Par

Emilie Dudon-Fournier

Publié le

24 sept. 2025 à 6h32

Avec les records de spectateurs et de téléspectateurs pour cette Coupe du monde 2025, l’annonce d’un naming pour le championnat d’élite français ou encore l’explosion de licenciées dans l’Hexagone en cette rentrée (elles sont désormais 70 000, soit 38% de plus qu’à la rentrée 2024), le rugby féminin évolue à vitesse grand v. Le président de la Fédération Française de Rugby Florian Grill parle même de « tournant historique ». Interrogée à l’occasion de notre article sur la première Coupe du monde féminine de l’histoire, en 1991, l’ancienne arrière et manager des Bleues Annick Hayraud a accepté de poser son regard sur cette évolution. Et il reste beaucoup à faire selon elle.

Actu : La FFR a officialisé la semaine dernière un naming pour le championnat de première division féminine, désormais nommé Axa Elite 1. L’objectif affiché est « d’amener 300 à 400 filles vers la professionnalisation ou la semi-professionnalisation ». C’est une étape importante pour le rugby féminin français selon vous ?

Annick Hayraud : En tout cas, il faut arriver à trouver quelque chose parce que ça fait un moment qu’on tourne autour du pot. Un coup, on crée beaucoup de clubs pour essayer de faire en sorte qu’il y ait du rugby féminin dans toute la France, et ça ne marche pas… Un autre, on rétrécit l’élite… Bon. Maintenant qu’elle est rétrécie, il faut que les filles aient un statut, c’est évident. Car on ne peut pas demander à des joueuses d’élite de s’entraîner deux à trois fois par jour comme des hommes, sans avoir un statut professionnel. Ou au moins semi-professionnel, afin qu’elles puissent construire leur vie pro à côté et en vivre correctement.

Malgré ces avancées, la France reste clairement en retard, sur l’Angleterre notamment.

A.H. : Mais oui ! Bien sûr ! Il y a encore très peu de filles sous contrat avec la Fédération (30 joueuses sont sous contrat avec la FFR, ndlr) et encore ça ne va pas chercher très loin au niveau des salaires. Même sans comparer avec les garçons : quand vous avez un job, qu’on vous demande beaucoup d’investissement, qu’on ne vous donne pas de jour férié, peu de congés, et qu’on vous file 2500 balles par mois, il n’y en a pas beaucoup qui le feraient. Ca reste un sport et une passion, évidemment, mais c’est en plein développement actuellement alors il faut vraiment aider les filles et les clubs de l’élite à se structurer avec des staffs compétents.

« J’ai vécu de la condescendance en tant que joueuse et manageuse »

Vous avez joué la première Coupe du monde féminine, en 1991. C’est le jour et la nuit, malgré tout, avec cette 10e édition en Angleterre. On voit combien le rugby féminin et la reconnaissance qu’il reçoit ont évolué depuis cette première édition.

A.H. : Oui. Les dirigeants en avaient profité pour tisser des liens et continuer à construire depuis là. On voit où on en est aujourd’hui. 34 ans plus tard, on arrive à remplir Twickenham pour une finale de rugby féminin.

Pourtant, les deux premières Coupes du monde (1991, 1994) n’avaient pas reçu l’aval de l’IRB et il avait fallu attendre 2009 pour que World Rugby les reconnaisse officiellement.

A.H. : Pour les filles, il faut toujours du temps… Et ne pas être pressée. C’est comme quand il s’agit de donner de l’argent aux féminines. Il ne faut pas trop leur en filer car après, « elles ne savent pas gérer », « elles vont prendre le bocal » etc. Les hommes sont dans nos têtes, c’est bien connu ! (rires) Quand le sujet est de reconnaître quoi que ce soit pour les femmes, c’est toujours plus compliqué. On me disait « ah oui Annick ok, on va regarder, on va réfléchir ». Super, merci.

Aviez-vous ressenti de l’injustice ou la condescendance des dirigeants masculins à l’occasion de cette première Coupe du monde non reconnue officiellement ?

A.H. : Nous, on était contentes d’y être, on n’était pas au courant de ce qu’il se passait et on a appris tout ça plus tard. J’étais dans ma bulle de joueuse. Mais vous savez, la condescendance ne s’est pas résumée à la première Coupe du monde. Il ne faut pas se voiler la face ! Je l’ai vécue, en tant que joueuse et en tant que manageuse. Quand ce sont les garçons qui arrivent, tout le monde leur déplie le tapis rouge. Quand c’est les filles, il faut toujours prouver ou argumenter pour obtenir quoi que ce soit. Plein de gens disent que le rugby féminin mérite autant que le masculin… Mais dès il faut y mettre de l’argent, il y a moins de monde. Le problème est là.

Votre région, votre actu !

Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.

S’incrire

Ancienne internationale et manager des Bleues n'a pas la langue dans sa poche.
Ancienne internationale et manageuse des Bleues, Annick Hayrayd n’a pas la langue dans sa poche. (©Icon Sport)« Des beaux discours, mais pour le reste… »

En juillet dernier, la FFR a fixé le montant des primes de participation et de performance prévues pour tous les clubs qui participent à un championnat français. On peut y lire qu’un club d’élite 1 féminine perçoit une prime d’engagement de 14 000€ de la part de la Fédération. Pour comparaison, un club masculin de Nationale (3e division) reçoit 50 000€, de Nationale 2 (4e division) 20 000€, de Fédérale 1 (5e division) 10 000€. Le rugby féminin reste peu servi comparé à son homologue masculin.

A.H. : Mais pour eux, c’est déjà beaucoup. C’est ça le pire ! Il y a même une année où le bus était remboursé moins cher pour les équipes féminines que pour les équipes masculines… C’est sûr qu’on paye le gasoil moins cher quand on est une fille, hein. C’est dingue ! Je me rappelle de discussions avec des dirigeants qui me disaient : « On te donne ça quand même, tu te rends compte ? » Je peux vous dire que c’était tendu parfois. On nous refusait quand on demandait des primes pour les Bleues, mais quand on voit ce que touchent les hommes… Ils pensent qu’on ne va pas savoir gérer. C’est sûr que certaines choses ont besoin d’être mises à plat. Il y a des beaux discours, certes. Là, ça y va ! Mais pour le reste…

Le montant du naming n’a pas été communiqué officiellement. Cela vous étonne-t-il ?

A.H. : Le pire dans tout ça, c’est qu’on va dire qu’un super truc a été fait. Alors là, je ne parle pas du tout politique, ce n’est pas du tout contre la Fédération, mais plutôt à titre général : le truc, c’est qu’on va dire « merci. Ouah, ils nous ont donné ça, c’est quand même bien franchement ». C’est ça le problème dans le rugby féminin : on nous donne un peu et on dit merci parce qu’on est content. Alors que c’est juste normal, et surtout pas assez. Et on a tellement peur qu’on nous l’enlève qu’on se contente de ce qu’on nous donne. Il faudrait aller plus loin pour que toute la pratique, et notamment le niveau de l’équipe de France, en bénéficient. Comme cela s’est passé en Angleterre.

Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.