« Je revois les mêmes visages et les mêmes journalistes qu’il y a un an », soupire l’un des avocats. En septembre 2024, la préfecture avait déjà tenté de faire fermer la mosquée des Bleuets pour « provocation à la haine, à la violence et à la discrimination », avant d’y renoncer trois semaines de tempête médiatique plus tard. Depuis jeudi dernier, l’histoire semble bégayer, avec la réception d’un nouveau courrier préfectoral (une notification d’engagement de procédure contradictoire en vue d’une fermeture administrative) qui laisse dix jours à l’équipe des Bleuets pour se mettre en conformité. Mais si l’an dernier le religieux et ses avocats s’étaient « montrés ouverts au dialogue ou à une mise en retrait de l’imam », la conférence de presse qui se tenait hier dans le lieu de culte du 13e arrondissement était le point de départ d' »un bras de fer ».
« Un acharnement politique »
Devant des fidèles mais aussi quelques élus de gauche (notamment le député LFI Sébastien Delogu et la conseillère municipale EELV Nouriati Djambae) et des militants antiracistes, l’imam Smaïn Bendjilali et ses conseils ont dénoncé « un acharnement politique » et ont dit « avoir les outils juridiques et intellectuels » pour contredire la décision du préfet.
Car pour les avocats, le courrier préfectoral « repose sur pas grand-chose ». « Il n’y a rien sur des propos tenus dans cette mosquée. 98% de ce qui est notifié relève de publications sur les réseaux sociaux, datant de plus d’un an, énumère Me Guez Guez, avocat de l’association. Il est également reproché des citations du prophète contenues dans un livre offert aux fidèles. Des textes par nature polysémiques, et dont le préfet fait une interprétation extrême, ce que ne fait pas l’imam. Si des choses sont répréhensibles par la loi, que le préfet les signale aux juges. Mais nous ne sommes pas là pour avoir des conversations théologiques avec le représentant de l’État. »
« Les musulmans ont le droit à la critique, à l’indignation »
L’imam rappelle « avoir obtenu son diplôme de laïcité » et se dit « prêt à cette nouvelle épreuve ». « On ne peut pas punir tous les fidèles et fermer un lieu qui rassemble tous les habitants du quartier, musulmans ou pas, pour des motifs bassement politiques, argue-t-il. Malgré les réquisitions du procureur, le juge m’a autorisé à animer les prêches (Smaïn Bendjilali a été condamné en première instance pour « apologie du terrorisme », en mai dernier, décision dont il a fait appel, NDLR) et j’aimerais donc que le préfet respecte l’état de droit. »
Devant des fidèles mais aussi quelques élus de gauche (notamment le député LFI Sébastien Delogu et la conseillère municipale EELV Nouriati Djambae) et des militants antiracistes, l’imam Smaïn Bendjilali et ses conseils ont dénoncé « un acharnement… / Photo Gilles Bader
Pour ses avocats, comme pour l’imam, la décision préfectorale est une « mission », commandée par le ministère de l’Intérieur. « L’imam a questionné une certaine ‘islamophobie institutionnelle’ ou a témoigné son soutien au peuple palestinien face au régime colonial israélien, reprend Me Chekkat. Il a simplement exprimé sa liberté d’expression. Les musulmans ont le droit à la critique, à l’indignation… On ne demande pas de traitement de faveur mais le droit à s’exprimer. Un musulman modéré ne peut pas être synonyme de musulman domestiqué. »
La procédure contradictoire prendra fin le 28 septembre. Le préfet pourra alors ordonner une fermeture temporaire (pour deux mois) par arrêté. Un acte qui fera « immédiatement l’objet d’un référé-liberté devant le tribunal administratif », promettent les trois avocats, qui représenteront alors l’imam, l’association et les fidèles. « Nous nous battrons contre cette décision, l’accepter serait accepter que l’opprobre soit définitivement jetée sur la mosquée des Bleuets, boucle Me Guez Guez. Nous avons cru que cette année était celle de l’apaisement et nous n’accepterons pas cette punition collective. »
Si elle a bien confirmé la procédure en cours, la préfecture n’a pas souhaité, pour l’heure, évoquer les raisons précises qui la motivent.