ENTRETIEN – Il a souvent rencontré Elizabeth II, mais aussi le prince Charles. Il a dîné à leur table, et partagé moult de leurs déplacements. Marc Roche publie ses souvenirs dans son dernier ouvrage, Ma vie chez les Windsor.

Il est le seul journaliste d’un média français à avoir eu accès aux Windsor d’aussi près si souvent. Et pour cause, il est le seul, en tant que correspondant du Monde à l’époque, à avoir fait partie du «Royal Rota», ce groupe très privilégié de chroniqueurs officiellement accrédités au Palais. «À l’image d’un anthropologue, j’ai décrit la tribu la plus mystérieuse du monde telle que je l’ai découverte de l’intérieur, dans son milieu, en vase clos», écrit-il en prologue de son nouvel ouvrage Ma vie chez les Windsor (Éd. Albin Michel). Ceci expliquant cela, Marc Roche vit à Londres depuis quarante ans. À 74 ans, il livre pour la première fois «les derniers secrets de Buckingham» (le sous-titre du livre). Pour décrire en deux mots les membres de cette famille si vénérée, il reprend volontiers les mots du duc de Windsor, l’ex-Edward VIII, à propos des siens : «Ils sont froids».

Madame Figaro .- Au fil des pages de votre livre, vous utilisez beaucoup le mot «clan» pour parler des membres de la famille royale, tant ils sont difficiles à saisir. Pourtant, vous écrivez aussi que la maladie, son cancer, a humanisé le roi Charles III. Dans quelle mesure ?
Marc Roche.- Deux choses l’ont humanisé, Camilla et sa maladie. D’une certaine manière, le cancer, une maladie qui concerne tout le monde, l’a rendu plus abordable pour le public. Il fait désormais des bains de foule. Il parle aux gens sans avoir été présenté ; il est moins attaché au protocole, il se laisse toucher, ce qui était jusque-là impensable. Lors de sa visite d’État à Windsor, Trump l’a touché et on imagine le scandale s’il avait fait ça à Elizabeth II ! Mais Charles aime ça, il cherche même le contact avec le public désormais, notamment parce qu’il a été, je crois, profondément ému par la vague de soutien reçue de la part de l’opinion publique, ces milliers de cartes d’enfants et de gens qui souffrent également du cancer.


Passer la publicité

Que fait-il mieux que sa mère avant lui, concrètement ?
Là où Elizabeth II a reçu une éducation sommaire par des précepteurs, Charles, lui, est allé à l’université. Il a une profonde culture générale, artistique, musicale, et il est plus à même de comprendre la géopolitique, tout en n’intervenant pas. Il est très clair qu’il a des centres d’intérêt plus novateurs que sa mère, qui aimait les chevaux, les chiens, la vie de campagne. C’était vraiment une rurale dans l’âme ! Lui est très urbain en fait. On le voit dans le choix de ses organisations philanthropiques, on le voit dans le choix de ses invités lors des réceptions. Il est plus cosmopolite. Il est en fait moins «anglais» que sa mère, bien qu’il reste très «establishment».

Charles et William ne s’entendent pas très bien, ils se détestent à la limite

Marc Roche

Vous évoquez au fil des pages la complicité palpable entre le roi Charles III et Kate Middleton, et notamment l’admiration qu’il a pour Kate, «la fille qu’il aurait voulu avoir». D’où vient cette entente ?
Cette complicité est née sur le tard, je dirais, parce que quand Kate était surnommée «Waity Katie» (elle a attendu dix ans que William la demande en mariage, NDLR), il ne s’intéressait pas vraiment à elle. Il y a selon moi deux raisons à leur rapprochement. La première, c’est le cancer, l’expérience similaire. Cancer dont on ne connaît toujours pas ni la gravité, ni la nature. Mais il y a aussi quelque chose de plus régalien, et à la limite d’un peu machiavélique : Charles vit très mal les tentatives de William de se forger son propre rôle profitant du fait qu’il ne peut plus rien dire en tant que souverain pour s’étendre sur certains de ses sujets préférés, à savoir l’écologie, la lutte contre le racisme, l’aide aux démunis… . Il a sans doute oublié que lui avait fait la même chose sous Elizabeth II, et que, de tout temps, les relations entre souverain et héritier au trône ont toujours été impossibles. Ainsi, Charles et William ne s’entendent pas très bien, ils se détestent à la limite. Et en se rapprochant de Kate, Charles crée en fait un contre-pouvoir face à William et ce qu’il perçoit comme ses tentatives d’être un Brutus, sorte de régent profitant un peu de la maladie du souverain.

