Procès du chantage à la mairie de Saint-Etienne, jour 1. En attendant, l’audition du maire Gaël Perdriau et Pierre Gauttieri, cette première journée a été marquée par une voix que l’on n’avait pas entendue en public depuis plus de 3 ans. Elle a été longuement écoutée ce lundi : Samy Kéfi Jérôme, ex adjoint à l’éducation, personnage moteur de ce chantage qu’il reconnait avoir exercé sur Gilles Artigues, son presque mentor, a été le premier à passer à la barre. Mais, précise-t-il, avant tout pour son compte, sans connaître l’implication exacte du maire. S’il avoue la honte profonde de son forfait et de ses impacts privés comme publics, il nie en revanche tout recel de détournement de fonds.
Xavier Alix et Julie Tadduni
Gaël Perdriau à son arrivée vers 9 h au tribunal. ©If Saint-Etienne / XA
« Depuis le temps que j’attends ça ! » Il n’est pas 7 h 30 ce lundi devant le Palais de Justice de Lyon. Une seule personne attend déjà sur le parvis. Et elle n’est pas journaliste. Il s’agit d’un habitant de Saint-Galmier : « Je suis venu comme simple citoyen, c’est tout. Cette affaire m’a que trop agacé : j’ai besoin d’être là, j’en ai besoin pour être réparé, en tant que citoyen. » C’est le grand jour, effectivement, ou plutôt la grande semaine qui commence, ce lundi matin au sein du tribunal judiciaire de Lyon. Le grand moment attendu par Saint-Etienne et bien au-delà. Les deux heures supplémentaires à patienter avant l’ouverture de l’audience de la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Lyon, ne pèsent pas lourd au regard des trois années écoulées et de leur perspective de dénouement. Trois ans de révélations successives, de rebondissements, d’enquête, d’attaques et de défenses. Trois ans de dévastation pour la vie publique du Sud Loire.
Des inculpés ou parties civiles, Pierre Gauttieri, ex-directeur de cabinet de Gaël Perdriau est arrivé, le premier, canne à la main, clopin-clopant. Seul. On apprendra en début de séance qu’il n’a plu d’avocat et qu’il n’est pas parvenu à en obtenir un nouveau, si tant est qu’il ait essayé… Puis le maire de Saint-Etienne, accueilli sous les cris – « Justice pour Saint-Etienne ! » – d’une dizaine de militants du collectif militant de gauche Sainté Populaire, venu faire le déplacement, drapeaux et bâche en place devant l’entrée du Palais de Justice. Suivent Gilles Rossary-Lenglet, Gilles Artigues, venu avec sa famille, « Théo Ford » (Loris R., l’escort boy recruté pour piéger à son insu Gilles Artigues) et, enfin, Samy Kéfi-Jérôme. C’est l’audition de ce dernier ainsi que celle de Gilles Rossary-Lenglet qui feront l’essentiel de la journée. Programme qui s’annonce chargé toute la semaine. Déjà « retardé » d’emblée par une demande de Pierre Gauttieri de faire ajourner le procès puisque sans avocat depuis au moins fin juillet…
Tentative d’ajournement étouffée
Gilles Artigues à l’arrivée au Tribunal Judiciaire de Lyon entouré de son fils et de son avocat André Buffard. ©If Saint-Etienne / XA
Apparemment parce qu’il n’en a plus les moyens… Refusé : Brigitte Vernay, première vice-présidente du tribunal judiciaire de Lyon suit le ministère public, représenté par Audrey Quey, procureure de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Lyon : l’avocat de Pierre Gauttieri a averti ce dernier puis officiellement le tribunal le 28 juillet dernier. « Pas évident certes, de construire sa défense en moins de deux mois mais vous aviez le temps de solliciter le barreau de Lyon ou de Saint-Etienne pour obtenir un commis d’office. Vous ne l’avez pas fait et précédemment dit, ici, que vous assureriez votre défense vous-même.» Avant cela, les échanges venaient de faire l’objet d’un court huis-clos afin que la fameuse vidéo à l’origine de tout soit visionnée sans la presse, et sans le public. La suite ? Une voix que l’on n’avait pas entendue en public depuis plus de 3 ans mais longuement écoutée ce lundi : Samy Kéfi Jérôme, resté sur silence radio total vis-à-vis des médias, l’ex adjoint à l’éducation, auteur de la première vidéo puis de nouvelles à la suite est le premier des accusés à passer à la barre. Des heures durant espacées de la pause méridienne.
