Par

Sophie Quesnel

Publié le

26 sept. 2025 à 19h10

Il a fallu 35 ans pour que l’histoire trouve ses mots. 35 ans pour qu’un amour de jeunesse, intense et fragile, se transforme en livre. Avec Un tombeau pour Dustan, Christophe Beaux accomplit ce qu’il nomme une dette : « J’ai toujours ressenti à son égard une forme de dette. Je ne savais pas comment elle trouverait à se manifester… Petit à petit, le fait d’écrire est devenu naturel. »

Dès les premières pages, on est séduit par la qualité de l’écriture. Élégante, précise, riche de nuances. Les descriptions, ciselées, savent rendre palpable la musique d’une époque, la chair d’un amour, la violence d’une rupture. Loin de tout pathos, la plume se déploie avec une justesse qui surprend pour un premier récit : tantôt crue, tantôt tendre, toujours habitée.

La rencontre, l’emprise, la dette

Christophe Beaux a 20 ans lorsqu’il rencontre William Baranès, étudiant brillant, qui se muera bientôt en Dustan, écrivain radical. Entre eux, 18 mois d’une relation incandescente : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Parce qu’en fait il avait un caractère, une identité tellement singulière, et il m’a tellement marqué sur le plan de mes études, de mon orientation professionnelle, de mes sensations… »

Le récit n’est pas un règlement de comptes. Il est une réponse, apaisée, à un homme qui, de son vivant, avait mis ses proches dans ses livres. « Certains amis m’ont conseillé, à l’époque, de l’attaquer en justice. Je ne l’ai évidemment pas fait. Mais ce qui m’a motivé, c’est l’idée de lui répondre, de lui rendre la monnaie de sa pièce, mais souvent de façon positive, pas hargneuse. »

Le livre raconte aussi un aiguillage, un moment où bascule la trajectoire d’une vie. Fils des classes moyennes, promis à une carrière de banquier, Christophe choisit une autre voie, stimulé par le désir de prouver à William qu’il n’est pas seulement, selon ses mots, « l’objet de son désir. »

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L’amour devient un moteur, une revanche intime qui le pousse à préparer le concours de l’ENA et à se réinventer. Dans ce sens, Un tombeau pour Dustan est à la fois un récit amoureux et un récit de formation. L’intime s’y mêle au social, le désir au destin.

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Une époque entre fête et menace

À travers ce regard rétrospectif, c’est tout un Paris disparu qui revit. Les nuits techno, les boîtes de la fin des années 80, les excès et les corps exaltés. Christophe Beaux restitue l’énergie de cette jeunesse, mais aussi son ombre. Car ces années furent celles d’une liberté nouvelle et d’une condamnation silencieuse. La dépénalisation de l’homosexualité ouvrait un droit à l’indifférence, tandis que l’épidémie de sida frappait comme une peine de mort. « Même les moments difficiles que nous avons vécus ensemble, parce qu’il nous arrivait de nous quereller, parfois violemment… tout cela est laminé par le poids du temps. Et je ne garde que la nostalgie d’un moment très doux, très intense. » La phrase résume l’ambivalence de cette époque : la tendresse et la peur, la fête et la perte.

Mémoire et maturité

Raconter exigeait patience et maturité. « S’il m’a fallu 35 ans pour raconter cette histoire après qu’elle se fut déroulée, c’est peut-être parce qu’il y avait une décantation quelque part dans l’esprit, avant de pouvoir en parler avec le recul suffisant. » La mémoire de l’auteur mêle rigueur factuelle et mémoire sensorielle. Christophe Beaux s’appuie sur des biographies pour vérifier les dates, mais il reconstruit les sensations par l’écriture : une main posée, une musique qui pulse, une chambre aux volets clos. Là, réside la force du livre : dans cette capacité à redonner vie à l’éphémère, à transmettre la vérité des instants.

À mesure qu’il s’écrivait, le texte a pris une dimension inattendue. « J’ai commencé dans une espèce de fébrilité extrême. Et petit à petit, en écrivant, je me suis dit : oui, ça peut peut-être intéresser… Parce que toute histoire d’amour est à la fois singulière et universelle. »

C’est sans doute ce qui bouleverse : le lecteur reconnaît, derrière l’exception d’un destin, l’évidence d’une passion. Entre les scènes crues et les élans de tendresse, ce livre raconte ce qui échappe toujours : la force d’aimer, la douleur de perdre, la nécessité d’écrire.

Naissance d’un écrivain

On lui avait conseillé un pseudonyme. Christophe Beaux a refusé. « Dans mon esprit, ce livre n’avait d’intérêt que s’il était honnête, jusqu’au bout. Si c’était publié, et à ce moment-là, c’était lui, c’était moi et personne d’autre. »

À presque 60 ans, Christophe Beaux signe un premier récit qui révèle une voix déjà affirmée. Élégance, finesse, richesse du vocabulaire : son écriture frappe par sa maturité. Dans ses pages, l’on entend les musiques, l’on voit les boîtes de nuit, l’on sent le parfum d’une époque. Et l’on suit, entre humour et gravité, un récit qui tient ensemble la crudité des corps et la lumière des sentiments.

Héritage et avenir

Le livre ravive aussi l’œuvre de Dustan, rééditée et étudiée par de jeunes chercheurs. Christophe Beaux s’en réjouit : « Si mon livre contribuait à braquer sur lui une nouvelle lumière, j’en serais très fier. » Quant à lui, il écrit déjà un nouveau manuscrit. « J’ai beaucoup de projets en tête. J’ai envie de vivre cette passion jusqu’au bout, en parallèle de mon activité professionnelle. »

Un tombeau pour Dustan n’est donc pas un point final. C’est une ouverture : celle d’une voix qui, après une vie publique dense, choisit désormais l’écriture pour solder une dette, partager un héritage et tracer un chemin.

Christophe Beaux sera en dédicace à la Librairie du Marché, samedi 27 septembre, de 11 h à 13 h.

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