Or, un tel ouvrage a un potentiel qui dépasse largement la nostalgie culinaire: il peut devenir une passerelle entre cultures, un lieu de dialogue sur ce que manger veut dire dans un Québec pluriel. Trop souvent, la cuisine dite «traditionnelle» est perçue comme un héritage figé, réservé à ceux qui en portent déjà la mémoire. Mais si nous la lisions autrement? Comme un langage commun, où les nouveaux arrivants peuvent découvrir un patrimoine, et où les Québécois de souche peuvent goûter à d’autres mondes?
Cuisine, mémoire et vivre-ensemble
La gastronomie n’est jamais neutre. Elle raconte les migrations, les échanges, les résistances et les métissages: la pomme de terre venue d’ailleurs, le maïs transmis par les Premières Nations, les épices portées par les routes marchandes, le café devenu rituel du matin. S’intéresser à la cuisine québécoise, c’est déjà reconnaître qu’elle s’est toujours construite dans la rencontre.
Dans un Québec où la diversité culturelle s’affirme, ce type de livre peut servir à sortir d’un enfermement identitaire. En rassemblant autour d’un repas, il devient possible de dire: «Voici d’où vient notre cuisine», mais aussi d’entendre: «Et voici comment nous, venus d’ailleurs, y apportons nos saveurs.» Ce dialogue culinaire ouvre à une citoyenneté partagée, où chacun peut s’approprier un récit commun sans effacer ses origines.
Un lancement à réinventer
Le lancement initial du livre a suscité beaucoup d’enthousiasme, mais on aurait pu souhaiter une plus grande présence des citoyens issus de l’immigration. Or, rien n’empêche d’inventer d’autres manières de célébrer cet ouvrage:
• Organiser un lancement dans un restaurant de cuisine du monde, où les mets québécois dialoguent avec les saveurs venues d’Afrique, du Maghreb, d’Asie ou d’Amérique latine;
• Inviter des chefs issus de la diversité à revisiter le «steak, blé d’Inde, patates», à le métisser, à le réinterpréter;
• Proposer une discussion ouverte sur la mémoire culinaire, l’hospitalité et la place des nouveaux arrivants dans l’évolution des traditions.
Une telle rencontre permettrait de tisser un récit commun, fait de curiosité réciproque et de convivialité. Car la cuisine n’est pas qu’un patrimoine à préserver: c’est un espace vivant où s’inventent des solidarités.
Pour un Québec gourmand et pluriel
Dans un contexte où le vivre-ensemble est souvent abordé sous l’angle des tensions et des peurs, célébrer la table comme lieu de rencontre est un geste fort. Partager un repas, c’est accepter d’entrer dans l’intimité de l’autre. Lire un livre comme celui de Priscilla Plamondon Lalancette, c’est déjà voyager dans l’histoire québécoise; mais l’ouvrir à d’autres convives, c’est préparer un avenir où chacun apporte son plat, son récit, sa mémoire.
En organisant un lancement inclusif, nous offrirons un moment de reconnaissance mutuelle: la cuisine québécoise y resterait fière de ses racines, mais deviendrait aussi un langage d’hospitalité pour celles et ceux qui l’adoptent, la transforment et l’enrichissent.
– Par Khadiyatoulah Fall, professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), membre honoraire de la Chaire CERII et chercheur émérite du Centre de recherche interuniversitaire CELAT