Alors que plusieurs expositions récentes se penchent sur le motif de l’enfant dans l’art, que disent ces images de l’évolution de nos sociétés ? Analyse. 

La légende raconte que le peintre de la Renaissance Fra Filippo Lippi faisait poser son enfant Filippino comme modèle pour ses Vierges à l’enfant et ses putti. Si aucune source primaire ne permet de la confirmer, cette histoire continue de se transmettre, et imaginer le petit Filippino dans l’atelier de son père imitant la pose d’un putto offre une image assez pittoresque. Au-delà de l’anecdote, on connaît des exemples documentés d’artistes ayant fait poser leurs enfants. « Certains sculpteurs ont même exercé leur art sur le corps de leurs enfants par des moulages sur nature », affirment Côme Fabre et Stéphanie Deschamps-Tan dans le catalogue de l’exposition « Sage comme une image ? L’enfance dans l’œil des artistes », dont ils sont commissaires au musée des Beaux-Arts de Bordeaux (jusqu’au 3 novembre, après le musée Tessé du Mans). Ils proposent un tour d’horizon de la représentation des enfants entre 1790 et 1850, une période mouvementée d’un point de vue philosophique comme politique, et qui continue de révéler des découvertes. Ainsi, le duo de conservateurs au Louvre se dit « surpris à la fois par la richesse d’inédits, mais aussi de ce qui n’est pas représenté ». Le sujet ouvre en effet de nombreuses questions : que disent d’une époque les diverses représentations d’enfants ? Comment l’image de l’enfant peut-elle servir un discours – politique, pédagogique, social ou encore religieux ? Jusqu’où les artistes peuvent-ils représenter ces corps, et quand apparaît la notion de consentement ? 

Nouveau statut, nouvelles images 

Si, sous l’Ancien Régime en France, les représentations d’enfants sont surtout réservées au religieux, au décoratif et aux portraits d’héritiers de familles puissantes, un changement s’opère à la fin du XVIIIe siècle. Les pédagogues envisagent des réformes de l’éducation, que les philosophes voient comme une manière de régénérer la société. Dans Émile ou De l’éducation (1762), Jean-Jacques Rousseau soutient qu’il ne faut pas projeter l’adulte sur l’enfant. « L’enfant devient un mode de vie à part entière, doté de ses propres manières de voir, de penser et de sentir », explique la philosophe Céline Spector dans le catalogue de l’exposition « Jean-Baptiste Greuze, l’enfance en lumière », au Petit Palais à Paris (jusqu’au 25 janvier 2026). Claire Bouglé-Le Roux, historienne du droit, remarque : « L’art montre qu’on était plus intéressé par le sort des enfants avant la Révolution française, ce que confirment les archives judiciaires, avec une attention aux enfants victimes, à leur vie (y compris lors de la grossesse), et même à leur parole, prise en compte par les magistrats. » ​​​​​De nouvelles images apparaissent « à la faveur de la démocratisation du portrait et de l’engouement pour les scènes de genre historiques et sociales, où des enfants, du présent comme du passé, occupent le premier rôle », selon Côme Fabre et Stéphanie Deschamp-Tan qui ont pris le parti de croiser l’expansion de la figuration des enfants avec la place croissante qu’ils occupent alors dans le débat public français. Des représentations assez attendues se dégagent dans le parcours : non seulement le portrait bourgeois, mais aussi une propagande visuelle, qui « exalte tantôt l’heureux sort de l’enfant héritier ou génial, tantôt le malheureux destin de l’enfant martyr, qu’il périsse pour la Révolution ou la cause contre-révolutionnaire ».

D’autres thématiques émergent : la mendicité, les orphelins, les enfants prodiges… Et le duo de commissaires de s’interroger : « Les artistes de ce premier XIXe siècle se sont-ils intéressés à tous les enfants de leur époque ? Ont-ils été pris dans des conventions qui les…