Alors que, mardi, les chefs d’état-major européens se réuniront à Paris pour définir un plan de paix pour l’Ukraine, l’autonomie stratégique du Vieux Continent est à un point de bascule. Face au désengagement brutal des Américains, les Européens réussiront-ils à passer des paroles aux actes ? Ou bien la domination américaine sur le marché des armes continuera-t-elle de prévaloir ?

Un contrat incarne, à lui seul, les contradictions de cette défense européenne, souvent fantasmée. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2022, l’Allemagne a annoncé son intention d’acheter jusqu’à 36 avions de chasse F-35A, dits de cinquième génération, au géant américain Lockheed-Martin. La livraison est prévue entre 2026 et 2029, pour un montant avoisinant les dix milliards d’euros, et doit remplacer l’avion de combat européen Tornado. À l’instar de l’Italie, du Royaume-Uni ou des Pays-Bas, le F-35, qui est capable d’emporter la bombe nucléaire, s’est imposé comme un incontournable de la dissuasion en Europe.

Merz plus réticent que Scholz

« D’un côté, les Allemands proclament vouloir faire un effort de défense européen. De l’autre, ils restent totalement dépendants de la chaîne d’approvisionnement américaine, cingle un industriel français du secteur. Washington leur vend des avions dont ils n’auront ni la maîtrise technologique, ni le contrôle du système de combat. Les Allemands sont toujours convaincus qu’en achetant aux Américains, ces derniers seront obligés de revenir sur leur décision stratégique de lâcher l’Europe. En réalité, ils sont cocus. »

Pourtant, contrairement au chancelier Olaf Scholz, qui était, jusqu’ici, plutôt favorable au maintien de la commande, son successeur, Friedrich Merz, s’est montré, par le passé, critique vis-à-vis de ce contrat. Et, pour le conservateur, qui doit entrer en fonction d’ici à six semaines, une défense européenne « indépendante » des États-Unis est désormais « une priorité absolue ».

Manque de souveraineté

Une fenêtre s’est ouverte pour le patron d’Airbus Defence and Space. « Si on utilise la hausse des dépenses de défense pour continuer à acheter des produits standards aux États-Unis, nous renforçons notre dépendance vis-à-vis des autres pays », a déclaré Michael Schöllhorn dans une interview au quotidien régional Augsburger Allgemeine. Il plaide pour que la Bundeswehr (l’armée allemande) se tourne vers l’Eurofighter Typhoon et a cité l’exemple du Danemark pour appuyer son propos.

En effet, selon Michael Schöllhorn, après les menaces de Donald Trump d’envahir le Groenland, le Pentagone aurait la capacité d’empêcher les F-35 des forces armées danoises de décoller si elles voulaient défendre leur territoire. « Les États-Unis peuvent les clouer au sol grâce à un système de blocage », confirme une source militaire de l’Otan.

Cette dépendance souligne le manque de souveraineté des Européens en matière de défense. En Suisse, certains élus commencent à remettre en question l’acquisition des F-35 et demandent une réévaluation du projet. En 2021, Berne avait opté pour le chasseur américain plutôt que pour le Rafale français. De là à faire un effet domino ?