Retiré des courses depuis quatre ans, Andrea Dovizioso vit aujourd’hui en observateur la domination implacable de Ducati, marque qu’il a largement contribué à ramener aux avant-postes. C’est avec lui que la Desmosedici s’est transformée en machine gagnante après le creux connu par le constructeur à la suite d’un court mais exaltant chapitre porté par Casey Stoner.

Avec Dovizioso, Ducati a gagné 14 fois en cinq ans, et surtout stabilisé ses performances suffisamment haut pour rivaliser avec un Marc Márquez à son apogée, terminant trois fois de suite à la deuxième place du championnat. Aujourd’hui que l’Espagnol a retrouvé les sommets grâce à son transfert de Honda à Ducati, Dovizioso est donc certainement l’un des mieux placés pour analyser les tourments que des performances aussi écrasantes que celles qu’il produit actuellement peuvent entraîner chez ses adversaires.

À l’occasion de la sortie d’un docu-série qui lui est dédié en Italie, sur Sky, Andrea Dovizioso a rencontré les médias, dont Motorsport.com, et évoqué cette grande question. Avec, logiquement, en toile de fond la situation douloureuse que traverse actuellement Pecco Bagnaia.

Andrea, tu as été trois fois vice-champion du monde. Les deuxièmes places peuvent-elles offrir de grandes satisfactions à un sportif ?

Les deuxièmes places que j’ai obtenues avec Ducati ont été une grande satisfaction. D’abord, parce que je sortais de moments difficiles. Les années qui ont précédé ont été dures, on encaissait beaucoup de secondes de retard, alors réussir à redevenir compétitifs et à se battre avec une moto qui ne jouait pas le titre depuis de nombreuses années a été une satisfaction personnelle importante.

Il faut être objectif et reconnaître quand quelqu’un est fort et plus complet.

Ce qu’il y a, c’est que ça dépend toujours de contre qui on se bat : Marc Márquez avec le HRC, ils étaient trop forts ces années-là, ils étaient les plus forts. Il le démontre encore plus cette année, maintenant qu’il a changé de moto, d’équipe. Voyez ce qu’il a fait : on parle de 200 points d’avance sur les autres. Depuis quand n’a-t-on pas vu cela ? Ça montre que sa force est complète, en tout. Il faut donc être objectif et reconnaître quand quelqu’un est fort et plus complet.

Aurais-tu aimé piloter la Ducati qui domine aujourd’hui le MotoGP ?

Ce sont des moments différents de ceux que j’ai vécus. Quand on faisait un podium et qu’on gagnait, c’était une vraie fête. Aujourd’hui, il s’agit plus d’une lutte entre les Ducati. C’est un moment différent parce qu’ils ont réussi petit à petit à progresser sur différents aspects et ils ont fait la différence. Celui qui arrive à mieux gérer parvient à gagner, mais c’est une lutte entre les Ducati. Quand je me battais pour les victoires, les autres pilotes Ducati ne gagnaient pas, ou alors rarement. C’est donc une situation complètement différente, mais ça fait partie du sport. Il y a un temps pour tout.

Au cours de ta carrière, tu as affronté Valentino Rossi, Casey Stoner, Jorge Lorenzo, Dani Pedrosa et Marc Márquez. Lequel t’a le plus mis en difficulté, et pourquoi ?

Tous, mais dans des moments complètement différents. Par exemple, Pedrosa, Lorenzo et Casey sont des pilotes que j’ai affrontés pratiquement chaque année. Et même tous les ans dans le cas de Lorenzo, parce qu’on a toujours changé de catégorie en même temps. Dani avait tout le temps un an d’avance, et Casey, lui, a un peu compliqué les choses parce qu’il était parti en 250cc et qu’il est ensuite revenu en arrière. [On s’est donc croisés] à des moments différents.