Ma vie chez les Windsor, de Marc Roche, publié en septembre 2025 aux éditions Albin Michel.
Albin Michel

William n’attend-il qu’une chose, monter sur le trône ?
William a quand même tiré les leçons d’Elizabeth II et son règne de soixante-dix ans : il sait qu’il doit attendre. Il sait aussi que son père n’abdiquera jamais, au vu du précédent d’Edward VIII qui a traumatisé à jamais les Windsor. Cela dit, entre-temps, il doit se forger, comme son père l’a fait, un rôle. Mais à l’inverse de Charles qui se dispersait, patronnait des centaines d’organisations caritatives, parlait souvent à tort et à travers, William, lui, est un personnage que je qualifierais de cartésien, froid, qui concentre toute son attention sur «seulement» trente-quatre organisations caritatives.

Vous qualifiez William de «froid» et «cartésien», mais vous affirmez aussi qu’il est beaucoup plus «cool», plus détendu que son père dans sa vie publique…
C’est une question de génération. Charles a été très marqué par l’éducation qu’il a reçue, très marqué par la cour d’Élisabeth II qui était très rigide et par l’establishment blanc anglo-saxon protestant. William a tenté de prendre ses distances, du moins dans sa vie publique. Sa cour est beaucoup plus métissée, beaucoup plus féminine. L’organisation est beaucoup plus horizontale que dans la cour de Charles, et cela tient surtout à sa personnalité plus relax, sans doute sous l’influence de Kate. Il est également moins attaché au protocole, il se fait appeler par son prénom par exemple. Il fait ses valises lui-même. Dans sa vie personnelle, en revanche, il est resté sur les piliers anciens : tout son environnement est aristocrate, comme sous Elizabeth II, comme sous Charles III…

Pourquoi rien n’a changé de ce côté-là ?
Ce serait demander l’impossible. Il est allé dans les écoles privées les plus huppées, à Eton – on ne fait pas mieux dans le genre pensionnat de l’aristocratie. Il est ensuite parti étudier à l’université de Saint Andrews, qui est l’équivalent d’Oxford et Cambridge, mais qui accueille historiquement énormément d’enfants de la noblesse et de la très haute bourgeoisie. Tout ce qu’il connaît de non aristocrate, en réalité, ce sont des amis de Kate. Bien qu’elle-même ait fréquenté un très bon pensionnat féminin, Marlborough College…. Donc il ne peut pas s’échapper de ce réseau social, à l’inverse de Harry qui a pu le quitter grâce à Meghan.

William, lui, est un personnage que je qualifierais de cartésien, froid

Marc Roche


Passer la publicité

Charles a tout de même modernisé les couloirs de Buckingham en nommant l’ex-directeur adjoint de la rédaction du Daily Mail à la tête de la communication de Buckingham Palace en 2022. Comment l’expliquer ?
C’est une longue histoire qui commence au début des années 2000, au moment où Camilla est exaspérée par les attaques du Daily Mail, premier tabloïd britannique, qui la traitent de briseuse de ménage, d’usurpatrice, et la critiquent physiquement. Au Royaume-Uni, il y a ce fameux dicton qui dit «If you can’t beat them, join them» («Si tu ne peux pas les battre, rejoins-les», NDLR). Camilla l’a fait sien. L’avantage, c’est qu’avec Charles, ils connaissent dans leur vie mondaine Lord Rothermere, le propriétaire du tabloïd. Ils lui demandent alors de faire cesser les attaques, et il ordonne illico au Daily Mail de mettre la sourdine. En 2022, lorsqu’est venu le temps de changer de directeur de la communication, c’est elle qui a eu cette idée géniale d’embaucher Tobyn Andreae, le directeur adjoint de la rédaction du Mail. Depuis, il favorise clairement son ancien journal dans la diffusion des informations sur la famille royale, et le quotidien britannique est devenu le journal de référence sur les Windsor, mais aussi le mieux informé. Vous ne trouverez aucune critique, évidemment, tout ce qu’ils écrivent sur les royals est aujourd’hui dithyrambique.

