En préambule de son réquisitoire, en avril, le procureur national financier tançait un «pacte de corruption faustien avec un des dictateurs les plus infréquentables de ces trente dernières années». Et, en épilogue, dénonçait le «tableau très sombre d’une partie de notre République». Principal prévenu de ce procès historique, dont les audiences se sont déroulées de janvier à avril, l’ancien président Nicolas Sarkozy a clamé jour après jour son innocence face aux questions piquantes des magistrats. La décision du tribunal correctionnel de Paris est attendue ce jeudi 25 septembre. Rappel des charges qui pèsent contre les douze prévenus et des peines requises par le ministère public.
L’ancien chef de l’Etat a été le personnage principal de ce procès hors norme. Par son statut, bien sûr, par sa verve, sans doute, mais surtout parce qu’il est suspecté d’être le principal bénéficiaire d’un pacte corruptif scellé pour trouver des fonds occultes pour sa campagne présidentielle de 2007. La figure tutélaire de la droite française, dont l’influence est toujours majeure à 70 ans, déjà condamné définitivement à un an de prison dans le dossier dit «Bismuth», encourt dans cette affaire une peine de dix ans de prison. Au cours du procès, toujours animé d’une énergie débordante, Nicolas Sarkozy, a clamé son innocence. La minutieuse exploration des flux financiers a ébranlé sa défense. L’ancien chef de l’Etat a aussi assisté, impuissant, au naufrage de Claude Guéant et Brice Hortefeux. Le PNF, convaincu du rôle majeur de Nicolas Sarkozy dans cette affaire, a requis la peine la plus lourde à son encontre : sept ans de prison, une amende de 300 000 euros, cinq ans d’inéligibilité, d’interdiction des droits civiques et d’exercer une fonction juridictionnelle.
Pour Claude Guéant, «haut fonctionnaire, à la carrière préfectorale en apparence exemplaire» dixit le Parquet national financier, l’audience aura été un long, très long calvaire. Le plus proche de Nicolas Sarkozy, qui encourt une peine de dix ans de prison, a traversé le procès dans la souffrance. Affaibli par ses 80 ans et la maladie, l’ancien secrétaire général de l’Elysée était astreint à des interrogatoires limités à une heure qu’il effectuait sur une chaise, le micro plié vers lui. Celui qui a également été ministre de l’Intérieur s’est empêtré dans de ridicules explications pour expliquer sa rencontre secrète – qu’il dit fortuite – avec Abdallah Senoussi, considéré comme le numéro 2 du régime à l’époque et visé par un mandat d’arrêt après sa condamnation à la perpétuité pour son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA. Et contrairement à Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, Claude Guéant a dû également affronter les questions des magistrats sur un possible enrichissement personnel par des fonds libyens. Le PNF a requis à son encontre six ans de prison, une amende de 100 000 euros, la confiscation de l’appartement dont l’accusation estime qu’il a été acquis grâce à 500 000 euros d’argent libyen, et cinq ans d’interdiction des droits civiques et d’inéligibilité.
Ce qui vaut à Brice Hortefeux de comparaître devant la justice et d’encourir une peine de dix ans de prison s’est déroulé en quelques heures, un jour de décembre 2005. L’accusation suspecte l’ancien ministre de l’Intérieur, ami le plus intime de Nicolas Sarkozy, d’avoir scellé le pacte corruptif avec le régime libyen lors d’une rencontre – qu’il dit lui aussi fortuite – avec Abdallah Senoussi, à Tripoli. Tout comme Claude Guéant, Brice Hortefeux s’est englué dans de farfelues explications pour justifier cette entrevue. Le PNF a requis à son encontre trois ans de prison, une amende de 150 000 euros et cinq ans d’interdiction des droits civiques et d’inéligibilité.
