Par

Antoine Blanchet

Publié le

25 sept. 2025 à 20h02

« Si ma mère avait été là, elle n’aurait pas voulu que ses agresseurs soient condamnés. Elle aurait voulu voir s’ils avaient une prise de conscience ». À la barre de la 23ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris, l’homme entre deux âges se fait l’écho de ce qu’était Huguette*, décédée en novembre dernier. Toute sa vie, elle a milité pour de nombreuses causes, allant de l’avortement à l’euthanasie. « Elle croyait foncièrement en l’être humain. Lors de son agression, elle a prié pour eux », relate son fils en évoquant les deux hommes jugés ce jeudi 25 septembre 2025 pour avoir détroussé la vieille dame alors âgée de 88 ans. L’un est dans le box. L’autre sur le banc des prévenus. Tous deux regardent le sol. Ce « pognon sur patte », comme le décrira plus tard le procureur, s’est soudain changé en être humain.

Un Tour de France du vol

Il faut dire que Michel Z., 33 ans, et Morlissa D., 23 ans, se sont rendus spécialistes de l’arnaque au sein du troisième âge. Leurs cibles : des femmes très âgées (la doyenne des victimes a 97 ans). Leur méthode : repérer les plus diminuées et les suivre jusqu’à leur domicile. Arrivés à l’appartement, ils expliquent à la vieille dame être des plombiers envoyés par le syndic pour réparer la robinetterie.

Les victimes ouvrent alors leur porte. L’un des plombiers discute avec elles. Son comparse va s’occuper du lavabo. En réalité, il ne répare pas. Il farfouille. Il prend les billets et les bijoux. Souvent le souvenir d’une vie passée, comme ces alliances datant de 1905. Ils étaient la dernière relique des parents d’une des parties civiles.

« Pense à tes enfants et à tes petits enfants »

Une fois « l’intervention » terminée, ils demandent à la vieille dame de payer une petite somme par carte bleue. Un TPE est présenté. Il s’agit en réalité d’un simple téléphone dont la coque de protection a été à moitié retirée. La victime insère la carte dans la fente, mais ne la revoit jamais. Le code est tapé sur l’écran d’appel du téléphone, ce qui permet au duo de le conserver. Les deux plombiers se font la malle et retirent un maximum d’argent au distributeur.

Il arrive aussi que la violence fasse irruption dans la magouille. C’est ce qu’il s’est passé à Lyon avec Huguette. La présence d’un coffre-fort dans son appartement semble créer un pic d’adrénaline chez les deux escrocs. L’un d’eux la tient par le cou et la pousse contre le mur. « Pense à tes enfants et tes petits enfants », lui dit-il. La victime donne la combinaison puis parvient à s’enfuir chez une voisine.

Entre novembre 2023 et février 2024, le tandem d’aigrefins a parcouru la France. Au total : 13 victimes (et une quatorzième pour Morlissa D). C’est au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) que l’itinérance délictuelle prend fin. Après une plainte de la victime, les policiers parisiens parviennent à identifier les lignes téléphoniques des deux hommes. Ils les recoupent et constatent qu’elles ont borné dans plusieurs lieux en France où les vols ont été commis. Les deux hommes sont interpellés. Morlissa D. se met tout de suite à table. Michel Z. fera un temps la fine bouche, mais reconnaîtra finalement les faits devant les enquêteurs. Le montant du préjudice : 13 000 euros.

« J’étais sous son emprise »

Ce mercredi, devant les juges, les deux jeunes hommes originaires de Marseille ne renient pas leur culpabilité. Cependant, si les dés sont jetés, les prévenus se démènent pour limiter la casse. Tous deux s’accusent d’être le marionnettiste de l’autre. « J’avais une dette auprès de gars à La Castellane. J’ai reçu des menaces. On m’a forcé à commettre ses vols », assure Michel Z.. Il affirme que la technique du faux plombier est un tuyau appris auprès d’un ami voleur. Quant à son comparse, un ancien ami, il était présent pour le surveiller et le pousser à commettre d’autres méfaits.

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Morlissa D. dément avoir joué les superviseurs et tient le discours inverse. « Il m’a dit que je lui devais de l’argent. Il est venu en bas de chez moi et m’a menacé avec une arme et m’a dit qu’il avait déjà tué quelqu’un. J’étais complètement sous son emprise ». Des confessions, mais deux versions.

Ces dénonciations mutuelles sèment la confusion dans le prétoire, mais n’entament pas la colère des juges.

« Vous vous regardez dans une glace le matin ? Vous pensez quoi de vous », lance une assesseure aux deux escrocs.

« Je regrette, je suis une grosse m… J’ai pas d’autres mots », lâche Michel Z.. 

« C’est très lâche. J’aurais préféré un autre mode opératoire », assure Morlissa D.. 

Dans la salle, sa mère, venue de Marseille, sanglote.

Le brouillard s’épaissit davantage lors de l’évocation des personnalités des prévenus. En état de récidive, Michel Z. a un casier très chargé. On découvre en pleine audience qu’il purge depuis début septembre une peine de trois ans de prison pour des faits de vol aggravé. Le procureur doit sans cesse vérifier sur son ordinateur la véracité des allégations du prévenu. Quant à Morlissa D., il est moins ancré dans la délinquance, mais a été condamné à Montpellier pour d’autres vols sur des seniors. Les minutes défilent et les contradictions s’enchaînent. On apprend alors que Michel Z. ne vit plus à Marseille depuis deux ans. « Bon, je ne pose plus de questions, car ça va plus nous embrouiller qu’autre chose », se résigne la présidente.

« Des oiseaux de proie sur un animal fatigué »

Mis à part le fils d’Huguette, personne n’est présent dans la salle d’audience du côté des victimes. Deux avocates représentent ces femmes âgées, trop diminuées pour se rendre au tribunal (et un homme qui aurait été agressé par Morlissa D. ndlr). « Ma cliente a été très choquée. Ce vol, ça l’a poussée dans la dépendance vis-à-vis de ses voisins », plaide l’une des avocates des parties civiles. Toutes les victimes ont vécu un traumatisme important.

Dans son réquisitoire, le procureur n’est pas tendre avec les deux compères, qu’il qualifie de « vautours ». « Quand je vois la vidéosurveillance des faits du Pré-Saint-Gervais où ils suivent la victime diminuée, j’ai l’impression de voir des oiseaux de proie sur un animal fatigué. Ce dossier, c’est celui de la honte », lance le magistrat. Contre Morlissa D., il demande 30 mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Contre Michel Z., cinq années de détention.

Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense de dénoircir le tableau de leurs clients respectifs. En vain. Le tribunal condamne les deux hommes. Les peines requises par le ministère public sont suivies par les juges. Le duo, qui dormira en prison, devra aussi indemniser les victimes. Dans la salle, la mère de Morlissa D. s’effondre.

*Le prénom a été modifié

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