Qu’est-ce qui vous a conduit à peindre vos photographies ?
Je ressentais le besoin de réellement agir sur les images. La toute première fois que j’ai peint sur mes photos, j’étais adolescente et je faisais un projet sur les pratiques funéraires : j’avais réalisé des portraits en noir et blanc, puis je les avais colorés pour redonner des couleurs aux joues et aux lèvres comme pour réinsuffler la vie aux modèles. J’étais fascinée par les rites funéraires japonais (que j’avais découverts dans Okuribito, film que je n’ai jamais revu depuis) et par la photographie mortuaire victorienne. Les années qui suivirent les expérimentations ont continué, jusqu’à ce que je ne fasse plus que ça ! Il y a aussi l’acte de peindre avec les doigts qui m’est essentiel aujourd’hui : je modèle souvent les peaux et les décors en tapotant la couleur du bout des doigts. Le geste pictural laisse apparaître des empreintes digitales comme si la main tentait de retenir ce qui s’échappe, dans une mise en tension de la fixité photographique et le champ des possibles plus organique que déploie la peinture.
Avez-vous une méthode précise ?
Je photographie en noir et blanc, je développe les films, je fais mes tirages quand j’ai accès à ma chambre noire, ou je les fait réaliser. Puis face à l’image les couleurs viennent toutes seules, j’ai de la peinture à l’huile plein les doigts et le temps s’arrête. Ça, à répétition, sur des centaines d’images, car la frénésie de documentation de tous les instants se poursuit par une frénésie de retravailler le plus d’images possible. Je suis terrifiée par le temps, de ne pas en avoir assez pour réaliser tous les projets qui bouillonnent en moi, mais ces moments où le temps ne peut pas être étiré m’obligent à aborder une autre relation avec lui, dans une patience méditative et une acceptation du processus.
American Album.© Eloïse Labarbe-Lafon
American Album.© Eloïse Labarbe-Lafon
Que cherchez-vous à dire à travers l’ajout de couleurs vives, presque irréelles, sur vos tirages ?
J’élabore un nouveau langage que je vois comme un refuge. Les images naissent d’un geste profondément égoïste, elles répondent à une nécessité intérieure plus qu’à une volonté de séduire. L’altération du réel par ces couleurs vives déplace la mémoire, et ces images finissent par supplanter mes souvenirs, couleurs guidées non par la fidélité documentaire mais par les émotions. Ciels rouges, bleus tristes, visages fardés… cette nouvelle réalité accentuée par la peinture propose une expérience où l’affect et la fiction priment sur la trace du réel. J’aime que le spectateur s’abandonne à son tour dans ces visions fantasmées, jusqu’à confondre ses propres réminiscences avec mes histoires.
“Les images que je crée ne cherchent pas à conserver le souvenir tel qu’il a été, elles visent à l’altérer et à réécrire l’histoire.”
Eloïse Labarbe-Lafon
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