Procès du chantage à la mairie de Saint-Etienne, jour 3. Après Samy Kéfi-Jérôme, Gilles Rossary Lenglet et Pierre Gautteri, c’est au tour de Gaël Perdriau de répondre aux questions – entre autres – de la présidente d’audience. Très longuement. Entre développement du contexte politique et arguments techniques, le maire continue à a fermement nier être à l’origine du chantage exercé sur son ancien 1er adjoint Gilles Artigues.
Julie Tadduni et Xavier Alix
Gaël Perdriau, sortant de la salle d’audience à mi chemin d’une dizaine d’heures cumulées questions réponses. ©If Saint-Etienne / Julie Tadduni
« Depuis 30 ans cette année, je me consacre à la ville de Saint-Etienne, aux Stéphanois, j’en ai fait le socle de ma vie, a lancé Gaël Perdriau en préambule. Me retrouver devant vous avec les accusations qui sont portées contre moi aujourd’hui est évidemment une épreuve. Jamais je n’ai pratiqué des méthodes hors-la-loi pour faire de la politique. Pour moi, la politique ce n’est pas ce qu’on vient d’entendre depuis deux jours. J’ai évidemment une pensée pour Gilles Artigues et Michel Thiollière ».
C’est d’un ton plutôt assuré, notes sur le pupitre, réfléchissant manifestement très vite aux réponses qu’il apporte, que le maire de Saint-Etienne a commencé son audition hier en fin de journée. Elle se poursuivait aujourd’hui, assurant avoir « entendu beaucoup de mensonges » depuis 48 heures, et, plus globalement, depuis trois ans.
Il persiste : il n’a pas « commandé » la vidéo mettant en scène Gilles Artigues, Samy Kéfi-Jérôme et l’escort boy, dans une chambre d’hôtel en janvier 2015, et n’a pas eu connaissance du chantage exercé à ce sujet sur son 1er adjoint. Il sous-entend d’ailleurs que l’on a affaire à un dossier d’instruction à charge où l’on « ramène tous les éléments à Perdriau ».
« Je suis une victime collatérale »
Tout au long des débats qui ont pu se tendre à plusieurs reprises, notamment sous les invectives de Maître André Buffard, visiblement plus rompu à l’exercice que les avocats dépêchés en remplacement de Me Ingrain, il assure être une « victime collatérale de sujets qui n’ont rien à voir avec la ville de Saint-Etienne, ni avec la politique ». Il affirme avoir visionné la vidéo pour la première fois, lors de sa diffusion à huis clos lundi et n’avoir rencontré Gilles Rossary Lenglet qu’à deux reprises entre 2014 et 2022.
Ma conviction c’est que chacun a des raisons personnelles d’organiser cette vidéo.
Gaël Perdriau
« Ma conviction c’est que chacun a des raisons personnelles d’organiser cette vidéo. Pour Samy Kéfi-Jérôme, c’est l’ambition politique, pour Gilles Rossary Lenglet, c’est se venger de Samy. Je pense que Pierre Gauttieri, lui, a des ressentiments très forts contre Gilles Artigues. D’ailleurs, il en parlait régulièrement, il a vécu les rumeurs lancées par Gilles Artigues comme une humiliation suprême. » A plusieurs reprises, le maire a été interrogé sur sa réaction au lendemain de la publication de l’article de Mediapart, alors que des journalistes l’interrogent ce fameux 27 août devant le monument aux morts de la place Fourneyron. « Je n’ai sans doute pas la bonne réaction, je ne sais pas à ce moment là, si Gilles Artigues maîtrise cette communication ou s’il la subit. Ce que je voulais dire par là c’est que je ne connais pas la nature de cette vidéo et j’ai ces mots malheureux, oui, vulgaires, inadaptés. ».
« Un ami de 30 ans »
De la même façon, la nature exacte de son sentiment envers Gilles Artigues a fait l’objet de nombreuses questions. D’abord présenté comme un « ami de 30 ans », puis, lors d’écoutes, comme un traître se rapprochant de Laurent Wauquiez dans son dos, et enfin, comme faisant partie de ceux à qui profite l’affaire. A plusieurs reprises, le maire fera référence à une conversation WhatsApp réunissant Gilles Artigues, Denis Chambe et Lionel Boucher, et créée quelques jours après l’article de Mediapart. « Leur premier réflexe est de savoir comment on prépare la suite ». Questionné par l’avocat de la victime il assure n’avoir jamais été agressif par SMS avec son 1er adjoint. « Depuis trois jours on entend des extraits d’une violence inouïe dans lesquels il est insulté, menacé… et vous n’intervenez jamais », lui oppose l’avocat. Gaël Perdriau le répète, il s’est emporté contre Gilles Artigues à deux reprises, et que cela ne reflète en rien l’exacte nature de leur relation. Alors quid de la vidéo ?