Présidente du tribunal, avocats de Gilles Artigues, celui de l’association Anticor, puis assesseur de la présidente : tous vont, à tour de rôle, successivement, pousser loin dans les détails pour recouper ses versions, et essayé de mettre en évidence qu’il a agi dans un cadre plus large qu’il veut bien le dire. Car l’homme a déjà avoué être auteur d’un chantage. C’était début 2024 devant les juges d’instruction après avoir donné une autre version en septembre 2022 qui insistait sur le fait d’avoir été harcelé sexuellement des années durant par Gilles Artigues. L’évidence est de toute façon là, crevant les yeux via cette vidéo du 18 septembre 2016 dont le contenu avait déjà fuité en juin 2023, celle-ci, réalisé lui-même à son domicile, toujours à l’insu de la victime est, elle diffusée en public. Tête basse, Samy Kéfi Jérôme semble endurer de la honte, Gilles Artigues l’endurer tout court. Le chantage n’y fait aucun doute : c’est l’objet de ce tournage qui visait à renforcer la première vidéo, considérée comme « un fiasco » par l’accusé (bien que compromettante, elle s’est finie trop rapidement faute de… batterie suffisamment chargée).
« Mon seul mobile était politique »
La conversation préalable entre les deux hommes démontre que Gilles Artigues savait ce qu’il faisait dans cette chambre avec l’escort boy – soirée et son objet présentés par Samy Kéfi-Jérôme comme un « cadeau » d’anniversaire – en février 2015 à Paris. Mais peu importe : c’est l’exercice d’un chantage de la part de l’ex adjoint sur Gilles Artigues qu’elle prouve. De quoi « tenir en laisse », disposer d’« une assurance vie » politique. « J’ai suivi un script donné par Gilles Rossary-Lenglet ». Quelles étaient ses motivations ? « Il n’a jamais été question d’argent. Mon seul mobile était politique malgré mes premières déclarations. » Sont évoquées ces échanges apparemment graveleux, à répétition, entre les deux et des faits que l’on n’avait jamais entendus parlés jusque-là et qu’il dit choquants, créant un avant et un après, datant de novembre 2013. « Ses messages devenaient intenses à chaque enjeu d’investiture. Mais je ne me sentais pas en danger. Mon but à moi, vis-à-vis de cette vidéo c’était les législatives 2017, qu’il ne s’y présente pas, et se déporte sur les sénatoriales pour me laisser le champ libre », explique l’ex élu – toutefois seulement « en retrait » de la Région dont il touche des indemnités réduites à 50 % – passé par le PS avant de rejoindre le Modem dont il était un membre très actif à Saint-Etienne, parrainé par Gilles Artigues plusieurs années avant les faits.
Là où la version de Gilles Rossary-Lenglet, son ex-compagnon, autodécrit comme « le plombier » de l’affaire, diffère fondamentalement de la sienne, c’est que Samy Kéfi-Jérôme nie avoir sollicité par le premier après une réunion politique à la mairie, afin d’organiser ce kompromat. Selon lui, ce sont des échanges entre Gilles Rossary-Lenglet en quête de soutien sur le projet – quelque peu étonnant… – d’une création de la Maison des consulats à Saint-Etienne et Pierre Gauttieri qui auraient amené ces derniers à vouloir faire de lui « l’appât » volontaire d’un piège tendu à Gilles Artigues à visées politiques. « Gilles est venu me dire qu’il avait le moyen de m’apporter des garanties pour mes ambitions. » Mais Samy Kéfi-Jérôme aurait refusé d’être « en première ligne », « Théo » étant donc le « plan B » déshumanisé, de cette version. « Pierre Gauttieri a été informé par moi le soir même de la réalisation du « teaser » fait très rapidement par Gilles que j’avais fait ma part du marché. Mais il a mis un mois et demi à la visionner. J’étais là quand il l’a fait. Il y avait en plus que son adjoint stagiaire qui s’est immédiatement dit choqué et n’a pas cautionner.»
Et Gaël Perdriau ? Etait-il là ? était-il au courant ? « A partir du moment où la contrepartie était son soutien aux législatives pour moi c’était évident qu’il était au courant. Mais nous n’avons jamais parlé de cela ensemble. Pas plus de cet aspect avec Pierre Gauttieri. Jamais. Le maire n’était pas là lors du visionnage de la vidéo à la mairie et non, il ne s’est pas précipité pour venir voir en entendant des rires. Je ne lui ai pas montré, ni donné. Nos seuls échanges à la mairie concernaient celles d’un maire avec son adjoint. Il y avait de l’amitié politique, du respect, on se tutoyait mais on ne se voyait pas en dehors comme amis et même un adjoint n’accède pas comme il veut au bureau du maire. La porte du directeur de cabinet était par contre toujours ouverte. » Jamais ? Quid de ces textos à plusieurs reprises entre lui et le maire, plus de 3 ans après les faits pour l’un, faits de plaisanteries sous la ceinture déjà bien connues, faisant allusion à « Théo », à ce piège. Réponses plutôt confuses autour « d’habitudes humoristiques » à petites doses dans une petit cercle dont diverses personnalités stéphanoises ou autres pouvaient régulièrement faire les frais.
