Le troisième jour du procès pour meurtre de Cédric Jubillar s’ouvre sur un parallèle saisissant : dehors, un vent frisquet balaie les rues d’Albi dans le Tarn, tandis qu’à l’intérieur du tribunal, la tension et la température montent. L’audience entre enfin dans le vif du sujet : l’enquête qui a mené à ce procès aux assises. Mardi après-midi et mercredi, la cour a auditionné tout d’abord les gendarmes dits primo-intervenants – Fanny L., Sophie F – et leur supérieur Sébastien E. Ils ont raconté les premières constatations dans cette maison inachevée de Cagnac-les-Mines : Cédric alternant calme et stress, les enfants endormis, le véhicule de Delphine garé en descente – un indice clé pour l’accusation, suggérant un déplacement nocturne. Mais la défense, menée par Me Emmanuelle Franck et Me Alexandre Martin, démonte ce récit point par point. Et ce, pendant deux jours.

« Vous ne pensez qu’à [Cédric] »

Où est passé le « petit fourgon blanc » garé devant le domicile ? « Ni vous, ni votre collègue, cela ne vous semble intéressant de mentionner ces deux éléments hyper importants devant la cour », lance Me Franck, évoquant aussi l’omission du témoignage de la meilleure amie de Delphine, qui a affirmé qu’il lui arrivait « de se balader régulièrement à pied la nuit ». Un fait contredisant la thèse d’une femme effrayée par l’obscurité, jamais sortie seule. « Êtes-vous briefées avant de venir devant nous ? », insinue l’avocate, sous-entendant une préparation orientée. Les gendarmes réfutent, évoquant des formations générales de la gendarmerie pour les assises. Thierry D., major de la brigade de Cagnac, est à son tour épinglé : « Les premiers actes que vous allez mener sont des actes à l’encontre de Cédric Jubillar, vous ne pensez qu’à lui », reproche Me Martin. « Je n’ai pas dit ça », rétorque l’officier. « Aucune piste, par expérience, ne peut être écartée et bien entendu la famille est dans le noyau des personnes qui peuvent être à l’origine de la disparition. »

« Vous ne demandez rien, vous ne faites rien »

Puis Jérôme G., de la section de recherches de Toulouse, et Bernard L., le directeur d’enquête, arrivent à la barre. Là, c’est du lourd : des mois de battues géantes, perquisitions, fouilles dans les bois environnants – un « gros boulot », avec des moyens massifs déployés dès l’aube du 16 décembre 2020. Mais la défense y voit un gâchis : recherches « pour rien », Cédric dans le viseur « trop vite ». L’interrogatoire de Bernard L. par les avocats de la défense dure trois heures. Impitoyable, Me Franck le presse sur les détails : pourquoi n’avoir pas poussé les auditions de certains témoins ? Pourquoi ignorer les vérifications sur des pistes alternatives, comme des tests ADN sur d’autres hommes ? Pourquoi ne pas évoquer que Cédric se préparait à ce divorce ? Le directeur en difficulté est incapable de répondre précisément. Ce dernier avait pourtant conclu l’audition sur son enquête clairement : « [Cédric] avait la motivation, un mobile et l’opportunité ».

« Vous nous racontez une histoire mais vous n’en savez rien », assène Me Franck. « Vous ne demandez rien, vous ne faites rien », ajoute-t-elle, après avoir listé des manquements flagrants : auditions bâclées, vérifications omises, ADN non testés. Bernard L. marmonne, déstabilisé par ces attaques. La joute verbale s’amplifie alors entre défense et parties civiles ; en fin de journée, mercredi, Me Franck s’énerve ouvertement, le ton monte, les accusations fusent – un climat électrique qui souligne les failles d’une enquête jugée « exclusivement orientée » vers l’accusé. La stratégie paie : en discréditant ces bases, la défense vise à saper tout le dossier.

La piste du chemin de Pignès remise sur la table

La défense ne s’arrête pas là : elle rouvre des voies alternatives, ces « dilutions et diversions » dénoncées par Me Laurent de Caunes, avocat du frère de Delphine, comme une perte de temps. Focus sur le chemin de Pignès, ce sentier isolé près de Cagnac. Olivier L., chauffeur de taxi, témoigne en premier : à l’aube du 16 décembre, dans la brume épaisse, il roule à 60 km/h et aperçoit « une silhouette en doudoune beige marchant sur le côté droit, en direction de Gaillac », un « petit gabarit » – mais impossible d’affirmer s’il s’agit d’une femme. Les gendarmes, eux, ne s’emballent pas : piste tiède, trop vague pour enflammer l’enquête.

Vient ensuite Jérôme V., un automobiliste se rendant au travail, qui dit avoir vu une voiture stationnée sur ce chemin, plafonnier allumé – détail corroboré par sa collègue Deborah D., qui confirme avoir vu un véhicule suspect en allant au boulot. Là encore, les enquêteurs haussent les épaules : une ombre dans la nuit. La défense y voit un scandale : pourquoi n’avoir pas fouillé plus ? Ces témoignages, entendus ce mercredi, ravivent le doute sur une Delphine partie volontairement, en balade nocturne ou pour rendez-vous secret. Mais l’accusation balaie : recherches exhaustives menées, sans résultat concret. Cédric Jubillar, dans son box, semble au fur et à mesure des interventions de ses avocats plus détendu.

Un unique témoignage qui laisse muet la défense

Jusqu’à l’arrivée de la commandante Sophie L. Cette enquêtrice chevronnée tue dans l’œuf les critiques d’une enquête bâclée. D’une voix posée, elle détaille les protocoles : « Aucune piste n’a été écartée », martèle-t-elle, du suicide à la disparition volontaire ou l’enlèvement, expliquant les vérifications croisées, les battues systématiques, les analyses ADN poussées. Le travail titanesque des équipes d’investigation émerge : des milliers d’heures, des experts mobilisés, un dossier béton malgré les zones d’ombre. Pour la première fois depuis l’ouverture du procès, la défense reste muette – pas une question.

Notre dossier sur l’affaire Jubillar

Ce portrait nuancé d’une enquête colossale, imparfaite mais rigoureuse, laisse la cour face à son mystère : Delphine, l’infirmière timide et dévouée, disparue sans trace. L’audience du jour, entre omissions et rebondissements, n’a rien perdu de son épaisseur. Verdict attendu le 17 octobre.