Un double champion du monde d’apnée peut-il être performant en trail ? De nombreux coureurs se poseront sans doute cette question, samedi à 7h30, en ayant la surprise de croiser Guillaume Néry sur la ligne de départ du Nice Côte d’Azur by UTMB. Engagé sur un format bien costaud de 55 km et 2.147 m de dénivelé positif, l’athlète niçois de 43 ans se plonge pour 20 Minutes dans sa passion grandissante pour la course à pied.

Papa cet été d’un petit Kai, celui qui travaille actuellement sur un livre consacré à la Russe Natalia Molchanova, « plus grande championne d’apnée de tous les temps » et décédée dans un accident de plongée en 2015, a hâte de s’élancer du col d’Eze samedi pour rejoindre la promenade des Anglais. Avant d’envisager basculer dans les distances d’ultra-trail ?

Avez-vous toujours pratiqué la course à pied en parallèle de votre carrière d’apnéiste de haut niveau ?

J’ai toujours utilisé d’autres sports pour me préparer physiquement et je suis un amateur de sports d’endurance. Historiquement, c’est le vélo qui est mon sport fétiche en dehors de l’apnée. Mais déjà tout petit, j’allais énormément randonner avec mes parents. Puis j’ai fait des voyages à pied sur plusieurs jours en portant des sacs très lourds. J’ai donc un peu cette expérience de la montagne, des terrains accidentés. Depuis une quinzaine d’années, je fais un peu de trail comme ça, pour m’amuser en complément des entraînements de plongée.

S’agira-t-il samedi à Nice de votre plus grand défi de running jusque-là ?

Oui, je vais découvrir cet effort longue durée, même si j’ai fait deux marathons, à Paris en 2024 et à Rome en mars dernier. Je ne suis pas spécialement doué pour ça. Il faut savoir que j’ai toujours été plus fort sur les sports portés, l’apnée ou le vélo, que sur les sports à impact comme la course. J’ai un certain gabarit, avec mes 82 kg pour 1,85 m. Et quand je cours, je le sens passer (sourire).

Comment se sont passés ces deux marathons ?

C’était dur de finir à chaque fois. Le corps est vraiment mis à rude épreuve et ça n’est pas facile de tenir avec la tête. Mes chronos n’étaient pas oufs, avec 3h54 à Paris (20.598e au classement) puis 3h49 à Rome (6.850e). Comme j’étais un sportif de haut niveau, les gens s’imaginaient que j’allais courir en moins de trois heures. Mais ça n’a strictement rien à voir. Je ne gaspille pas d’énergie avec ça, je ne suis pas un coureur à la base, je ne vais pas commencer à me justifier.

Finisher de deux marathons depuis l'an passé, Guillaume Néry se lance samedi sur son plus gros défi de running, lors du Nice Côte d'Azur by UTMB.Finisher de deux marathons depuis l’an passé, Guillaume Néry se lance samedi sur son plus gros défi de running, lors du Nice Côte d’Azur by UTMB. - M. TouffaireVous l’abordez comment, ce trail de 55 km entre Eze et Nice ?

Je vais partir pour 8 ou 9 heures, je n’en sais rien. Je ne me fixe aucun objectif de temps, je veux juste finir. Mon entraînement a été très court comme j’ai eu un petit garçon, Kai, il y a neuf semaines. Je suis très présent pour m’occuper de lui et en même temps, c’est parce qu’il est arrivé que je me suis orienté vers la course à pied. Je ressens ce besoin de faire du sport tous les jours et l’avantage du running, c’est qu’il s’agit des entraînements qui me prennent le moins de temps, par rapport à des sorties à vélo de quatre ou cinq heures.

En faisant quelques sorties avec mes potes qui s’étaient inscrits pour cet ultra-trail de Nice, je me suis tellement régalé que je me suis pris au jeu ces dernières semaines. Et puis j’ai senti que j’avais une marge de progression. Je me suis donc inscrit presque sur un coup de tête, en dernière minute, alors que côté trail, je n’avais jusque-là participé qu’à une course de 12 km dans la Drôme en 2016.

Pourriez-vous envisager de basculer peu à peu vers l’ultra-trail ?

Oui, j’ai l’impression que je suis vraiment mordu et je pense déjà tous les jours à la version 111 kilomètres de ce Nice Côte d’Azur by UTMB entre Roubion et Nice, pour l’année prochaine. Parce que je viens d’acheter une petite maison à la montagne à Roubion. Donc faire un trail qui rejoint mes deux chez-moi, c’est très fort symboliquement pour moi et je vais me préparer pour ça en 2026.

Le compétiteur dans l’âme qui est en vous vit-il sereinement le fait de savoir que vous allez finir loin du Top 100 sur de telles courses ?

Avant mon deuxième marathon, il y a un moment où j’aurais aimé réussir à être un peu plus performant à l’entraînement. Oui, ça a pu me titiller mais j’ai bien compris qu’à plus de 40 ans, c’est compliqué de gagner d’un coup plusieurs minutes sur un chrono. Et puis j’ai passé plus de vingt ans à me consacrer totalement à ma pratique de l’apnée à haut niveau. Je ne veux pas retomber dans quelque chose de trop contraignant. Mon objectif est de finir en étant bien, avant de chercher à courir plus longtemps l’année prochaine. Je suis plutôt dans cette optique de vivre une expérience presque spirituelle.