« Je n’ai pas détourné d’argent »
Mais s’ajoute au tableau, un autre texto, moins dans l’humour celui-là. Envoyé dès le lendemain soir de la parution de Mediapart où il conseille au premier magistrat de Saint-Etienne de « rester sur la même ligne, de mettre son téléphone de côté. Plus rien ne sortira aujourd’hui. Courage » après sa sortie pourtant surréaliste devant le monument aux morts de la place Fourneyron. Il y a enfin cette série de notes effectuées du 22 au 26 août, avant la sortie de l’article de Mediapart l’ayant contacté pour avoir sa version. Notes parfois troublantes autant que le fait d’envoyer les questions posées par le journal d’investigation à Pierre Gauttieri… « C’était une demande presse très spéciale. Comme à chaque fois, que la sollicitation presse est compliquée, on en réfère à lui. » Parvenir à cerner ce que Samy Kéfi-Jérôme sait de l’implication ou non de Gaël Perdriau n’est pas le seul autre angle d’interrogatoire : le détournement de fonds publics dont il aurait profité selon Gilles Rossary-Lenglet pour le forfait commis. Samy Kéfi-Jérôme l’a dit et va le répéter : « Je n’ai pas détourné d’argent ».
Samy Kéfi-Jérôme à son arrivée au tribunal. ©If Saint-Etienne / XA
Pour rappel, il est suspecté qu’une somme totale de 40 000 euros (+ 10 000 en œuvres d’art) aient transité par de fausses subventions aux associations France – Lettonie et Agap pour rémunérer la complicité du couple – alors déjà séparé – Rossary-Lenglet / Kéfi-Jérôme. Selon le premier, le second en aurait touché 60 %. C’est faux, assure l’intéressé. Mais alors pourquoi ce versement de 6 700 euros fin décembre 2014 sur son compte par Gilles Rossary-Lenglet qui venait de toucher une somme la veille ? « Ça n’a rien à voir. C’est de l’argent qu’il me devait, en arriérés, en impôts, après avoir occupé mon appartement des mois durant à la suite de notre séparation, m’étant installé avec ma nouvelle compagne. Je l’ai aidé aussi pour qu’il s’installe de son côté en lui achetant des meubles, de l’électro-ménager… J’étais content pour lui d’ailleurs qu’il retrouve du travail au sein ces deux associations. Pour moi, il a vraiment travaillé pour elles : j’ai relu ses 47 textes pour les œuvres exposées de l’Agap, je les ai corrigés pour lui et France Lettonie avait un rapport avec son projet de maison des consulats.»
Seule chose certaine : Samy-Kéfi Jérôme plaide coupable sur le chef d’inculpation de chantage, et dit en ressentir de la « honte », pas seulement depuis les révélations de Mediapart d’ailleurs, assure-t-il. Mais rapidement après avoir montré la vidéo à Gilles Artigues, cherchant en vain ajoute-t-il à lui faire part de ses regrets, ayant pourtant précisé dans les échanges qu’ils ne s’étaient pas parlé pendant 4 ans après s’être croisé en octobre 2016 où là, Gilles Artigues l’avait enregistré à son tour pour obtenir des preuves de ce qu’il subissait. Son accord pour 2017 étant devenus caduc avec le ralliement du Modem à en Marche se désolidarisant des LR et de l’UDI, Samy Kéfi-Jérôme dit n’avoir pas imaginé que cette vidéo allait ressortir, jusqu’à « ce 38 t que je me suis pris » le 26 août 2022.
« J’ai fait mal aux Stéphanois, à la ville de Saint-Etienne »
Mais « j’assume la pleine et entière responsabilité des actes que j’ai commis, des actes graves et inadmissibles, inexcusables, avait-il déclaré d’emblée. Gilles et Loris sont des victimes, par mes actes. Personne ne devrait être traité de la sorte. C’est ignoble, pour la famille aussi (il avait noué une relation de proximité avec la femme et les enfants de G. Artigues, Ndlr). J’ai aussi abimé l’image des élus de la République, j’ai fait mal aux Stéphanois, à la ville de Saint-Etienne. J’ai dû faire un cheminement entre mes premières déclarations où j’étais loin de dire toute la vérité pour comprendre l’homme que j’étais, me regarder dans la glace. »
Bref, au bout de ce chemin, Samy Kéfi-Jérôme sait qu’il n’a que ce qu’il mérite et méritera… Du moins, selon sa version, si déduction faite du recel détournement de fonds… A l’heure où nous écrivions ces lignes, c’était au tour de Gilles Rossary-Lenglet de passer à la barre. Demain doivent suivre Gaël Perdriau et Pierre Gauttieri.