Cet ancien «bad boy» de Sarcelles est devenu avec les années un proche de Nicolas Sarkozy, qu’il tutoie, et de l’argentier du régime de Kadhafi, Bechir Saleh, dont il a aidé l’exfiltration de France, probablement pour le soustraire à la justice. Il est suspecté d’avoir joué un rôle actif dans la redistribution de fonds libyens, notamment au profit de Claude Guéant. S’il risque théoriquement dix ans de prison, le PNF a requis cinq ans de détention, quatre millions d’euros d’amende et une interdiction de gérer pendant cinq ans.
Il est l’un des grands absents de ce procès. Béchir Saleh, ancien directeur de cabinet de Muammar al-Kadhafi, est suspecté d’avoir supervisé les transferts de fonds libyens. Son exfiltration précipitée de France en 2012, quelques jours après la publication par Mediapart d’une note évoquant son rôle dans le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, a été explorée par le tribunal. Il encourt une peine de dix ans de prison. Le ministère public a requis une peine de six ans de prison et une amende de quatre millions d’euros.
Natif de Djibouti, banquier retraité particulièrement proche d’Alexandre Djouhri, est l’un des hommes clés de l’affaire. Nacer est soupçonné d’avoir agi pour le compte de ce dernier, afin d’opacifier certains paiements sur lesquels il avait la main grâce à des flux détournés de comptes de milliardaires saoudiens, les Bugshan. Il aurait été ainsi l’une des petites mains dans le cadre des financements effectués par Djouhri. L’accusation a requis contre lui quatre ans de prison et un million d’euros d’amende.
L’ancien ministre du Budget, actuel député de l’Oise, était poursuivi pour complicité de financement de campagne électorale et risquait une peine minime par rapport aux autres prévenus. En 2007, c’est lui qui présidait l’Association de financement de Nicolas Sarkozy. En cause, la distribution aux équipes de primes en liquide, pour 35 000 euros, à la fin de la campagne. Des fonds non déclarés dans les comptes de campagne. L’argent provenait selon lui de dons anonymes envoyés par la Poste. Le PNF, qui ne l’a pas cru, a requis un an de prison contre lui et 3 750 euros d’amende.
Ancien dirigeant d’EADS, il est mis en cause pour la vente, en 2006, de douze avions Airbus à la Libye. C’est le versement au passage d’une commission de deux millions d’euros à l’intermédiaire Alexandre Djouhri qui est en cause. Outre l’association de malfaiteurs, il est poursuivi pour corruption d’agent public étranger. L’accusation a réclamé à son encontre trois ans de prison dont deux avec sursis et 375 000 euros d’amende.
Les nombreux comptes bancaires de ces deux cousins, riches hommes d’affaires saoudiens, ont servi à surpayer la villa de Mougins d’Alexandre Djouhri en mars 2008 (pour Ahmed) et les tableaux flamands de Claude Guéant en 2009 (pour Khalid). Mais les fonds seraient d’origine libyenne, ne faisant que transiter par eux. Trois ans de prison dont un avec sursis et quatre millions d’euros d’amende ont été requis contre Khalid Bugshan, et deux ans de prison dont un avec sursis et quatre millions d’euros d’amende contre Ahmed Salem Bugshan.
Ancien proche collaborateur de Nicolas Sarkozy à Neuilly et à Bercy, reconverti banquier au sein des Caisses d’Epargne, il est poursuivi pour avoir reçu, en février 2006, 440 000 euros de Ziad Takieddine, qui venait lui-même d’être arrosé par des fonds libyens. Pour financer une villa en Colombie, a plaidé celui qui a été condamné dans l’affaire Karachi. Le PNF a requis trois ans de prison, 150 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité.
Ses déclarations ont varié, mais pas ses écrits et ses archives exploitées pendant l’enquête et longuement évoquées lors du procès. Décédé mardi 23 septembre, deux jours avant le délibéré de l’affaire, l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, intermédiaire dans de gros contrats d’armement et proche de la droite, avait été jugé par défaut pour avoir été l’un des pivots du financement libyen, notamment par sa proximité avec l’ex-chef des services secrets de Tripoli. Le tribunal devrait constater l’extinction des poursuites à son encontre.