Il y avait eu la grève des greffiers, puis le malaise d’un assesseur. Deux situations hors normes qui avaient retardé encore un peu plus la tenue du procès du président de la Métropole européenne de Lille. Et voici que l’audience d’appel de ce 22 septembre, première des trois journées de procès prévues à la Cour d’appel de Douai, a commencé par un coup de Trafalgar judiciaire inédit.

Dans une petite salle d’audience mal ventilée et dont le plafond fuit (un bac de récupération a été posé au sol), le président Sylvain Lallement rappelle le long cheminement de la procédure jusqu’au jugement de première instance du 2 juillet 2024 et aux actes d’appel qui ont suivi. Or, prend‐il soin de relever, l’appel de la défense, déposé le 11 juillet, se limite aux peines prononcées.

Procès Castelain : ce que le jugement correctionnel nous apprend

C’est en constatant cette erreur manifeste de rédaction que le Procureur général a donné acte de son désistement d’appel, vendredi 19 septembre à 15 heures, sur les dossiers où Damien Castelain a été condamné. Dès lors, les condamnations de ce dernier dans les dossiers dits des « pierres bleues » et des « frais d’avocats » deviennent acquises ! Seul le montant des peines doit être reconsidéré par la justice d’appel, ainsi que les relaxes.

Les avocats de Damien Castelain ont eu beau protester, la Cour, après une courte interruption de séance, a décidé d’instruire le procès dans les limites de l’appel tel qu’il a été rédigé. Il y a donc fort à parier qu’un pourvoi en cassation soit déposé par la défense. Pourvoi qui, en matière pénale, est suspensif… On n’en a donc pas fini de parler du procès Castelain. En outre, la carrière politique de ce dernier ne serait donc pas compromise à court terme – sauf cas improbable d’inéligibilité avec exécution immédiate que les juges de première instance avaient écartée. 

Examen de personnalités
Damien Castelain lors de son procès en appel à Douai. Photo : Matthieu Slisse

L’audience a pu reprendre vers 10h15 par l’examen classique des personnalités. Où l’on apprend, par exemple, que Damien Castelain déclare gagner 6 500 euros net par mois (comme président de la MEL et maire de Péronne‐en‐Mélantois), soit un peu plus que son ancien DGS Bruno Cassette devenu sous‐préfet d’Aix-en-Provence après son départ de la MEL fin 2020 et jusqu’à la mi‐septembre de cette année. On comprendra au passage que sa nomination tout récente comme préfet hors cadre (c’est-à-dire sans affectation temporaire) n’est pas étrangère à son calendrier judiciaire. En cas de condamnation en appel, sa carrière dans la fonction publique serait grandement compromise.

Constance Tembremande, elle, ne semble pas s’être vraiment relevée de ses ennuis judiciaires malgré sa relaxe en première instance il y a un an. L’attachée de presse continue de pointer au chômage et, dit‐elle, « essaie de se reconstruire ».

Dans la salle, on remarque la présence assidue de Christian Mathon, vice‐président à la MEL, ancien maire de Capinghem et ami proche de Damien Castelain. Le sénateur Dany Wattebled fait une brève apparition ainsi que le chef de cabinet adjoint et homme à tout faire du président de la MEL, Brahim Azallade. Frédéric Parisot, le secrétaire général de la CGT Métropole européenne de Lille, figure aussi au dernier rang. Mais aucun représentant de médias nationaux n’est présent pour le procès du président de la quatrième métropole de France. 

Pierres bleues : « Je conteste tout ! »

Difficile pour la Cour de ne pas faire un petit détour par l’affaire des « pierres bleues ». « Je conteste tout ! », martèle Damien Castelain qui dit regretter que David Roquet, l’homme par qui le scandale est arrivé, ne soit pas présent devant la Cour. L’ancien salarié de l’entreprise de BTP Matériaux enrobés du Nord, qui a payé et offert les pavés pour la terrasse de l’ancien domicile de Damien Castelain, a bénéficié de la prescription.

Bien que condamné en première instance, le président de la MEL s’entête. Il parle de « pierre bleues vieillies » de récupération, se définit comme « expert de l’économie circulaire », ce qui l’incite à « recycler les matériaux plutôt que de les balancer à la benne » et se pose en victime d’un complot. « Il n’y a pas de volé et pas de voleur dans ce dossier », soutient‐il.

Passe d’armes sur les « frais de bouche »

L’après-midi s’ouvre sur l’examen des « frais de bouche » du président Castelain. En première instance, les juges n’avaient retenu que quelques dépenses (des séances de soins en spa et un dîner de la Saint‐Valentin à Arras), en estimant que la prévention (soit l’énumération des faits à juger) n’avait pas été assez précise pour qu’ils puissent trancher sur la totalité des dépenses litigieuses. Une décision contestée en appel par l’avocat général Antoine Berthelot, qui s’emploiera à réintroduire tous les frais présumés abusifs au cours d’échanges parfois peu amènes avec Damien Castelain.

