L’alignement est impeccable et le lancer de ballon parfaitement droit. Le public semble apprécier l’exécution de la touche. Bienvenue au stade de la Chaléassière, situé dans le quartier stéphanois éponyme ! Le Ciné-journal de Saint-Étienne nous emmène au cœur d’un match de rugby féminin organisé… le 27 avril 1930 ! « C’est assez étonnant de voir ce sport pratiqué par des féminines dans l’entre-deux-guerres car ce n’était vraiment pas courant », sourit Joëlle Virissel, archiviste à la Cinémathèque de Saint-Étienne.
Une restauration impeccable des images
Pour être tout à fait exact, cette rencontre exhibition entre deux équipes parisiennes, les filles de Fémina Sport (championnes de France en titre depuis six ans) et Les Hirondelles , était considéré comme un « match de barette », une version plus douce du jeu de rugby, qui privilégie le toucher. Il n’empêche, les scènes d’ouverture du film surprennent. Tout comme la qualité technique de ces plans tournées en 35 mm par Eugène Reboul, qui travaille pour l’Office du cinéma éducateur depuis 1926.
La résolution est irréprochable grâce à la restauration réalisée par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) : « La re-numérisation a été faite image par image à Paris en 2016. On est passés d’une image médiocre à une haute définition équivalent 2K », poursuit la documentaliste.
À l’instar des actualités cinématographiques de Pathé et Gaumont, « ce sont vraiment des ciné-journaux sur des chapitres différents. Celui-ci résume des morceaux d’actualité s’étalant d’avril à juin 1930 à Saint-Étienne. Les sujets sont aussi divers que variés ».
La suite du court-métrage montre effectivement des événements sur des thématiques n’ayant rien à voir les unes avec les autres. Après quelques instants passés dans le monde de l’ovalie, la caméra d’Eugène Reboul nous fait découvrir une « course enfantine à la bougie » sur la place de l’Hôtel-de-ville. Des sportifs en culottes courtes se déplacent le plus vite possible… en protégeant la flamme de leur bougie à l’aide de cartons publicitaires : « Il s’agissait certainement d’une fête commerciale avec des mécènes locaux », interprète Joëlle Virissel.
Des œuvres municipales des enfants importantes à Saint-Étienne
Les enfants sont d’ailleurs un peu les vedettes du ciné-journal. On y voit ensuite une soixantaine de fillettes monter dans un car en vue d’un séjour au Col de Pavezin. Puis des garçons et des filles sur le parvis de la gare de Châteaucreux, en rang et avec leur « boge », en partance pour Mindin, en Loire Inférieure (le nom de la Loire Atlantique jusqu’en 1957).
Plus de 450 écoliers vont rejoindre leur colonie de vacances. Les œuvres municipales des enfants se développent beaucoup à cette époque : « La notion sociale de la gestion de la jeunesse par le biais de voyages, de la santé et de l’éducation est très importante pour la mairie de Saint-Étienne », détaille Joëlle Virissel.
Ces œuvres municipales sont organisées en parallèle de l’œuvre des enfants à la montagne que le pasteur stéphanois Louis Comte avait fondée en 1893 (il emmenait les jeunes défavorisés du bassin minier sur le plateau Vivarais-Lignon en Haute-Loire).
Les spahis défilent dans les rues de Carnot
Autre curiosité du Ciné-journal 1930 : la parade d’un détachement du 9 e régiment de spahis algériens dans les rues de Carnot. Sur leurs chevaux blancs ou pommelés, les unités de cavalerie française basées à Vienne fascinent les Stéphanois : « Ces militaires d’élite et de prestige ont probablement été invités par les commerçants, détaille Antoine Ravat, responsable de la cinémathèque. C’est un peu comme un défilé du 14-Juillet mais en version fête commerciale de quartier.»
Toutes ces images ont certainement été commandées par Louis Soulié, le maire de Saint-Étienne, qui était aussi le patron de La Tribune Républicaine en 1930 : « Le quotidien et la cinémathèque seront étroitement liés à cette époque. D’ailleurs, pour la plupart des films d’Eugène Reboul, on retrouve les mêmes reportages dans le journal. »
Les ciné-journaux stéphanois étaient probablement projetés « en ouverture de séances de bienfaisance, dans les milieux scolaires, dans les patronages et peut-être dans les salles en avant-programme », avance Antoine Ravat. Les débuts de la communication municipale par le biais d’un cinématographe en plein développement.
Une version du film en audiodescription
Entre 1926 et 1939, la Ville de Saint-Étienne s’est dotée d’un service d’actualités cinématographiques tournées par la Cinémathèque. Peu de villes françaises ont autant été filmées durant l’entre-deux-guerres.
Dans le cadre de la Commission du patrimoine cinématographique national, le CNC a permis la numérisation complète et la restauration d’une collection de plus de 20 000 mètres de pellicule. Anaëlle Chevalier et Vincent Sabot ont travaillé au rapprochement entre les films et les articles de presse de l’époque.
Le Ciné-journal 1930 est disponible sur le site de la Cinémathèque en trois versions : muette, commentée et audio décrite. Derrière la troisième, il y a le travail d’un trio : le comédien Roland Boully, le monteur Vincent Sabot et Fatma Belhadj. Cette dernière, non-voyante depuis quinze ans, « nous aide à la conception de l’audiodescription, explique Roland Boully. On travaille de manière symbiotique. »