L’ultra-trail a cette portée à vos yeux ?

Oui, quand on commence à courir des longues distances, on se met dans une autre approche mentale, avec une gestion de l’effort. C’est plus ça qui m’intéresse que de penser au classement, dont je me fous vraiment. Je ne suis même pas sûr que samedi, à la fin de ce trail, je vais regarder ma place. Même le temps sera simplement une indication.

L’UTMB Mont-Blanc a eu lieu il y a un mois, avec sa distance reine de 174 km. Cela pourrait-il devenir une véritable quête à moyen terme ?

J’attends de voir comment je vis chacune des étapes. La certitude que j’ai, c’est que je vais tenter ce 55 km. La quasi-certitude, c’est que ça va me donner envie de faire les 111 km de ce Nice Côte d’Azur by UTMB dans un an. Et puis peut-être que je ne ferai pas plus long parce que ça va me faire peur, que je n’aurais pas envie de trop m’exposer… J’ai du mal à me projeter.

En apnée, je vis un état modifié de conscience avec les profondeurs extrêmes. Il y a une perturbation dans ma perception des choses, un état de concentration, un rapport au dépassement qui est incroyable, mais sur un temps très court. Je ne peux pas nier qu’il y a en moi une fascination pour l’expérience et un grand questionnement sur comment mon corps et mon esprit réagiraient avec de telles distances en trail.

Ça fait un petit moment que ça m’attire, et c’est aussi le cas en vélo. J’ai envie de me lancer dans des challenges de grandes traversées. Je me verrais bien partir un jour jusqu’au Cap Nord avec des étapes de 200 ou 300 km par jour. Il est possible que je me lance dans un engrenage infernal, maintenant que j’ai mis un pied là-dedans.

Quels sont les points communs majeurs entre la plongée et le trail ?

Il y a une très grande dimension d’introspection dans les deux pratiques. L’apnée, c’est un voyage à l’intérieur de son corps qui est très intense dans un environnement extrême. J’ai l’impression que l’ultra-trail est aussi un voyage intérieur, sauf qu’il se déploie dans le temps. Cette gestion de la remontée que j’ai dans l’apnée, durant laquelle il faut garder la maîtrise de soi, c’est un gros atout pour le trail également. Quand l’effort devient compliqué et qu’on sait qu’on n’est pas encore arrivé, la philosophie de l’apnée veut qu’on reste centré sur le présent et qu’on avance mètre par mètre.

Par contre, je sens qu’en trail, ça tape dans tout le corps avec ce sol dur et instable. En apnée, c’est tout l’inverse, c’est l’abandon total. J’aime bien l’idée de ce mélange développant à la fois force et souplesse dans l’idée de bien vieillir.

Guillaume Néry a battu à quatre reprises dans sa carrière le record du monde d’apnée en profondeur.Guillaume Néry a battu à quatre reprises dans sa carrière le record du monde d’apnée en profondeur. - A. NateraQuel est votre quotidien professionnel, et votre rapport à l’apnée a-t-il évolué depuis votre arrêt des compétitions en 2015 ?

J’ai une approche de l’apnée qui est assez multiple. L’apnée, c’est toute ma vie. J’ai pu faire des films avec mon ex-compagne, je donne beaucoup de conférences en entreprise, j’enseigne au sein de l’académie que j’ai créée. Et puis j’ai envie de travailler avec la recherche pour essayer de montrer que la pratique de l’apnée peut avoir un intérêt majeur au niveau thérapeutique, pour accompagner certains patients en fonction de pathologies mentales, du stress.

Avez-vous eu une pensée particulière, le 10 septembre dernier, pour les dix ans de votre œdème pulmonaire en pleine tentative de record du monde à -129 m ?

J’ai un gros problème dans ma vie : je retiens beaucoup de dates. Je pense donc chaque 10 septembre depuis 2015 à mon accident. Là, comme il s’agissait des 10 ans, c’était symboliquement encore plus fort. Mais j’étais dans une humeur positive ce jour-là. De l’eau a coulé sous les ponts, je suis très heureux de mon parcours et de mes choix. Tant qu’il y a du désir, de l’exploration, de la curiosité et des nouveaux défis, la vie est assez savoureuse.

Notre dossier sur le trailFaut-il voir un lien entre les dix ans de votre accident et cette inscription à un tel challenge sportif à Nice ?

Ça n’a pas été l’élément moteur pour moi. Je ne me suis pas dit : « On est dix ans plus tard, il faut que je marque le coup ». Depuis ce 10 septembre 2015, je me suis lancé dans tout un tas d’aventures différentes. Mon déclic pour cette course UTMB, c’était de savoir que des amis proches s’étaient inscrits. Et puis c’est très sympa de faire ce premier gros trail sur mon terrain de jeu autour de Nice.