Un malaise, une haine, l’isolement, une frustration, une revendication, parfois avec une touche d’humour : les tags et les graffitis traduisent toujours quelque chose, des cris écrits.

Un langage de la rue, brut et frontal, souvent éphémère, mais qui « dit haut ce que d’autres taisent ».

Derrière les briques, les bombes, les bouteilles de gaz graffées à quelques pas de la gare de Bastia, il y a une main, une colère, une idée. Il y a aussi une signature. Celle de Piombu.

Fresques d’une lutte hautement symbolique au moyen d’un art corrosif

C’est lui qui, fin mars, a ravivé les teintes de la fresque dédiée à Yvan Colonna sur les hauteurs de la citadelle de Bastia. Un geste artistique, un acte militant. À l’image de ce qu’il revendique : un art engagé, corrosif, assumé. La fresque, d’abord vandalisée – les yeux du portrait furent gribouillés -, a de nouveau été dégradée en janvier dernier.

Perchée sur les hauteurs de la citadelle de Bastia, la fresque en hommage à Yvan Colonna, dégradée en janvier dernier, a été refaite par Piombu à la fin mars.Perchée sur les hauteurs de la citadelle de Bastia, la fresque en hommage à Yvan Colonna, dégradée en janvier dernier, a été refaite par Piombu à la fin mars. PIERRE GIANELLI

« On ne sait pas si c’est le vent ou autre chose… », souffle l’artiste bastiais, militant nationaliste aux vapeurs mordantes. Qu’importe, un peintre de rue est habitué à faire et refaire. « Ça fait partie de la vie d’un mur. Parfois, vous avez à peine le temps d’immortaliser le rendu que, dès le lendemain, la peinture est déjà recouverte. »

Concernant cette fresque hautement symbolique, il ne tergiverse pas. « Je n’ai pas réfléchi une seule seconde avant de rendre, à nouveau, hommage à Yvan Colonna et au symbole qu’il a pu être pour les gens de ma génération. » Dans cette nouvelle œuvre, un triptyque invoque le spirituel, la politique et le mémoriel : la Vierge aux paupières closes, priante et recueillie, une foule stylisée, des drapeaux corses, une main levée tenant un cocktail Molotov en rappel au mouvement insurrectionnel « né du choc suscité par l’agression d’Yvan Colonna ». Et, enfin, le portrait de ce dernier, grave, regard posé au loin, figé dans une expression silencieuse qui semble défier le temps.

De l’enfance aux murs de Bastia, l’engagement politique de Piombu

Pour comprendre l’intensité de son art, rebelle et revendicateur, il faut remonter plus loin, là où tout a commencé : dans son enfance, dans ce qui a forgé son regard et son engagement. Car l’artiste est souvent un reflet, un témoin engagé de la société qu’il traverse.

Autodidacte, Piombu dessine depuis toujours, naviguant entre les planches de bande dessinée et la création d’univers visuels. Puis, au fur et à mesure que sa vision s’aiguise, l’engagement politique et le militantisme – qui ont « très tôt fait partie intégrante de [sa] vie » – prennent une place centrale : « On connaît l’histoire des bombages en Corse. Les murs, comme ailleurs dans le monde, ont toujours été un moyen d’expression. Mon engagement politique m’a toujours poussé à me sentir concerné par les luttes, qu’elles soient politiques, culturelles, contre la spéculation ou pour l’environnement ou notre langue… Ça se retrouve dans mon travail. » Et pas qu’un peu…

Ici, l'artiste aux multiples supports mêle les symboles de Bastia et du festival de la bière qui s'y tenait en septembre dernier.Ici, l’artiste aux multiples supports mêle les symboles de Bastia et du festival de la bière qui s’y tenait en septembre dernier. MATTIS FOURNIER

Fils de militant, Piombu porte aussi un autre héritage, plus intime, plus inattendu : celui laissé par son père, brutalement disparu trois ans plus tôt. C’est en reprenant son salon de tatouage qu’il s’initie à cette pratique, sans imaginer qu’elle deviendrait un pilier de sa vie, nourricière.

Des cris écrits qui s’inscrivent dans une filiation

Ses créations, comme des cris peints à même les murs ou les peaux, s’inscrivent dans une filiation. Celle d’un fils de militant, d’un adolescent au tournant des années 2000 marqué par les drapeaux, les slogans, les tensions, les meetings, les affichages, les manifs… « Je me souviens de celles en faveur de la langue corse, les années Colonna, la venue de Chevènement. J’avais une quinzaine d’années, quoi. » Des souvenirs encore vivaces, comme ceux de la fin de la guerre fratricide, des tensions entre courants, des lendemains d’élections.

Avant d’être célébré, un graffeur est souvent un hors-la-loi, un révolté qui utilise l’espace public comme terrain de bataille, un vandale. S’il ne se cache plus – ou moins – pour faire parler les murs, l’adrénaline que lui procure la nuit, lorsqu’il sévit encapuchonné et ganté, reste.

Le graffeur bastiais attendu en Bretagne cet été pour réaliser un portrait d’Yvan Colonna

Aujourd’hui, entre les encres et les aiguilles, les murs de l’atelier sont eux aussi parlants. On y croise ses œuvres, échos directs « des plaies qui marquent l’Île » : une bétonnière déversant du ciment rouge, allégorie du sang, sur le crâne d’un mouflon, donnant naissance à une rivière mortifère serpentant les montagnes ; une Corse ceinturée, étranglée par une chaîne au bout de laquelle pend une brique ; un indigène à cheval traquant un camion malaxeur lancé à toute berzingue…

Prochains rendez-vous pour Piombu : un détour par la Bretagne cet été, terre maternelle d’Yvan Colonna, où il réalisera un portrait du militant à l’invitation d’un mouvement indépendantiste breton. Avant de revenir en août, pour marquer de son trait les cinquante ans des événements de la cave d’Aleria.

È s’ellu saltava u piombu eri, oghje Piombu pinghje.