Bonjour Cœur de pirate ! Entre vos peurs, vos regrets et votre désir d’aller de l’avant, Cavale est-il votre album le plus sincère ?

Cœur de pirate : « Tous mes albums sont sincères. Ici, c’est vrai, j’ai pu aborder ce genre de sujets car j’ai le vécu pour avoir un regard différent sur la situation. Je ne pense que j’aurais été capable de le faire il y a même 5-6 ans. Cavale, c’est un état de fuite. L’album parle d’anxiété et quand tu y es confronté, tu développes un instinct de survie. Je parle de plein de forme d’anxiété : la peur de vieillir, de voir son enfant grandir… »

C’est le dernier album que je sors pour voir si ça cartonne en Europe

Dans quelle mesure votre anxiété a-t-elle joué un rôle dans votre carrière ?

« Je suis anxieuse de tout. J’ai un trouble anxieux généralisé et un trouble obsessionnel compulsif. Ce dernier a été un peu aggravé par les tournées car j’ai un toc dû à la contamination. J’ai peur que des trucs me rendent malades. Dans ce métier, tu ne peux pas te le permettre à cause des spectacles. C’est la raison pour laquelle je m’empêchais de manger. Si tu es malade, tout est annulé et cela a ancré quelque chose en moi. »

Le tube « Comme des enfants », qui vous a révélé à seulement 18 ans, a-t-il finalement été un tremplin ou un frein dans votre développement ?

« J’en suis très fière mais je ne sais pas expliquer pourquoi les gens m’ont perdu de vue après. Ça me fait rire d’ailleurs car j’entends dire parfois : « Elle n’est pas morte Cœur de pirate ? » Mais non, je suis encore là ! C’était spécial de devenir connue si jeune mais je le vis très bien aujourd’hui. J’arrive à mettre de la distance même si c’est vrai que ce fut assez étrange pendant un petit temps. »

Depuis 2021, vous êtes présidente et directrice artistique de la maison de disques Bravo musique. Pourquoi est-ce important de guider les jeunes dans ce métier ?

« Je voulais qu’aucun artiste ne ressente ce que j’ai vécu. Pour l’instant, nos artistes réussissent au Québec mais ils n’ont pas encore franchi le continent. C’est l’objectif. Mais, par rapport à l’Europe, c’est très différent culturellement parlant. Ce ne sont pas les mêmes codes. Quand je réécoute « Comme des enfants » d’ailleurs, je trouve surprenant que ça ait marché en Europe car je sonne québécois dans la chanson. »

Vous avez pourtant réussi à trouver votre public avec une voix singulière et des chansons souvent poignantes. Dans « Pensées intrusives », vous revenez sur votre peur de ne plus plaire à votre public. Est-ce la raison pour laquelle vous avez été absente pendant plusieurs années ?

« J’ai vécu beaucoup d’épuisement professionnel avec ma carrière en Europe. Au Canada, ça s’est toujours bien passé mais en France je me faisais un peu ballotter d’un label à l’autre. Beaucoup de gens m’ont perdu de vue et pensaient que je ne faisais plus de musique alors que je faisais des albums et des concerts. Je trouve ça dommage car je ne sais pas encore aujourd’hui si c’est parce que je faisais de la mauvaise musique ou parce que c’était administratif. Finalement, je reviens toujours en Europe, c’est important pour moi, mais c’est le dernier album que je sors pour voir si ça cartonne ici. Je ne vais plus me plier aux standards de la pop. C’est beaucoup de stress et il faut se réinventer tout le temps. »

L’Ancienne Belgique ? On dirait que tu es dans Kill Bill

Dans « Laisse moi pleurer », vous assumez qui vous êtes.

« ‘Laisse-moi pleurer’, c’est la première chanson que j’ai écrite pour l’album. Ça parle du fait que c’est un métier qui te demande de performer même si tu vis des trucs horribles. Lire les commentaires négatifs des gens, ce n’est pas cool non plus. Ce métier a de gros hauts et de gros bas mais il y a évidemment de gros privilèges. »

Dans « Château de sable », vous vous exprimez sur la relation que vous avez avec votre fille qui est en pleine adolescence.

« J’avais envie de faire une chanson qui offre une perspective sur la parentalité pour que les ados se retrouvent dans cette chanson. C’est dur de mettre des mots sur ce que l’on ressent à l’adolescence. On ne comprend pas nos parents, ils ne nous comprennent pas. C’est dur de voir son enfant exercer son indépendance et il y a souvent beaucoup de clashs. En ce moment ma fille trouve ça gênant mais ça peut évoluer. C’est ce qui est beau avec la musique. Ce sera un beau cadeau pour mes enfants si on continue à avoir une aussi belle relation. »

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Pour cet album, vous avez sollicité notamment Nicolas Subrechicot, reconnu pour son travail avec Zaho de Sagazan. Quel était votre objectif ?

« Au début, je voulais aller vers la ‘French Touch’. Il y avait bien évidemment les Daft Punk mais je m’orientais plus vers le label Ed Banger, etc. J’associe l’anxiété à la nuit et pour l’illustrer j’avais envie d’aller vers cette période-là. Il était au départ à fond dans les synthés et on a dévié un peu pour aller dans les années 80. Je trouvais ça cool qu’il ait une approche de musicien en termes d’arrangement etc. »

Vous oscillez entre des chansons uptempo et d’autres plus calmes. Vous serez le 4 mars prochain en concert à l’Ancienne Belgique, que pourra-t-on attendre de vous sur scène ?

« J’ai établi une setlist sur laquelle les chansons se mélangent bien. Il y a toutes les chansons que les gens connaissent. Il y a beaucoup de piano solo, c’est l’essence même du projet, mais j’ai des chansons qui déménagent un peu plus. Il y a un aspect très méditatif au show. Quand je rentre dedans, je canalise quelque chose. Le public le vit avec moi.

L’AB, je l’ai en plus déjà fait plein de fois. La dernière fois, c’était en 2018. C’est une salle spéciale car on dirait que tu es dans Kill Bill. Au moment où ils sont dans le restaurant asiatique et où tu as tous les ninjas. C’est vraiment un chouette endroit. C’est le même genre de salle qu’au Canada et j’aime ça. »

La vie ne vous a pas épargnée puisque vous avez été opérée des cordes vocales en 2021 et vous êtes forcée de porter une prothèse auditive depuis cette année après avoir perdu l’ouïe partiellement. Cela vous handicape-t-il pour vos performances ?

« Non, ce n’est pas hyper handicapant, j’ai une prothèse auditive quand je vais au restaurant ou quand j’ai des difficultés à entendre. Le problème, c’est que quand tu as de l’anxiété et que tu vas voir un docteur, on ne te prend pas au sérieux. Même si j’avais beaucoup d’acouphènes, ça a pris du temps avant d’être diagnostiqué. C’est dommage mais c’est la vie. »