Des pages manuscrites recouvertes de petits dessins colorés, des dates surlignées couleurs pastel et des petits gribouillages très esthétiques : sur sa page Instagram, le cinéma et l’artistique sont rois. Avec près de 54 000 abonnés, des collaborations avec le Festival de Cannes, les studios Canal + ou le festival Travelling, le compte, né à Rennes en 2020, a acquis une certaine notoriété dans la sphère cinéphile et culturelle. Et à seulement 24 ans, Capucine Lancien, sa créatrice, est dans la lignée de ces nouveaux défricheurs culturels, pas vraiment critiques, pas vraiment influenceurs non plus – des passionnés sollicités par les institutions pour mettre en avant les nouvelles productions culturelles.
Des coups de crayon digitalisés
« Le projet a commencé pendant le confinement en 2020, au milieu d’une pile de dossiers à rendre et de partiels à distance », raconte celle qui, originaire de Quimperlé (29), était à l’époque étudiante en Humanités à l’Université Rennes 2. Prospectus, tickets de cinéma, magazines : Capucine colle, depuis qu’elle a 7 ans, tout ce qu’elle peut dans des petits livrets remplis à ras bord. « J’ai toujours eu l’habitude d’écrire dans des carnets, je fais ça depuis que je suis toute petite. J’ai décidé de faire évoluer cette habitude au format digital, pour m’échapper. » Le compte prend alors le nom de La Machine Infernale, du nom de la pièce de Jean Cocteau sur laquelle elle avait un examen.
Dans ses carnets, Capucine Lancien colle tout, en un patchwork coloré de souvenirs, et transpose cette vision sur son compte Instagram. (Instagram/@la.machine.infernale)
Au départ destinée à ses amis, la notoriété de la plateforme s’envole, et ses publications se diversifient : listes thématiques de films (« 7 films pour faire la fête », « 18 films sur l’enfance » ), extraits de scènes cultes, et collages colorés évoquant le scrapbooking et une ambiance très « cocooning ». Le mercredi, Capucine liste les films en salles, ceux qu’elle a eu la chance d’aller voir en salles, ceux qui l’attirent, ceux qu’elle a adoré – ou détesté.
Capucine propose, tous les mercredis, une liste non exhaustive des films à voir en salles obscures. (Instagram/@la.machine.infernale)« Rennes, c’est une ville jeune, artistique et inspirante »
C’est le cinéma Arvor, son « cinéma fétiche », qui la contacte en premier pour qu’elle relaie les films à l’affiche dans la salle historique de Rennes. « J’ai connu ce cinéma en arrivant à Rennes, en 2017, alors qu’il était encore Rue d’Antrain. J’ai trouvé le lieu tellement romantique et apaisant, j’y allais tout le temps ! » Au fur et à mesure, la Bretonne s’empare d’autres lieux culturels de la ville, comme le ciné-Tambour de Rennes 2.
« Rennes, c’est ma ville de cœur, j’y ai passé toutes mes années étudiantes. C’est ici qu’a éclos ma passion pour le cinéma. Il n’y a pas que l’Arvor, on y compte beaucoup de belles salles, et parfois du cinéma en plein air… C’est une ville jeune, artistique et inspirante » se réjouit celle dont le public est, typiquement, « une Rennaise de moins de trente ans », car, comme toujours sur les réseaux sociaux, on gravite forcément autour de ceux qui nous ressemblent.
Avec le format rectangulaire bien connu d’Instagram, Capucine Lancien mêle les anciens codes du dessin et de l’illustration, à ceux plus modernes des réseaux sociaux. Résultat : des recommandations différentes de celles des médias culturels classiques, et la valorisation de cinéastes parfois inconnus du grand public. Ses réalisateurs préférés ? Céline Sciamma, réalisatrice du « Portrait de la Jeune fille en feu », mais aussi Jacques Demy et Agnès Varda, dont elle connaît la filmographie par cœur. « Le cinéma de Jacques Demy, c’est très sentimental : je regardais ses films en boucle quand j’étais petite, c’est un pan de mon enfance. J’ai découvert Agnès Varda plus tard, à l’adolescence, et j’ai adoré son mélange de poésie, d’art plastiques, de photo… C’est un univers qui me parle beaucoup. »
Festival d’animation d’Annecy, festival Travelling à Rennes « qu [’elle] adore » … La jeune illustratrice diversifie ses expériences, et se retrouve même à collaborer depuis quelques années avec le festival de Cannes pour partager des « carnets de bord ».
Si le compte est devenu une mine d’or pour qui s’intéresse à l’univers cinématographique, Capucine, qui se définit comme « rédactrice culturelle et illustratrice » l’assure : elle ne se considère pas comme une critique de cinéma. « Des gens le font bien mieux que moi, je ne suis pas journaliste. J’étais encore très novice il y a 5 ans : je n’avais pas vu certains films cultes, je ne m’y connaissais pas vraiment en cinéma, en tout cas pas dans sa globalité. » Son objectif n’est pas là : Capucine veut donner envie d’aller en salle. « Ce que je veux, c’est déculpabiliser : on n’est pas obligés de tout voir, de tout connaître, de tout lire pour connaître le monde du cinéma. Je voulais dédramatiser le fait d’aller en salles en partageant mes coups de cœur, et en mettant en lumière les œuvres que j’aime. »
Le cinéma, un autre moyen de se connecter à l’actualité
Pour autant, ce compte ne lui permet pas d’échapper à la réalité. « J’essaie de ne pas faire semblant. J’aime Varda, mais j’aime aussi les drames, les films politiques. Je parle de l’actualité en partageant des films engagés. Le cinéma, c’est toujours une échappatoire, mais on utilise aussi ce moyen pour se connecter à l’actualité, en France et dans le monde. » Et pour la suite ? Capucine, qui vit aujourd’hui entre Rennes et Paris, se rémunère désormais grâce au cinéma et à sa boutique d’illustration, et partage son temps entre les festivals culturels et des publications en collaboration avec des distributeurs. Celle qui n’oublie pas son « rêve de devenir maîtresse d’école » veut continuer à développer La Machine Infernale. « Tant que ça fonctionne, je continuerai. Le public est présent et intéressé, et je trouverai toujours des idées pour donner aux gens l’envie d’aller au cinéma ! »