Je considère que c’est un moment de leur vie privée
Gaël Perdriau
Gaël Perdriau déclare apprend son existence par son directeur de cabinet « fin 2015 – début 2016 », directement de la bouche de ce dernier, information confirmée par Samy Kéfi-Jérôme qui vient lui en faire part dans le courant de la même année, avant que Gilles Artigues, lui-même, se rende dans le bureau du maire pour lui en parler en 2016, sans que la date précise de cette dernière entrevue ne soit donnée. Par quiconque d’ailleurs. « Quand Samy Kéfi-Jérôme vient me voir, je prends acte de ce qu’il fait de certaines de ses soirées. Pour moi c’est un moment consenti entre lui, Gilles Artigues, et une tierce personne. Samy Kéfi-Jérôme apparaît dessus, donc je considère que c’est un moment de leur vie privée. J’étais gêné, je ne me voyais pas dire à mon 1er adjoint que je savais ».
Ses fonctions de maire, s’il avait été au courant d’un chantage, l’obligeraient à en informer le procureur de la République au titre de l’article 40. Le maire concède ne pas l’avoir fait pour ne pas rendre public quelque chose que Gilles Artigues souhaiterait garder confidentiel. « D’ailleurs, je ne suis pas le seul à avoir agi de la sorte. Son meilleur ami, Lionel Boucher, reconnaît dans les interrogatoires qu’il est au courant de l’existence de cette vidéo en 2018. Pour la même raison que moi, pour protéger Gilles Artigues ». Enfin, il dit apprendre les conditions d’utilisation et de réalisation de la vidéo, lors d’un échange vif avec Gilles Rossary Lenglet lors d’une représentation à la Comédie de Saint-Etienne, début 2022.
Poker menteur
Alors pourquoi, dans les enregistrements qui ont été diffusés ce matin, faire allusion à la vidéo directement à Gilles Artigues et le menaçant directement de la diffuser dans de petits cercles ? « Mes propos ? Je bluffais car je pensai qu’en face aussi, que l’on essayait de me faire dire que j’étais derrière, alors je suis rentré dans ce jeu mais c’est tout ». L’échange entre les deux hommes, et Pierre Gauttieri, est tendu dans cet enregistrement du printemps 2017. « Il m’accuse d’être à l’origine de cette vidéo. Pour moi, quand il vient me voir en 2016, il a inventé une vérité pour cacher son homosexualité qu’il n’assume pas, disant qu’il a été drogué, alcoolisé. A ces menaces de remettre un dossier au procureur de la République, et il bluffe à ce moment, je lui réponds exactement sur le même registre ». Dans un autre enregistrement, il se dit en possession d’une clé USB sur laquelle on voit ce qu’il y a à voir. « Je continue de bluffer en faisant référence à l’histoire que m’a racontée Pierre Gauttieri. Je sais que c’est par ce support que Samy Kéfi-Jérôme lui a montré ». Et le maire de lancer à la présidente et ses assesseurs : « vous allez me juger sur la base de deux enregistrements dont un n’est pas complet ne reflétant la réalité de nos relations pendant toutes ces années ». « Et sur les accusations des autres », lui opposera la présidente.
Pour l’accusation en la parole de Maître Buffard, le maire « s’adapte » perpétuellement dans un exercice de funambules aux éléments qui lui sont présentés. Pour étayer sa thèse, il réinterroge Gaël Perdriau afin de savoir à quel moment il apprendra le chantage. « Lors de la parution de l’article », répondra l’édile avant d’être immédiatement contredit par l’avocat qui lui rappelle la temporalité de ses déclarations. « Non, c’est vrai, je l’apprends à la Comédie »…. « Voilà, vous vous adaptez continuellement », conclut l’avocat. Plus tard, il questionnera : « Que pensez-vous que les Stéphanois vont penser des comptes-rendus qu’ils vont lire ? Que vous êtes victime d’un complot ? Comment imaginez-vous qu’ils n’auront pas un profond dégoût pour la classe politique ? » Gaël Perdiau assure ne pas partager la vision de Pierre Gauttieri de la politique, répétant la probité totale de son engagement. Des visions sur cette affaire, le tribunal n’en manque pas. D’ici quelques jours, il lui faudra mettre fin à ces années de trouble.
Financement du chantage : « Donc, tout le monde ment sauf vous ? »
C’est un des gros chapitres de l’affaire. Le plus gros, dans le sens des conséquences pénales : si Gilles Rossary-Lenglet a bel et bien reçu une somme de 40 000 euros (+ peut-être 10 000 en œuvres d’art, élément qui reste très confus malgré 3 jours d’échanges) par le biais de subventions municipales déguisées à des associations, alors il s’agit de détournement de fonds publics. Et la peine encourue est nettement supérieure à celle du chantage : jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. Le « plombier » autoproclamé de l’affaire assure donc avoir obtenu ces 40 000 euros par des fausses factures – certes mélangeant parfois des éléments vrais par « habillage »mais ne correspondant à aucun vrai travail à cette hauteur – faites aux associations France Lettonie (travaillant sur les relations entre Saint-Etienne et ce pays) pour son forfait commandé selon lui par Pierre Gauttieri et Gaël Perdriau. Le premier ne contredit pas. Le second très fermement, là aussi.
