Dans l’écrin suavement éclairé du Studio de la Comédie Française, Gabriel Dufay met en scène des pièces courtes ainsi que des extraits de poèmes autour du thème de l’amour, de la séparation, du voyage, de la vie et de la mort. Didier Sandre, Anna Cervinka, Clément Bresson, Sefa Yeboah et Morgane Real incarnent subtilement ces doubles de nous-mêmes perdus et éperdus entre réel et imaginaire.

En quête du lien

©Vincent PONTET

Dans un décor en clair obscur, strié de deux pentes qui se croisent avant de descendre ou de monter vers un ailleurs, entouré de terre, plongeant le spectateur dans l’interstice entre dedans et dehors, l’intérieur d’une maison ou la route qui mène vers une montagne ou une vallée, deux couples se quittent et se retrouvent. L’homme est intensément amoureux d’une jeune femme, alors qu’il a été quitté par sa propre épouse. Il attend cette femme de manière effrénée, compulsive, comme si sa vie en dépendait. Au contraire, la jeune femme déploie une distance un peu craintive, une nonchalance provocante pour démontrer son indépendance. Elle même est attachée à un jeune garçon qui l’entraîne dans une forme d’insouciance, tandis que l’homme, encore marié, attend tout de la jeune femme. Dans la scène suivante, mari et femme se font face à face au seuil de leur maison. Quelle décision vont-ils prendre ? Et si c’était lui qui avait toujours eu envie de partir, la laissant seule ? A son propre désespoir ?

Des énigmes stupéfiantes et familières

©Vincent PONTET

Chez Jon Fosse, auteur norvégien qui reçut en 2023 le Prix Nobel de littérature, qui fut monté et découvert pour la première fois en France par Claude Régy, et qui ne cesse depuis d’être joué sur les plus grandes scènes d’Europe, les mots sont égrenés par les acteurs de manière minimaliste, presque à l’inverse de l’intensité des sentiments. Pour le spectateur, c’est un véritable jeu de pistes, une enquête qui prend la forme d’un puzzle à reconstituer tant les indices sont minces. Gabriel Dufay, spécialiste et traducteur de l’auteur, s’est attaché à faire jaillir les personnages de manière fulgurante, à travers des éclats de réel, de sensualité, qui viennent heurter le mystère de l’intrigue et des répliques. Et puis il y a un ange, personnage qui représente aussi le temps qui passe et traverse les vies, incarné par Didier Sandre, dans un costume drapé de coton. C’est l’ange du théâtre, celui qui guide les hommes vers la lumière, celui qui fait émerger le sens des choses. 

Comédiens épatants

©Vincent PONTET

Clément Bresson apporte sa présence charnelle, écorchée, au personnage du mari dans son éternelle quête de lien amoureux. Anna Cervinka, femme qui fuit pour mieux se retrouver, est d’une élégance brute, déchirante. Morgane Réal, jeune comédienne qui vient d’entrer dans la troupe, est d’un magnétisme précis, présence juvénile et d’une intense sérénité. Sefa Yeboah traverse l’espace du réel et du spirituel, dansant tel un elfe autour de toutes les contradictions des humains qui se cognent au réel tout en tutoyant le ciel. Tous incarnent ce besoin vital de se lier aux autres, dans une intense communion, qu’ils s’acharnent, avec leurs bras, avec leurs mains, avec leurs regards, de maintenir scellée. Sauf quand, à l’instar de Didier Sandre dans une scène magnifique, se détourne de son aimée pour partir en haut de la montagne où l’attire comme un aimant une lumière céleste. Un appel du vide ? Un appel à vivre, ou à mourir ? C’est cela aussi qui est très beau dans ce spectacle, incarné par de formidables acteurs qui disent pleinement la certitude et l’incertitude à la fois. Comme dans la vie.

Hélène Kuttner