Extraits :

– « Considérez‐vous toutes ces dépenses normales (NDLR : parfum, valise, sac à dos, médicaments, dentifrice…) ? »

– « Tout à fait et c’est ce que les juges ont dit en première instance. »

– « Ce n’est pas ce qu’ils ont dit. »

– « Vous savez, je suis président H24. Il est normal que je dispose d’effets pour me doucher et me changer. Je suis président de la quatrième métropole de France. J’ai plus de poids qu’un député. »

– « Si vous êtes président de la MEL 365 jours sur 365, pourquoi l’ensemble de vos frais ne seraient‐ils pas pris en charge ? Il n’y a pas beaucoup de métiers où l’on peut arriver le matin mal fagoté. Or, que je sache, les fonctionnaires paient leur parfum. »

Damien Castelain fait face vaille que vaille en dépit des évidences. Le dîner de la Saint‐Valentin à La Coupole d’Arras ? « Nous étions 3 à table et non 2 comme on l’a insinué. » Les autres repas pris le soir en tête à tête hors du périmètre de la métropole ? « Je maintiens totalement qu’il s’agissait de rencontres professionnelles pour l’ensemble des repas (…) Oui, il m’arrive d’être accompagné par mon épouse. Quel autre homme politique fait payer sa femme lorsqu’elle est présente ? »

– « Et ça ne vous choque pas ? », interroge l’avocat général.

– « Pas du tout ! »

– « Je tombe des nues ! Vous arrive‐t‐il de payer quelque chose si vous êtes en représentation pour la MEL 24 heures sur 24 ? »

– « Pensez‐vous que je sois le seul à procéder ainsi ? », rétorque Damien Castelain.

– « Ce genre de remarques, on les entend plus souvent au tribunal dans la bouche de prisonniers vendeurs de shit qui minimisent leur rôle », tacle le procureur général.

VRP de la métropole

Après une courte suspension de séance, la « torture » du président se poursuit. Cette fois, les trois séjours à l’hôtel 5 étoiles Molitor de Paris, situé à deux pas du Parc des Princes, sont au cœur des interrogations. Le président Castelain y a séjourné avec sa compagne notamment après l’affiche PSG‐Real Madrid. Une présence justifiée par son rôle « d’agent de commerce », de « VRP » de la métropole. C’est à lui, explique‐t‐il, d’aller au‐devant des grands présidents de fédérations sportives pour vendre le Stade Pierre Mauroy de Lille afin d’y attirer des compétitions. » Peut‐être, mais pourquoi aller dans un palace 5 étoiles ? Pourquoi ne pas le faire en toute transparence ? Pourquoi ne pas être accompagné d’un autre élu s’il s’agit de représenter la MEL ?

La lecture d’un échange de mails avec Cédrine P., la responsable de la régie du président (qui est également sa secrétaire personnelle), est ravageur. Cette dernière informe le président qu’il n’y a plus que des chambres à 642 euros la nuit à l’hôtel Molitor « ce qui est cher », fait‐elle remarquer. Elle suggère un autre établissement à 142 euros la chambre. La réponse de Damien Castelain, assortie d’un smiley, fuse : « C’est cher mais c’est bien ! »

« Oui c’est discutable, finit‐il par reconnaître penaud devant la Cour. Vous savez, je gère plein de choses. La réponse est partie comme cela. C’est une seule fois en trente années de vie d’élu. »

Le « fusible » Bruno Cassette
Bruno Cassette et son avocat, le 22 septembre à Douai. Photo : Matthieu Slisse

C’est à présent au tour de Bruno Cassette d’être placé sous le feu des questions de la Cour. L’ancien DGS sait qu’il joue gros dans ce dossier présumé de favoritisme au profit du cabinet de relations publiques Constance RP, puis de l’embauche de sa patronne et unique salariée Constance Tembremande. Tout converge dans le dossier, témoignages de ses services à l’appui, pour établir qu’il a joué un rôle clef dans l’attribution privilégiée du marché public de relations presse au cabinet Constance RP. Mais l’homme se défend bec et ongles. « Je n’ai ni indiqué, ni porté, ni colporté une préférence dans ce dossier qui ne me concerne pas et ne m’intéresse pas », martèle‐t‐il.

Bizarrement, personne au sein de la MEL ne se prévaut d’avoir rédigé le cahier des charges qui a servi au lancement du marché public adapté. Normal : il présente d’étranges similitudes avec l’offre de service spontanée que Constance Tembremande a envoyé à son « Très cher président » quelques semaines plus tôt. « C’est un marché de rien », poursuit Bruno Cassette. Un petit dossier parmi les 4 500 que j’ai traité en six ans et demi à la tête des services de la MEL. » Pourtant, l’ancien DGS prendra soin de présider le jury de sélection qui retiendra l’agence Constance RP à l’unanimité – les autres votants étant sous son autorité hiérarchique directe…

« J’ai le sentiment d’être un bouc émissaire dans cette histoire, poursuit‐il. Le fusible d’une enquête à charge. » Bruno Cassette n’hésitera pas à accuser ses services d’avoir faussé le jeu de la concurrence en privilégiant Constance Tembremande par l’envoi de documents et d’informations privilégiées, sans qu’il en soit informé. « Si je l’avais su, j’aurais arrêté immédiatement la procédure parce qu’elle était entachée d’irrégularités », conclut‐il. En bon juriste, Bruno Cassette sait qu’il ne peut y avoir de responsabilité pénale reconnue sans preuve de sa connaissance des faits ou d’actes entrepris. Or il n’y a pas de traces écrites.

Le deuxième jour d’audience, ce mardi, s’ouvrira par la poursuite de l’examen de ce dossier avec les interrogatoires de Constance Tembremande et de Damien Castelain.

Votre soutien a de l’impact !

Chez Mediacités, nous nous engageons à vous offrir des informations exclusives et indépendantes chaque semaine. Pour permettre à nos journalistes de poursuivre leurs enquêtes approfondies, nous avons besoin du soutien de nos lectrices et nos lecteurs.

Devenez acteur de la révélation d’informations d’intérêt public en faisant un don (défiscalisable à 66 %). Votre soutien nous permet de maintenir un journalisme de qualité et de faire vivre le débat public en toute indépendance.