Publié le
23 sept. 2025 à 6h14
Faite de verre et d’acier, la façade du Grand Frais de Fresnes (Val-de-Marne) reprend les codes des halles de marché d’autrefois. Dans l’air flotte un parfum de pain chaud et de viennoiseries tout juste sorties du four. Il est à peine 11 heures ce mardi 16 septembre 2025 et pourtant, le ballet des chariots rouges qui franchissent les portes automatiques du magasin est incessant. Depuis quelques années, l’enseigne s’impose en Île-de-France et attire même les Parisiens, prêts à franchir le Periph’ pour ses fruits et légumes. Ce matin, Fatima a fait le voyage depuis le 15e arrondissement pour remplir son coffre de victuailles. De même pour Laurence, Parisienne et psychologue à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). « Certains observateurs appellent Grand Frais le Disneyland des adultes », plante Véréna Bourbia, géographe du commerce, urbaniste et autrice d’une thèse sur les commerces de détail alimentaire, à actu Paris. Décryptage d’un succès venu de la périphérie et qui a gagné le cœur des Franciliens.
Dans le Top 10 des enseignes préférées des Français
Depuis une dizaine d’années, les halles de Grand Frais s’implantent en petite couronne. Dans le Val-de-Marne, l’enseigne au logo rouge et vert compte trois points de vente, et bientôt un quatrième à La Queue-en-Brie. Du côté des Hauts-de-Seine, le département va accueillir son premier magasin dans quelques mois à Clichy. Quant à la Seine-Saint-Denis, elle peut déjà compter sur deux supermarchés à Livry-Gargan et Villepinte.
Enseigne préférée des Français en 2018, elle se maintient, depuis, dans le Top 10 du classement. « Je viens pour leurs fruits, leurs légumes et le rapport qualité prix », explique Laurence après avoir chargé son coffre de provisions. « À Paris, les primeurs sont hors de prix. Ici, c’est un bon compromis », poursuit-elle. Deux fois par mois, la psychologue fait le plein et dépense entre 150 et 200 euros pour elle et son époux. « C’est une petite organisation mais ça vaut le coup », livre celle qui a profité d’un trou entre deux consultations à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre pour faire ses emplettes.

Laurence profite de la proximité avec son travail pour remplir régulièrement son frigo. (©MAM / actu Paris)
Claude est venu en voisin depuis Cachan (Val-de-Marne), attiré par la « diversité des produits » et notamment « des viandes (qu’il) ne trouve pas ailleurs ». Un peu plus loin sur le parking, Fatima range son chariot de courses rempli dans sa petite Citroën bleue. Maman de deux enfants et résidente à Paris, elle regrette qu’il n’y ait pas de Grand Frais dans la capitale.
Grand Frais, un cas d’école
Mais comment, face aux mastodontes comme Carrefour, Auchan ou Leclerc, l’enseigne a-t-elle pu tirer son épingle du jeu ? « Grand Frais est un cas d’école », pointe Véréna Bourbia, géographe et consultante en urbanisme et commerce.
En premier lieu, l’enseigne diffère des autres supermarchés par son mode de gouvernance. Il s’agit d’un groupement d’intérêt d’entreprises spécialisées. Prosol est en charge des fruits et légumes, Euroethnic Food de l’épicerie et Despi de la boucherie-charcuterie (Novoviande en Île-de-France). « La zone primeur n’est pas gérée par la même entreprise que la boucherie. Ce sont des personnes dont c’est la spécialité qui s’occupent de leur emplacement », décrit la chercheuse.
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Tous les Grands Frais sont organisés de la même manière avec la zone boucherie-charcuterie à l’entrée, primeur au centre et crémerie dans le fond du magasin. Sur les côtés, l’épicerie. (©MAM / actu Paris)
Par ailleurs, la chaîne s’inspire des halles Baltard – ancien ventre de Paris et emblème du marché frais. « La scénographie et la mise en scène des produits à plat comme les marchés d’antan est pensée pour donner envie », relate Véréna Bourbia. Une minutie qui pèse sur les salariés comme témoignait l’un d’entre eux au Monde en 2024. Antoine (prénom d’emprunt) confiait au quotidien marcher entre 8 et 9 km par jour pour réajuster les étals au fur et à mesure des ventes, provoquant une dorsalgie.
« Dans son discours, le groupe se distingue de la grande distribution mettant en avant sa proximité avec les producteurs », poursuit notre interlocutrice. Selon la consultante, l’enseigne se fournit chez les producteurs locaux et les coopératives régionales. En 2022, nos confrères de 76actu avaient mené l’enquête sur la provenance des produits de l’enseigne, essentiellement étiquetés origine France. Le président départemental de la FNSEA (fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) n’était toutefois pas en contact avec Grand Frais.
« Après le Covid, les Franciliens ont voulu consommer des produits en circuit court »
Plus de trente ans après l’ouverture de son premier magasin dans la région lyonnaise, Grand Frais cible aujourd’hui les citadins. « Après le Covid, les Franciliens ont voulu consommer des produits en circuit court et de qualité, même si la qualité est issue d’une scénographie », rembobine l’universitaire.
Pour cette dernière, l’arrivée tardive de Grand Frais en petite couronne s’explique par le fait que les commerces de plus de 1 500 m² (taille moyenne d’un magasin de l’enseigne) sont soumis à des lois de régulation de l’urbanisme commerciale, un processus long avec des études d’impact nécessaires. Un bouclier historique pour lutter contre le développement de la grande distribution face aux petits commerces. D’où le fait qu’à Paris, l’implantation d’un Grand Frais soit difficilement réalisable. Prosol s’est tout de même positionné en ouvrant dans le 15e arrondissement, une boutique mon-marché.fr.
Enfin, Prosol (l’un des trois acteurs de Grand Frais, NDLR), s’est doté d’un nouveau directeur, Jean-Paul Mochet. « Il était jusqu’alors directeur général de Franprix et président de Monoprix, enseigne très présente à Paris. D’où le côté plus offensif sur ce marché. Il savait qu’il y avait un créneau à prendre », interprète Véréna Bourbia. Contacté, Grand Frais n’a pas répondu à nos sollicitation.
Si des observateurs comparent la chaîne au célèbre parc d’attractions portée par une souris aux grandes oreilles, c’est bien parce qu’elle est parvenue à créer « une expérience » pour ses consommateurs qu’elle « émerveille » avec sa scénographie. Un argument de poids dans une économie en berne et un pouvoir d’achat toujours plus sous pression. En 2024, son chiffre d’affaires est estimé à 4,6 milliards d’euros selon les informations du Figaro. Il était de 500 millions il y a dix ans.
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