Peut-on vraiment parler d’exercice illégal de la médecine quand on ne définit pas « ce qui relève d’actes thérapeutiques et non thérapeutiques ? », interroge-t-elle.
Selon la jurisprudence, « il y a plus de condamnations depuis 2022 [dans ce genre d’affaires] mais il y a aussi des relaxes quand les actes sont limités à des actes fonctionnels non invasifs », explique l’avocate.
Difficile donc pour elle d’accuser son client d’avoir exercé illégalement puisqu’en 2022 il avait « changé sa pratique ».
Il faisait plus du magnétisme que de l’ostéopathie. Il était très doux avec les animaux.
Maître Duval-Dussaux
Avocate du prévenu
Concernant l’examen d’aptitude, le conseil de Gabriel pointe du doigt son coût important et sa grande difficulté. « J’ai appris que des étudiants [en ostéopathie animalière] avaient formulé un recours collectif pour dénoncer la difficulté des épreuves. » Pas étonnant, pour elle, que son client a échoué à trois reprises.
Enfin, c’est aussi la maladie qui a empêché Gabriel de retenter de passer l’examen, selon elle. Bref, son client « n’est pas quelqu’un qui veut escroquer, assure-t-elle. C’est quelqu’un qui faisait bien son travail et donnait grande satisfaction à ses clients. »
Le tribunal fait preuve de clémence
Après en avoir délibéré, le tribunal déclare Gabriel coupable de l’ensemble des faits qui lui sont reprochés. Mais il ne suit pas les réquisitions et se montre plus clément. L’ancien ostéopathe animalier écope d’une peine amende de 3 000 euros avec sursis.
Concernant le préjudice de l’Ordre des vétérinaires, il est condamné à verser 1 euro symbolique et à rembourser les frais de justice à hauteur de 800 euros.
*Le prénom a été modifié
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