Dans le livre, vous revenez sur un épisode un peu scandaleux de la vie de Charles. Dans les années 80, il se serait dangereusement rapproché de Laurens Van Der Post, un «écrivain-philosophe-aventurier», sorte de gourou controversé…
Dans les années 70, début des années 80, Charles se cherche. Il sent bien qu’il ne va pas monter sur le trône rapidement, il s’interroge sur sa place et son destin, et il rencontre ce «philosophe», Laurens Van der Post, dont la philosophie, si je me souviens, est très zen : les grands espaces sauvages, le Kalahari, les peuples premiers… Et Charles, qui est un personnage qui a toujours été très influençable, qui n’a pas de conviction très ancrée à l’époque, va être ébloui par Van der Post, qui lui promet de l’aider à trouver la paix intérieure. C’est un charlatan, mais on ne le saura que plus tard, puisqu’il sera anobli à la demande du prince héritier, et deviendra même le parrain du prince William, contre l’avis de Diana. Je dis charlatan car il n’a jamais fait les études psychologiques qu’il prétend, n’a jamais été un ami de Carl Gustav Jung, n’a pas été prisonnier de guerre, comme il le dit, dans un camp de japonais. Il a aussi menti sur son expérience dans les tribus du désert du Kalahari, et il s’est révélé être un pédophile en se mettant en couple avec une jeune fille de 14 ans. Quand Charles a été mis au courant, sur le tard, il a laissé tomber Van der Post. Mais il a longtemps gardé une étiquette d’«excentrique», ce qui n’est pas un compliment chez les Britanniques.

Pour continuer à ne pas les complimenter, on a souvent dit que la famille royale était pingre. Vous le développez d’ailleurs dans un chapitre de votre ouvrage. Quel est le rapport des Windsor à l’argent ?
Traditionnellement, la famille royale est avare alors qu’elle est riche. On ne parle pas d’une fortune comparable aux pétromonarchies du Golfe ou à la dynastie néerlandaise qui possède Shell et Unilever. Mais ils sont très riches comparés aux familles belge et scandinaves. Et à la fois, ils ne dépensent pas concrètement d’argent. Elizabeth II n’avait pas de chéquier ni de carte de crédit, et n’avait jamais un sou sur elle. Charles III, lui, connaît vraiment très bien les rudiments de la vie des affaires. Il a créé Dutchy Originals (sa marque de produits alimentaires bio fondée au début des années 1990, NDLR), qui est toujours un grand succès. Si la reine Elizabeth avait cinq châteaux, il en a onze. Elle avait 300 millions de livres de fortune privée. Lui en a près de 700 millions. Sa mère avait des goûts petits-bourgeois, lui a vraiment des goûts aristocratiques et reçoit de manière très riche.

Elizabeth II avait 300 millions de livres de fortune privée. Charles III en a près de 700 millions.

