Le pire a été évité de justesse. Dimanche peu après 23h30, un avion de la compagnie Nouvel air en en provenance de Tunis se prépare à atterrir sur la piste 04 droite de l’aéroport de Nice. Le pilote n’a semble-t-il pas vu l’Airbus A320 d’Easyjet qui se trouve déjà sur cette piste et va décoller en direction de Nantes. Le pilote en approche remet les gaz in extremis, les deux appareils se sont frôlés. Le commandant de bord de la compagnie anglaise adresse ensuite un message aux passagers. « Il a parlé avec son cœur. Il était en larmes, disant qu’il était choqué et qu’il ne pouvait pas repartir dans ces conditions », a témoigné l’un d’eux auprès de Nice-Matin.

« Il y a un traumatisme. C’est normal, ce n’est pas passé loin. On peut comprendre que le pilote déclare qu’il n’est pas en état de reprendre le vol. C’est rare, mais ça arrive », explique à 20 Minutes Gérard Feldzer, président d’Aviation sans frontières. Lui-même a été marqué par un incident survenu il y a plusieurs années lors d’un vol entre Paris et Dakar. « Un passager suicidaire est entré dans le cockpit et a coupé les quatre moteurs. » Après avoir été maîtrisé, l’homme a perdu connaissance avant de mourir. « Ça a été assez violent. On s’est déroutés sur Bordeaux. J’ai réuni l’équipage en leur disant qu’ils étaient libres de continuer ou pas. J’ai estimé, avec mon copilote, qu’on était en état de poursuivre le vol. L’équipage s’est soutenu mutuellement et on a décollé deux heures après », raconte l’ancien pilote de ligne.

« La situation a très rapidement dégénéré »

Alban*, pilote en activité, a vécu une expérience quasi similaire l’été dernier. « Une passagère, qui était dans un état psychotique délirant, a commencé à attaquer les passagers. Elle a ensuite donné des coups à l’équipage et essayé d’étrangler une chef de cabine », raconte-t-il à 20 Minutes. « La situation a très rapidement dégénéré. La personne était très violente et il a fallu intervenir. Une dizaine de passagers se sont interposés pour la sangler. Elle a été sédatée après un appel au médecin qui était à bord. Avec le copilote, on a pris la décision de faire demi-tour, de ramener l’avion à Paris pour débarquer cette passagère. »

La compagnie aérienne a ensuite laissé le choix à l’équipage de poursuivre le vol. « Huit PNC (personnel navigant commercial) sont descendus et ont été remplacés, quatre sont restés et on est repartis après, ajoute Alban. Dès que quelque chose de sérieux se passe dans un avion, les services de la sécurité des vols de la compagnie sont avisés. En fonction du degré de gravité de l’événement, ils peuvent dire à l’équipage : « Même si vous avez l’impression d’être en forme, on pense que l’impact émotionnel de ce que vous avez vécu peut avoir possiblement des conséquences. On ne va pas prendre de risque, on vous remplace ». Ce n’est pas du tout punitif, c’est préventif. »

Cellules de soutien aux pilotes

Un moteur qui tombe en panne, un pneu qui éclate à l’atterrissage, une alarme qui sonne, une zone de fortes turbulences… les pilotes sont entraînés à affronter ce type de situation. Entraînés à « apprivoiser » « l’effet de surprise » et à « rester serein » pour prendre les bonnes décisions, assure Alban, membre d’un syndicat de pilotes. Les commandants de bord vont alors suivre étape par étape les procédures mises en place par les constructeurs pour résoudre les pannes. Ils les connaissent par cœur et les appliquent « mécaniquement ». « On n’est pas dans notre environnement naturel en volant. S’il se passe quelque chose dans un avion, c’est susceptible de générer de la peur. Donc la meilleure façon de s’en prémunir, c’est de s’entraîner », souligne Alban.

« Mais dans les minutes, les heures, les jours qui suivent, ce n’est plus la procédure mais l’émotionnel qui reprend le dessus. L’impact peut être très fort. On se dit : « tiens, si j’avais fait différemment », « c’était peut-être une prise de risque énorme », « peut-être que ce jour-là, on aurait pu perdre un avion ». On ressent cette peur rétrospective », reprend Alban.

Un aspect de la profession pris en compte depuis plusieurs années par les compagnies qui, à l’instar d’Air France ou Transavia, ont mis en place des « Critical Incident Response Program ». Ce sont des cellules de soutien aux pilotes confrontés à un événement difficile. Le but ? Eviter l’apparition d’un « syndrome de stress post-traumatique ». « La compagnie va prendre contact avec vous pour analyser à froid comment vous avez vécu les choses, raconte Alban. Le fait de débriefer l’événement permet de le digérer, de désamorcer la situation ».

* Le prénom a été modifié