Mais tous ceux que vous avez cités étaient incroyables. Ils avaient des hauts et des bas, mais quand ils étaient en forme, ils gagnaient. J’ai tout le temps été avec eux dans les dix premières années [de ma carrière], puis il y a eu Valentino, mais lui était déjà plus avancé dans sa carrière. Je ne me suis jamais battu pour le titre face à Valentino, et quand j’étais compétitif il ne l’était pas, et vice-versa.

Ensuite, Marc est arrivé, et je l’ai affronté jusqu’au bout. Avec les autres, je me suis peut-être battu une année oui, une année non, mais Marc est le seul qui ait été là chaque année, il est énorme.

Andrea Dovizioso a été le plus proche adversaire de Marc Marquez pendant trois ans.

Andrea Dovizioso a été le plus proche adversaire de Marc Márquez pendant trois ans.

Photo de : Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images

Comment affronte-t-on un adversaire comme Marc, en sachant à quel point il est fort ?

C’est bien le problème, il est fort sous tous les aspects. En plus d’être plus fort que tout le monde sur certains points, il est fort en tout. Le seul côté un peu « négatif » de Marc, entre guillemets, c’est qu’il n’arrive pas à se retenir, comme il l’a dit lui-même. Et ça, c’est dangereux. C’est pour ça qu’il est beaucoup tombé dans sa carrière, et il a eu de la chance de s’être vraiment peu blessé, en tout cas jusqu’en 2020. Il a été bon, mais il a aussi eu de la chance parce que quand on tombe aussi souvent au cours d’une année, on ne le contrôle que jusqu’à un certain point.

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Je le répète, moi je n’ai pas affronté Valentino dans les années où il dominait, mais j’ai vécu les années de Marc et il nous a tous mis en grande difficulté. Plus on voit ce qu’il fait, plus on s’affaisse. J’entends beaucoup de gens se demander comment il est possible que Bagnaia ait autant de mal par rapport à lui cette année. Indépendamment de l’aspect technique, qu’ils sont les seuls à pouvoir connaître, psychologiquement c’est dévastateur. Quand un pilote est dans la même situation que toi et qu’il arrive à faire certaines choses, c’est la réalité. Pour un pilote, qui a inévitablement un égo très fort, ça devient contre-productif.

Quand tu te retrouves avec un Marc dans le box, il démonte tes convictions.

Du temps de Honda, quand tu avais du mal face à Stoner et Pedrosa, tu avais envisagé d’arrêter. Tu penses que ça pourrait passer par la tête de Bagnaia ? Et étant donné que tu en es sorti et que tu connais très bien les dynamiques internes chez Ducati, quel conseil lui donnerais-tu ?

La situation est différente. Dans son cas, un pilote venu d’une autre marque est arrivé chez lui et il est en train de faire la différence, alors ça pèse. Quand tu es un pilote qui a progressé crescendo, en gagnant en Moto2, en ayant un peu de mal au début en MotoGP mais en arrivant ensuite à gagner deux titres et à en perdre un autre à la dernière course, tu en arrives à des convictions importantes. Puis, quand une situation comme celle d’aujourd’hui se crée et que tu te retrouves avec un Marc dans le box, il te démonte ces convictions et ça n’est donc pas facile.

Pecco doit trouver techniquement une façon de piloter la GP25 comme il le veut lui, mais aussi réussir à se récréer d’un point de vue mental la situation dont il a besoin pour être à 100%, parce qu’actuellement il est inévitable qu’il n’y arrive pas à cause de tout cela. Je ne suis pas en position de pouvoir lui donner un conseil, mais à mon avis, il est intelligent et il commence à comprendre la réalité de la situation.

On sait tous que c’est compliqué, très difficile, mais il a encore une année de contrat et il a donc le temps d’essayer. Aujourd’hui, ça paraît impossible, mais en moto tout peut arriver : peut-être que pendant l’hiver, ils vont réussi à identifier des modifications ou à trouver une voie qui puisse l’aider à retrouver ses sensations. Alors, petit à petit, il peut retrouver la confiance qu’il a perdue actuellement.

Propos recueillis par Matteo Nugnes

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