Marc Roche

On est en 2025, et pourtant rien ne filtre sur la vie privée, familiale, conjugale et/ou amicale de Kate et William. Sont-ils vraiment intouchables ?
Kate et William ne connaissent aucun journaliste, ils organisent leur propre couverture médiatique via le visuel. On l’a vu lors de leurs photos de famille, elles ne sont pas prises par des membres du Royal Rota comme c’était toujours le cas. Les vidéos autour du cancer de Kate, autant l’annonce et la fin du traitement, ont été réalisées en interne. Ils n’ont jamais donné d’interview à des journalistes, si ce n’est des documentaires à la gloire d’Élisabeth II, de la princesse Anne ou de Camilla. Le palais, leur organisation de presse est rudimentaire. Quand ils répondent aux journalistes, c’est pour dire «circulez, il n’y a rien à voir». La principale raison à cela, c’est la haine que portent William et Kate pour les médias. William les tient pour responsables du décès de sa mère. Kate ne s’est jamais remise de l’incroyable traque médiatique dont elle a été l’objet lorsqu’elle n’était que la «petite amie» du prince William – dix ans qui ont été très durs pour elle. Et puis Buckingham ne leur impose rien, en réalité. La seule obligation qu’ils ont, c’est d’être là et souriant quand on leur demande, lors des banquets, des services religieux, des grands événements royaux comme Trooping the Colour, etc.

Peut-on imaginer lire une interview de Kate Middleton un jour ?
Elizabeth II elle-même n’a jamais donné d’interview, le prince Charles en a donné très peu. Il va faire l’introduction d’un livre, il va parler dans un documentaire sur un sujet qui lui tient à cœur comme l’écologie, mais rien de plus. Ce serait merveilleux d’avoir une interview de Kate, mais personne ne l’aura jamais. Même si elle le souhaitait, elle est la future reine, et le palais mettrait son véto.


Passer la publicité

Vous écrivez que William et Kate roulent en tandem jusqu’à la symbiose, que William ne manque jamais de mentionner son épouse, la cherche tout le temps du regard. C’est assez inattendu…
Ça rend William très attachant de savoir qu’il demande vingt fois par jour «où est ma femme ?». Et en même temps ça montre qu’il dépend énormément de Kate, ce qui n’est pas du tout la culture Windsor où l’homme et la femme ont des vies séparées la plupart du temps. Ce qui est d’ailleurs typique des couples aristocrates : chacun ses activités la semaine, et les retrouvailles le week-end. Or Kate et William forment un couple fusionnel, les décisions sont prises en commun, ils roulent en tandem ; ce qu’on ne sait pas en revanche, c’est quel est le rôle de Kate. Ce qui est certain, c’est qu’il ne choisit pas ses collaborateurs sans passer par elle. Kate est une main de fer dans un gant de velours. C’est une femme forte, femme solide, qui sait ce qu’elle veut et qui est passée maîtresse dans l’art d’excommunier les amies qui côtoient William d’un peu trop près ou lui font de l’ombre au niveau de la mode. Donc c’est le pouvoir derrière l’héritier au trône.

Que penser de la situation d’Harry ? Peut-il revenir un jour ?
La seule manière pour Harry de revenir par la grande porte, c’est de divorcer de Meghan. Dans ce cas-là, l’opinion l’accueillera les bras ouverts, sa famille peut-être pas. Ses critiques envers Kate dans son autobiographie Le Suppléant ont fortement heurté William. Et en même temps, que gagnerait Harry à revenir ? Supposons qu’il rentre après un divorce, il restera un membre secondaire de la famille royale. Il ne fait plus partie du cercle dur, réservé à Charles, Camilla, William, Kate et leurs enfants. Il sera relégué à un rang qui n’aura rien à voir avec ce qu’il a connu, notamment au niveau des responsabilités philanthropiques et militaires. Réfléchissons-y, il s’est recréé une personnalité d’humanitaire dans la guérison des grands blessés de guerre, il y a la guerre partout aujourd’hui, c’est un secteur porteur et en plus on a vu le triomphe de sa tournée en Ukraine récemment où il a promis son aide dans le rétablissement et la réhabilitation des soldats grièvement blessés. Donc il a un rôle humanitaire. Il est riche de par son autobiographie qui est un best-seller planétaire. Il est aussi riche grâce aux héritages de sa mère, de sa grand-mère et de son arrière-grand-mère. Il n’a plus besoin d’argent. Il a l’indépendance financière qu’il souhaitait. Donc il a tout intérêt à rester aux États-Unis, avec ou sans Meghan.