Le maire connaissait-il les deux couples respectivement à leur tête ? « Les Giacomel (France Lettonie), de nom. » Et les Buil côté Agap ? « Oui, je suis allé plusieurs fois dans leur galerie rue de la République, avec Gilles Artigues d’ailleurs. C’est un artiste que l’on apprécie (et à qui des commandes artistiques ont été passées, Ndlr). » Les échanges vont alors tourner autour du procédé qui permet d’obtenir une subvention via la « réserve du maire », sa justification. La réserve du maire – 100 000 à 300 000 euros de budget annuels selon les exercices sur 11 à 12 M€ de budget aux associations par an – sert à accorder une aide imprévue, soit parce qu’un adjoint au budget clos, le demande (et qu’on l’a sollicité), soit parce qu’une demande a été faite au maire par une association pour un projet. « Mais la réserve ne paie pas directement, elle transfère la somme accordée aux services concernés qui, eux, prennent alors la suite du processus, va marteler G. Perdriau. C’est systématiquement discuté avec les adjoints concernés avant de le faire. Ils ne peuvent qu’être au courant. Il y a de nombreuses étapes : conseil de majorité, commissions spécifiques, délibérations obligatoires en conseil municipal, contrôle de légalité à la préfecture et enfin, un trésorier payeur extérieur qui répond sur ses deniers, à lui, tout manquement. Ça ne peut pas être autrement. »
De la solidité du processus
Objectif : démontrer qu’il n’est pas le maître absolu des bourses et que des processus auraient alerté toute manipulation un moment ou l’autre. Le maire évoquera ce rapport de la chambre régionale des comptes du premier mandat ne signalant rien là-dessus puis ceux à répétition depuis l’affaire sans la moindre conclusion allant dans le sens des enquêteurs. La vitesse considérée inhabituelle par plusieurs témoins à laquelle cela a été pour l’une comme pour l’autre (deux mois et moins de deux mois) pourtant fraîchement arrivées sur la place ? Ou encore les forts montés donnés brusquement ? « Ça n’a rien d’exceptionnel », assure G. Perdriau, exemples comparatifs à l’appui dont la légalité n’est pas en cause, ni pour le montant, ni pour la rapidité. « Oui, je me suis replongé dans ces subventions dont je ne me souvenais pas : il y a 1 400 associations, ce n’est pas un village Saint-Etienne comme certains disent mais une grande ville avec un budget de 460 M€. Le projet de l’Agap on en a parlé des mois avant qu’elle lance pour cela sous nos conseils une association en mars 2015 : c’était cohérent avec notre politique. France Lettonie avait sollicité la municipalité Vincent qui était favorable mais c’étaient les élections, donc… Cela faisait sens car Riga était capitale de la culture européenne 2015 et présidait l’UE en 2014. Denis Chambe (feu, Ndlr) adjoint aux relations internationales les avait reçus après les élections 2014 et était favorable. »
Les résultats de ces projets alors même que Riga n’était capitale de la culture qu’en 2014 ? Alors même que l’histoire du projet de la Maison des consuls liés à France Lettonie évoquée la veille se perd dans tout ça ? Il était question d’une semaine de l’Europe : « Je ne peux pas me souvenir des dizaines et dizaines d’événements chaque semaine de Saint-Etienne. C’était il y a 10 ans ! Par contre, oui, le local de l’association Agap a ouvert effectivement. » Contre l’avis du service culture sur ce soutien d’ailleurs. Mais si le processus a été parfaitement respecté, si les adjoints concernés en ont forcément entendus parler, pourquoi Denis Chambe et même Marc Chassaubéné ont-ils donné une version différente dans l’enquête, remarque la présidente, l’un comme l’autre, à propos de ces subventions. Le premier était un bras droit UDI de Gilles Artigues, le second l’est encore pour G. Perdriau.
Ce dernier ne s’attarde pas sur l’adjoint à la culture mais sur Denis Chambe. Sans traiter le défunt de menteur, il assène qu’il est impossible qu’il n’ait pas été au courant et fait la relation avec la mobilisation par WhatsApp des élus UDI : des propos immédiats après une plainte déposée par Pierrick Courbon, opposant PS dont ils parlent. Plainte en, septembre 2022 sur une délibération de subventions « divers » de 20 000 euros suspectée d’être un véhicule du financement. G. Perdriau démonte techniquement l’idée, arguant que c’est une erreur, et que ce divers n’a rien à voir. Et sous entend qu’elle est calculée. « Donc, tout le monde ment sauf vous ? », en conclut la présidente d’audience.