Procès de chantage à la mairie de Saint-Etienne, jour 2. Hier, la journée s’est achevée avec l’audition de Gilles Rossary Lenglet. Elle s’est poursuivie ce matin. Celui par qui le scandale est arrivé et qui assure dire « la vérité et non sa vérité », n’a rien perdu de son attitude théâtrale. Il est longuement revenu sur sa relation avec Samy Kéfi-Jérôme, le Kompromat, ainsi que son rôle au sein des associations impliquées dans l’affaire…
Julie Tadduni et Xavier Alix.
Gilles Rossary-Lenglet à la sortie de son audition à la barre ce matin au Palais de Justice de Lyon. ©If Saint-Etienne / Xavier Alix
Sans surprise, lors de son audition qui a commencé hier et se poursuit aujourd’hui, Gilles Rossary Lenglet fait du Gilles Rossary Lenglet. D’emblée, il avertit la présidente : « Je voulais vous dire. Faites extrêmement attention, vous êtes face à des politiques ». Et la première vice-présidente du tribunal judiciaire de Lyon de rétorquer : « Dois-je me méfier de vous aussi ? ». L’accusé, sans fard, lui répond par l’affirmative. Le ton est donné.
Questionné sur ses activités de l’époque il explique qu’il « grenouillait ». Comprendre : il évoluait au cœur du « marécage politique » local.
Contrairement aux déclarations de son ex-conjoint la veille, il admet l’avoir remboursé avec de l’argent issu de fausses factures, mais assure que Samy Kéfi-Jérôme était au courant. Néanmoins, il précise que ce n’était pas le mobile : « Ce qui comptait le plus pour Samy, c’était d’avoir le soutien politique, plus que l’argent ». La présidente procède alors à la diffusion de quatre vidéos.
« Moi je ne rate pas les vidéos »
Deux d’entre elles mettent en scène Gilles Rossary Lenglet et Pierre Gauttieri, qui discutent d’un emploi qui pourrait être trouvé à ce premier. Puis deux autres, dans lesquelles Gilles Rossary Lenglet et Gaël Perdriau échangent sur ce qui pourrait être amené « à se savoir ». Dans les premières, l’ancien amant de Samy Kéfi-Jérôme fait part de son énervement à l’ancien directeur de cabinet, qui n’a pas répondu à ses relances. Il menace de dévoiler le penchant de son ex-compagnon pour les stupéfiants. « Samy s’est comporté comme un enculé, maintenant le Dr Frankenstein va débrancher sa créature. C’est pas à toi que je vais apprendre ça, en politique on accepte les coucheries, les enveloppes… mais pas la drogue. Et j’ai les aveux de Samy en vidéo. Moi je ne rate pas les vidéos », conclut-il non sans piquer son ex au passage. A plusieurs reprises, il demandera d’ailleurs à ce que Brigitte Vernay intervienne pour « que la personne derrière moi cesse de commenter tout ce que je dis ». Samy Kefi-Jérôme… toujours.
In fine, Pierre Gauttieri propose un emploi à Gilles Rossary Lenglet, pour environ 2 500 euros nets pour un travail de 35 heures hebdomadaires, « ceci étant dit, y a pas la pointeuse ». Et l’intéressé de répondre qu’il va réfléchir…
« Ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les deux Gilles »
Plus tard, les deux hommes évoquent les ambitions du maire, qui, à l’époque, se verrait bien ministre. « Comment ça fonctionne si Gaël va là où il veut aller ? Il y aura obligatoirement le vote pour un nouveau maire. Entre Marc et Siham (Chassaubéné et Labich, Ndlr) », lance alors Gilles Rossary Lenglet qui s’inquiète de savoir si l’emploi qu’on lui propose pourrait alors être menacé. L’ancien directeur de cabinet lui répond : « La seule garantie que je puisse t’apporter c’est que la stabilité de l’édifice reposera sur moi. Ça ne veut pas dire que je ne m’intéresserais pas à ce qui se passe à Paris. J’en ai parlé au principal intéressé, je lui ai dit, il y a besoin de tenir la maison. J’ai toujours dit à Gaël, il faut tenir son fief, parce que quoi que tu fasses, un jour le temps va se couvrir et dans ces moments-là, il faut pouvoir revenir à la maison ».
Dans ses échanges avec le maire justement, Gilles Rossary Lenglet se fait menaçant. Ce à quoi Gaël Perdriau répond, au sujet de son adjoint à l’éducation de l’époque. « J’ai dit que tant que je ne sais rien, je ne fais rien. Si quelque chose sort sur des comportements répréhensibles, des détournements, je m’en séparerais. Ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les deux Gilles. Lui, une fois que la vidéo sera sur la table euh… La première victime ce sera lui, mais une fois que les choses sont sur la table il est mort ». Une pièce qui pourrait compliquer la défense de l’édile.
Gilles Rossary-Lenglet à son arrivée au tribunal hier matin. ©If Saint-Etienne / Xavier Alix
Interrogé par Me André Bufffard, qui évoque l’enregistrement dans lequel Pierre Gauttieri et Gilles Rossary Lenglet rient d’un second piège pouvant pousser Michel Thiollière au suicide, il souffle et crie au puritanisme. Pour l’avocat, il s’agit d’échanges dignes des plus grands voyous. L’ancien conjoint de Samy Kéfi Jérôme y voit un simple jargon politique, et se hasarde à une comparaison avec de potentiels échanges entre avocats. « Il n’y a aucun rapport entre la confraternité et la complicité, permettez-moi de vous le dire », lui oppose le ténor du barreau stéphanois.
Au sujet des subventions, Gilles Rossary Lenglet affirme que les dirigeants des associations n’étaient pas au courant du Kompromat, mais qu’ils savaient parfaitement qu’il s’agissait de « subventions de complaisance ». La procureure finit par l’interrompre pour lui demander si, à aucun moment, l’un d’entre eux s’est dit « on arrête ? ». « Non, c’est comme deux amoureux qui n’osent pas se dire c’est terminé »…
« Ok, Régis Juanico est un ami »
La défense de Gaël Perdriau, celle de la Ville, et celles aussi des deux couples à la tête des associations tentent tour à tour de démontrer que Gilles Rossary-Lenglet à coup de mails, sms, travaillaient sur des projets qui auraient été bien effectifs. « De l’habillage en mélangeant le vrai et le faux », répétera le « plombier » autodésigné. Est-ce là le fameux « boom » pronostiqué par Gaël Perdriau en conseil ? Me Luciani s’attarde, enfin sur ces échanges entre lui et… Régis Juanico. Echanges évoquant des conseils de l’ex député PS, candidat de son parti aux prochaines municipales, relatifs à l’affaire (peut-il faire confiance aux journalistes de Mediapart, quelle ligne à suivre ensuite). Avant même qu’elle sorte…
Gilles Rossary-Lenglet sent le vent du complot : « Ok, Régis Juanico est un ami. Il ne faut pas que ça se sache parce qu’il ne faut pas qu’il soit associé à un salaud. C’est un bon politique, mais dans ce domaine, il n’est pas forcément de bons conseils ». Rien de plus, si ce n’est que Régis Juanico était au courant tôt, au printemps 2022.
Ce jour, non sans ironie, débute à Saint-Etienne la 36ème édition des semaines d’information sur la santé mentale… en partie délocalisées à Lyon ?