Un secret d’atelier vient d’être percé ! Le peintre américain Jackson Pollock (1912–1956), figure de l’expressionnisme abstrait et grand maître du dripping, restait très secret concernant le choix de ses couleurs. Mais une analyse chimique vient de permettre d’identifier pour la première fois un bleu vibrant que l’artiste a utilisé sur sa toile Number 1A, 1948. Une découverte qui va aider à restaurer correctement l’œuvre, tout en permettant de mieux comprendre le processus de création de cette personnalité clé de l’art moderne aux procédés novateurs.

Tout a commencé lorsque le MoMA de New York a lancé une campagne de restauration de tableaux. L’équipe en charge de la toile Number 1A, 1948 était face à un problème : un bleu intense non identifié. La connaissance des pigments utilisés étant cruciale dans une restauration pour ne pas abîmer l’œuvre et obtenir le meilleur résultat possible, le musée avait alors contacté le professeur Edward Solomon, chimiste américain dirigeant une équipe à l’Université de Stanford, afin qu’il procède à des analyses.

Un pigment introduit seulement une dizaine d’années avant la réalisation de la toile

Jackson Pollock, Number 1A, 1948 (détail)

Jackson Pollock, Number 1A, 1948 (détail), 1948

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Huile et émail sur toile • 172,7 × 264,2 cm • Coll. MoMA, New York • © 2023 The Pollock-Krasner Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York / Adagp, Paris 2025

Le savant dévoile à présent le résultat dans une étude publiée au sein de la revue scientifique américaine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences). Après avoir passé le pigment au laser, et employé plusieurs technologies de pointe (la spectroscopie Raman, pour étudier les liaisons chimiques et les structures des molécules ; le dichroïsme circulaire magnétique, pour étudier leurs liaisons électroniques ; et la théorie de la fonctionnelle de la densité, afin de prédire leurs propriétés physico-chimiques), la couleur mystère a été identifiée : il s’agit du bleu de manganèse – un bleu clair, vif et stable, légèrement turquoise, fabriqué en chauffant un mélange de sulfate de baryum (BaSO₄) et de manganate de baryum (BaMnO₄).

Si Jackson Pollock n’est pas le seul à avoir utilisé ce bleu, qui se retrouve notamment dans les œuvres de l’artiste soviétique Sergueï Guerassimov et de Violeta Parra, figure de la culture populaire chilienne, ce pigment introduit dans les années 1930 n’était pas encore largement distribué dans les années 1940 – et a ensuite, dans les années 1990, été délaissé au profit de substituts en raison de sa grande toxicité pour l’environnement et la santé humaine. Utilisé essentiellement par les artistes, il reste un pigment de connaisseurs, peu courant sur le marché.

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Un bleu vibrant et lumineux

« Pollock n’avait pas conscience des interactions chimiques à l’origine des nuances uniques du bleu de manganèse. Mais il a intuitivement choisi de créer les contrastes dynamiques et profonds de Number 1A, 1948. »

Pourquoi Pollock, qui utilisait également d’autres pigments bleus tels que l’outremer, le bleu phtalocyanine, le bleu céruléen, le bleu de cobalt et le bleu de Prusse, est-il allé chercher ce bleu plus rare pour cette toile ? Parce que grâce à des interactions d’échange d’électrons lorsqu’ils sont excités par la lumière, sa couleur est particulièrement vibrante, détaille l’étude cosignée par Abed Haddad, assistant chercheur en conservation au MoMA. Le pigment absorbe en effet certaines parties de la lumière autour du bleu, ne renvoyant que la lumière bleu pur pour un effet étonnant dans notre rétine.

« Pollock n’avait pas conscience des interactions chimiques à l’origine des nuances uniques du bleu de manganèse. Mais il a intuitivement choisi de créer les contrastes dynamiques et profonds de Number 1A, 1948  », expliquent les chercheurs. La découverte souligne ainsi le raffinement des recherches chromatiques de l’artiste, qui malgré l’énergie et la part d’accident caractéristiques de ses œuvres, était loin de se contenter de jeter aléatoirement des couleurs sur une toile !

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